Le Diable Volant

Le Diable Volant

Une histoire générale des flibustiers

Rebelles, hérétiques et pirates (1622-1648)

Dans les dernières années du XVIe siècle, sept des provinces formant alors les Pays-Bas s'étaient révoltées contre leur maître, le roi d'Espagne, et avaient acquis, dans les faits, leur indépendance sous le nom de Provinces Unies des Pays-Bas. Mais, pour les Espagnols, les Néerlandais ne sont pas seulement des rebelles. En effet, les anciens sujets du roi catholique ont adopté la réforme, doublant la lutte politique d'un conflit religieux. Aux qualificatifs de rebelles et d'hérétiques s'en ajoutera bientôt un troisième, celui de pirates. Les deux principales provinces de l'union néerlandaise, la Hollande et la Zélande, ont chacune derrière elle une longue tradition maritime: pêche et commerce, et accessoirement la course. Leurs marins ne commencèrent pourtant à apparaître dans la mer des Caraïbes que très tard au XVIe siècle. Ce qui va d'abord amener ces rebelles hérétiques en Amérique espagnole ce n'est point les trésors du Pérou ou la contrebande d'esclaves, maisÉ le sel.

Les Zélandais avait en effet développé et perfectionné un processus de blanchiment du sel, lequel était demandé partout en Europe, notamment par leurs compatriotes hollandais qui en avaient toujours un grand besoin pour leur industrie de pêche. Lorsque les dépôts de sel espagnol, se trouvant à Setúbal se tarirent, ils se tournèrent vers les îles du Cap Vert (Isla de Mayo et Isla de Sal). En 1598, à la suite des arrêts du roi d'Espagne leur interdisant l'accès aux salines espagnoles et portugaises, ils commencèrent à fréquenter celles du Vénézuela, principalement Punta de Araya. Le sel de Punta de Araya, située à mi-distance entre l'île Margarita et la côte de Cumana, était de très haute qualité, 30% supérieure à celui que l'on pouvait trouver en Espagne.

La présence de ces saliniers néerlandais à Punta de Araya y attirait aussi des corsaires et des contrebandiers anglais et français, avec lesquels les premiers traitaient volontiers. Devant cette nouvelle brèche à leur monopole, les Espagnols ne tardèrent pas à réagir. En septembre 1605, Luis de Fajardo, commandant une quinzaine de vaisseaux et 2500 hommes, appareillait de Lisbonne prétendument à destination des Flandres, mais en réalité pour les Antilles. Il se rendit à Punta de Araya où il captura par surprise neuf bâtiments saliniers et un corsaire. Fajardo fit pendre plusieurs de ses prisonniers dont leur principal chef, le Zélandais Daniel De Moucheron. Les compatriotes de celui-ci qui échappèrent à la mort furent envoyés à Cartagena et mis aux galères.

Dans les années suivantes, surtout à partir de la Trêve de douze ans avec l'Espagne (1609), les Hollandais et les Zélandais diminuèrent considérablement leurs voyages dans la mer des Caraïbes, que ce fut comme saliniers, contrebandiers ou corsaires. Certains ne manquèrent pas de s'y risquer quand même. En 1620, par exemple, Hendrick Jacobszoon Lucifer, commandant deux vaisseaux armés en guerre, s'associa aux Petites Antilles avec le capitaine français Charles Fleury, avec lequel il alla croiser vers Hispaniola où ils rencontrèrent d'autres aventuriers français et anglais. Ces petites incursions ne furent pourtant rien à comparer aux grandes expéditions qui vont partir des ports de Hollande et de Zélande pendant environ vingt ans, avec pour objectif: conquête et pillage sur l'Espagnol en Amérique.

Les flottes de la Westindische Compagnie

La Trêve avec l'Espagne se termina en 1621. Aussitôt, à la suite des pression de la France et de certains princes protestants allemands, les Pays-Bas entrèrent en guerre contre l'Espagne. De la même année date la fondation de la Westindische Compagnie (ou Compagnie des Indes occidentales, qu'il ne faut pas confondre avec son homonyme français des années 1660), autorisée par les états généraux des Provinces Unies. Cette Compagnie se vit octroyer le monopole du commerce néerlandais sur les côtes occidentales de l'Afrique et les côtes orientales de l'Amérique. Elle se voulait aussi une entreprise de colonisation, dont il ne restera pas grand chose à la fin du siècle, mais surtout elle en deviendra une de guerre sur mer aux dépends des Espagnols. Une première expédition, financée modestement par la Compagnie, est montée dès 1622, à dessein d'enlever aux Espagnols les salines de Punta de Araya. Mais ceux-ci, dans le courant de l'année, y avaient érigé le fort Santiago del Arroyo et, avec l'aide d'auxiliaires indiens, ils repoussèrent les envahisseurs, qui étaient pourtant dix fois plus nombreux qu'eux. Quelques mois plus tard, en janvier 1623, les Néerlandais s'y présentèrent à nouveau et se virent encore forcés de renoncer à leur dessein.

Entre-temps, la Compagnie décida de faire la conquête du Brésil, colonie du Portugal mais en fait possession du roi d'Espagne puisque celui-ci règnait aussi à Lisbonne depuis 1580. Le commandement général de l'expédition fut confié à Jacob Willekens, avec comme vice-amiral le Hollandais Piet Heyn. Willekens et Heyn se rendirent au Brésil où ils s'emparèrent assez facilement des colonies portugaises (été 1624). Durant les années suivantes, jusqu'à la conquête de Curaçao, les nouveaux établissements néerlandais du Brésil serviront de base de départ à maintes expéditions similaires tant contre les comptoirs portugais en Afrique que contre les Espagnols, les flottes de l'or surtout, aux Antilles.

Pendant que Willekens occupait le Brésil portugais, le Zélandais Pieter Schouten, commandant une petite escadre de quatre vaisseaux montés par 200 hommes, faisait son apparition aux Antilles (printemps 1624). Croisant d'abord au large d'Hispaniola et de la Jamaïque, il se rendit au Yucatan où il pilla et brûla la petite ville de Sisal. Peu après cette prise, il gagnait La Havane d'où il fut contraint de déguerpir, en juillet, à l'approche de la flotte de la Nouvelle-Espagne, beaucoup trop forte pour lui, et d'aller se réfugier à Dry Tortuga, à l'extrême sud de la Floride. Apprenant le raid contre Sisal, Tomás de Larraspuru, le commandant de la flotte espagnole, fit une descente surprise à l'île de la Tortue Salée, que les saliniers néerlandais préfèraient désormais à Punta de Araya et capturèrent six bâtiments étrangers qui y chargeaient du sel. Entre-temps Schouten demeura encore quelque temps aux Antilles, avant de rentrer à Flessingue son port d'attache, où, au printemps 1625, il portait une riche prise espagnole faite dans les Honduras.

Quelques mois après le départ de Schouten, une nouvelle menace planait sur les colonies espagnoles. Il s'agissait d'une vingtaine de vaisseaux de la Compagnie des Indes occidentales, commandée par Boudewijn Hendricksz, qui se présenta devant San Juan de Porto Rico à la fin de septembre 1625. En début d'année, Hendricksz avait obtenu le commandement général du flotte envoyée au Brésil pour affronter l'amiral espagnol Fadrique de Toledo qui reprit d'ailleurs aux Néerlandais l'ancienne colonie portugaise de Bahia. étant arrivé trop tard, Hendricksz avait expédié une partie de sa flotte vers l'Afrique tandis que lui-même prenait la route des Antilles. À Porto Rico, il débarqua environ 700 hommes mais, s'il s'empara de la ville de San Juan, il ne put réduire le fort San Juan Felipe del Morro, dont le gouverneur de l'île, Juan de Haro, avait pris le commandement avec 330 soldats et miliciens. Avant de quitter les lieux, il fit mettre le feu à la ville puis passa les semaines suivantes à rôder avec sa flotte autour de Porto Rico et d'Hispaniola avant de prendre la direction des côtes du Vénézuela.

En février 1626, Hendricksz faisait descente à l'île Margarita où il prit et rasa un fort espagnol sans pouvoir s'en prendre à la capitale Asunción puis, dirigeant sa course vers la petite île de Cubagua, il tentait un raid, tout aussi infructueux, contre Punta de Araya. À la fin avril, après s'être ravitaillé à l'île Bonaire, il divisa sa flotte et envoya ses vaisseaux, en groupe de deux ou trois, croiser vers Porto Rico et Hispaniola, où ses capitaines rencontrèrent leur compatriote, le capitaine Hendrick Jacobszoon Lucifer, qui revenait de ravitailler une colonie néerlandaise en Guyane. Hendricksz rassembla ensuite toute sa flotte et mouillait, à la mi-juin, dans la baie de Cabañas, à Cuba, dans l'espoir de surprendre la flotte de la Nouvelle-Espagne. Durant plus d'un mois, il croisa en vain devant les ports cubains. Au cours de ce voyage, il mourut subitement et son successeur fut incapable de maintenir parmi les équipages la discipline nécessaire au succès d'une pareille entreprise.

Vers le même moment, une autre grosse escadre des Provinces Unies entrait dans la mer des Caraïbes par la Barbade. Elle était commandée par Piet Heyn qui s'était, comme on l'a vu, signalé lors de la conquête du Brésil. À la fin août, il captura un vaisseau espagnol et apprennait la mort de Hendricksz et le départ de sa flotte pour la Hollande. Heyn n'en gagna pas moins Dry Tortuga au large de laquelle il aperçut la flotte de la Nouvelle-Espagne et celle de Terre Ferme, réunies sous le commandement du général Larraspuru, au nombre de quarante vaisseaux, pour leur retour en Espagne. Se voyant devant beaucoup plus fort que lui, Heyn longea les côtes de la Floride puis, après avoir touché le Cap Vert et le Sierra Leone, arriva au Brésil (mars 1627) où il se signalera par ses prises sur mers contre les Espagnols et les Portugais.

La capture de la flotte de la Nouvelle-Espagne

Les voyages de Schouten et de Hendrick ne furent, en fait, que des expéditions de reconnaissance en prévision de la capture de l'une des deux flottes aux trésors, capture qui demeurait l'objectif premier de la Compagnie des Indes occidentales, qui espèrait ainsi réaliser des profits qui tardaient à venir, car toute l'entreprise de la conquête du Brésil, qui devait être défendu à grands frais, n'avait pas rapporté grand chose jusqu'ici. La Compagnie va donc mettre à la disposition de son meilleur capitaine, Piet Heyn, de très grands moyens. Au début de 1628, ce furent d'abord douze bâtiments commandés par Pieter Adriaenszoon Ita qui appareillèrent du Texel (Hollande) à destination de la mer des Caraïbes où, dès le printemps, celui-ci commença ses attaques contre le commerce espagnol tout en recueillant de précieuses informations sur les flottes aux trésors. Mais Ita n'était que l'avant-garde de l'expédition que commandait Heyn, en qualité de capitaine général. Ainsi, en mai 1628, Heyn quittait à son tour Texel à la tête de 31 bâtiments portant près de 2300 marins et 1000 soldats.

Au moment où Heyn entrait dans la mer des Caraïbes, en juillet 1628, la flotte de San Juan, mieux connue sous le nom de flotte de la Nouvelle-Espagne, dut reporter son départ de la Vera Cruz pour La Havane, suite à la perte de son plus gros navire: son chef, le capitaine général Juan de Benavides y Bazán, l'y avait conduite pour y charger les richesses du Mexique dès septembre 1627. Finalement, le mois suivant (août 1628), Benavides appareillait à destination de Cuba dont le capitaine Ita et son escadre venaient juste d'évacuer les parages pour retourner en Hollande, après la capture de deux riches galions qui allaient des Honduras à Cuba. Peu de temps après le départ d'Ita, Heyn se présenta à son tour aux côtes de Cuba. Déjà, le gouverneur de la Jamaïque avait informé Tomás de Larraspuru, qui commandait toujours l'autre flotte espagnole, les Galions, et qui relâchait alors à Cartagena, de la présence des Néerlandais.

Benavides n'eut pas cette chance, puisque, au large de Cuba, le 8 septembre 1628, il tombait sur la flotte de Heyn, venue à sa rencontre et renforcée par une demi-douzaine de navires commandés par le Zélandais Banckert. Le lendemain, il trouva refuge dans la baie de Matanzas, à la côte nord de Cuba. Heyn et ses capitaines l'y suivirent. Le 10 septembre, au lieu de combattre, Benavides et la majeure partie de ses équipages s'enfuyaient à terre, laissant leurs galions et leur précieuse cargaison aux mains des Néerlandais, le général espagnol abandonnant même sur le galion Santa Gertrudis sa maîtresse, une mulâtresse de 18 ans originaire de la Vera Cruz, que Heyn renverra à terre avec les autres prisonniers. Heyn s'empara ainsi facilement de neuf navires, puis de quatre gros galions et deux vaisseaux plus petits. Après avoir brûlé ses prises, à l'exception des cinq d'entre elles, Heyn quitta Cuba une dizaine de jours plus tard et arriva en Hollande en janvier 1629 où, après un détour forcé par l'Angleterre pour éviter les corsaires de Dunkerque qui croisaient alors sous pavillon espagnol, il fut accueilli en héros à l'exemple de l'Anglais Drake une cinquantaine d'années plus tôt.

Grâce à cette riche prise, la Compagnie des Indes occidentales put payer ses premiers dividendes à ses actionnaires. Elle ne récompensa pourtant pas Heyn à sa juste valeur. Celui-ci quitta alors son service pour entrer dans la Marine de l'état, dont il devint le premier officier supérieur d'origine bourgeoise. Il trouvera cependant la mort en combattant les Dunkerquois, en juin 1629, moins d'un an après son plus grand succès. Ce même mois, en Espagne, le Roi se déclarait incapable de rembourser ses créanciers suite à l'exploit de Heyn, qui le privait, du moins pour l'instant, de l'une de ses principales sources de revenus. Les Galions, commandés par Larraspuru, arrivèrent trop tard, avec les trésors du Pérou, pour éviter au Habsbourg ce déshonneur. Benavides, le malheureux commandant de la flotte de la Nouvelle-Espagne, allait le payer de sa vie, en 1634, au terme d'un long procès.

Les nouvelles colonies de la France et l'Angleterre

Pour lors, le principal fléau des Espagnols était certes néerlandais, rebelle, hérétique et pirate. Les actions de Piet Heyn, de ses successeurs et de ses prédécesseurs ne doivent cependant pas faire oublier que les aventuriers français et anglais continuèrent, à une échelle plus petite qu'eux, leurs déprédations en Amérique espagnole. Ils devenaient d'autant plus dangereux, que, depuis environ quatre ans, certains d'entre eux avaient commencé à coloniser les petites Antilles, avec l'aval de leurs gouvernements respectifs qui distribuaient à cette fin des concessions à des particuliers ou à des compagnies de commerce. Pour l'instant, l'Angleterre et la France n'étaient point en conflit avec l'Espagne. Si jamais cela se produisait n'imiteraient-ils pas les Néerlandais? Et n'en seraient-ils pas d'autant plus dangereux puisqu'ils possédaient déjà un pied à terre à l'entrée de l'Empire des Indes? Tant pour détruire cette menace potentielle que pour garantir plus efficacement la protection des flottes aux trésors contre les Néerlandais, la Couronne espagnole décida d'envoyer aux Antilles une puissante armada sous les ordres de Fadrique de Toledo qui s'était auparavant illustré par la reprise de Bahia, au Brésil, sur les Néerlandais.

Dès février 1629, en France, le cardinal de Richelieu, était informé des préparatifs de l'expédition Toledo. Il fit aussitôt équiper une dizaine de vaisseaux du roi, dont il confia le commandement au sieur de Cahuzac et l'expédia aux Petites Antilles, vers l'île de Saint-Christophe que se partageaint alors Anglais et Français après en avoir chassé les Indiens Caraïbes. Cahuzac y portait, en juillet, l'ancien corsaire d'Esnambouc qui en était le gouverneur pour la France, avec 300 nouveaux colons. Il dispersa ensuite ses bâtiments dans les îles environnantes, les envoyant reconnaître la flotte espagnole. Mais, lorsque celle-ci se présenta devant Saint-Christophe en septembre suivant, Cahuzac, qui n'a alors que deux vaisseaux à sa disposition, ne put intervenir et, après le passage de l'amiral Toledo, il ira faire la course, comme tant d'autres, dans les parages des Grandes Antilles avant de rentrer en France l'année suivante.

La prise de Saint-Christophe et celle de Nevis, occupée par les Anglais, fut relative facile. Tous ceux qui ne purent s'échapper à l'approche de Toledo furent pris après de brèves escarmouches. Contrairement à ce que l'on avait vu au siècle précédent avec la colonie huguenote de Fort Caroline, l'on assista à aucun massacre. Le but visé n'était pas de faire des martyrs pour alimenter les partisans de la guerre contre l'Espagne, tant en France qu'en Angleterre, mais de montrer qui étaient les véritables seigneurs et maîtres de l'Amérique. Ainsi Toledo se contenta de déporter ses prisonniers vers l'Europe ou les colonies espagnoles du Vénézuela. Et les colons qui se réfugièrent sur les îles voisines à l'approche des Espagnols revinrent occuper Nevis et Saint-Christophe dès le départ de ceux-ci, dont ce sera la dernière tentative pour les en expulser: ils entreprendront ensuite la colonisation de toutes les Petites Antilles, ne laissant dans la seconde partie du siècle, à leurs premiers occupants, les Indiens Caraïbes, que les îles de Saint-Vincent et de la Dominique.

Avec l'expédition Toledo, les Espagnols comprirent que la possession par des étrangers des Petites Antilles, ces îles inutiles, n'étaient pas un grand danger. Trop éloignées du centre de leur empire américain, à cause du régime des vents dans la mer des Caraïbes, elles ne pouvaient servir que d'escale à l'aller. Il en ira tout autrement avec de petites îles situées au large du Nicaragua, au centre de la voie maritime reliant les ports de Cartagena et de Porto Belo aux Grandes Antilles. Les Espagnols leur ont donné les noms de Santa Catalina et de San Andrés. Les Anglais les appelleront Providence et Henrietta.

L'aventure de la Providence Island Company

En Angleterre, la fin du règne d'Elizabeth avait vu le comte de Cumberland armés plusieurs expéditions de pillage contre les Espagnols en Amérique. À partir des années 1610, un autre noble anglais va se lancer dans une aventure similaire, mais de façon plus modeste. Il s'agit de Robert Rich troisième Lord Rich.

Si, à la différence de Cumberland il ne commanda jamais personnellement d'expéditions en Amérique, il obtint pour ses capitaines des commissions du duc de Savoie pour faire la guerre à l'Espagne, avec laquelle l'Angleterre était en paix depuis la mort d'Elizabeth. Rich n'était pas seulement actif dans la guerre de course mais il était aussi impliqué dans presque toutes les entreprises coloniales des premières décennies du XVIIe siècle (Bermudes, Virginies, Antilles, Guyane, etc.), dont les promoteurs étaient en majorité des nobles et des bourgeois, souvent liés entre eux par alliance, unis aussi par leurs convictions religieuses qui s'opposaient à celles de l'église d'Angleterre qui, selon eux, tendait trop à ressembler à celle de l'église catholique. De ce groupe d'hommes viendra l'opposition au Roi qui trouvera son achèvement dans la guerre civile dans les années 1640. Pourtant, en 1618, Rich fut autorisé à acheter le titre de comte de Warwick, à la suite des refroidissements des relations anglo-espagnoles.

En 1628, un capitaine anglais nommé Daniel Elfrith, qui, après avoir fait la course plusieurs années pour le compte de Warwick, s'établit temporairement aux Bermudes. Avec l'accord du gouverneur de ces îles, Philipp Bell, il planifia d'aller coloniser Santa Catalina et San Andrés, au large du Nicaragua. En septembre 1629, Elfrith et un autre aventurier anglais, le capitaine Sussex Cammock, commandant chacun un petit navire, quittaient Londres pour aller prendre possession de ces deux îles qui furent rebaptisées Providence et Henrietta. Ils y arrivèrent à la toute fin de l'année. En février 1630, Elfrith, laissant Cammock sur San Andrés avec quelques dizaines d'hommes, rentraient en Angleterre faire rapport de sa mission. En décembre, Warwick, son frère le comte de Holland et quelques autres s'associaient pour former la Providence Island Company et l'entreprise de colonisation commença, dès l'année suivante, avec Bell comme premier gouverneur et Elfrith comme amiral de la colonie.

Mais, après des conflits entre diverses factions sur l'île et une première attaque espagnole en 1635, la Compagnie délaissera les efforts de colonisation et de commerce avec les Mosquitos, Indiens hostiles à l'Espagnol vivant aux Honduras et au Nicaragua, pour se lancer dans des entreprises de pillages contre les Espagnols, à l'imitation des Néerlandais. D'ailleurs, dès leur arrivée à l'île Providence en 1629, Elfrith et Cammock y avaient eu connaissance des activités de contrebande des frères Albertus et Willem Blauvelt, deux aventuriers néerlandais, avec les Indiens de la côte des Mosquitos. Plus intéressante était la présence d'un corsaire portant commission des Provinces Unies des Pays-Bas, qu'Elfrith trouva à Providence lorsqu'il y revint en 1631. Son capitaine était un mulâtre espagnol prénommé Diego, au début d'une longue carrière d'aventurier aux Antilles, qui va se distinguer d'abord sous les ordres d'un autre fameux corsaire néerlandais, émule de Piet Heyn.

L'obsession des flottes aux trésors

La capture de la flotte de la Nouvelle-Espagne par Heyn suscita d'autres expéditions similaires. Mais aucun autre capitaine ne parvint à rééditer l'exploit. Dès avril 1629, une flotte commandée par l'amiral Adriaen Janszoon Pater, que vinrent renforcer d'autres bâtiments commandés tant par des corsaires néerlandais que par des aventuriers d'autres nations, sillonna la mer des Caraïbes. En février 1630, Pater mettait à sac et pillait Santa Marta, à la côte de Carthagène, puis croisant au large de Cuba, manqua de peu l'Armada de Fadrique de Toledo qui escortait les deux flottes espagnoles pour leur voyage de retour en Europe. Deux semaines après le départ de Toledo (juin 1630), l'amiral Ita prennait la relève de son compatriote Pater dans les eaux cubaines après avoir rassemblé ses forces au cap Tiburon, à la côte sud-ouest d'Hispaniola. De Hollande, une deuxième escadre commandée par Booneter fit aussi route vers les Antilles, en même temps que les autorités néerlandaises du Brésil y dépêchaient, elles aussi, quelques vaisseaux. En août, Booneter rejoignait Ita devant La Havane. Les deux amiraux y guettèrent quelques vaisseaux de la flotte de Terre ferme, toujours commandée par Larraspuru, qui n'avait pu rejoindre Toledo à temps à Cuba. Mais Larraspuru prévenu de la présence des Néerlandais devant La Havane emprunta le vieux canal des Bahamas pour retourner en Europe. Laissant Booneter avec une dizaine de bâtiments aux Antilles, Ita quitta les Antilles à son tour.

Au cours des trois années suivantes, les Néerlandais enverront, tant du Brésil que de l'Europe, des escadres pour tenter de s'emparer des flottes espagnoles en Amérique. Leur seul succès notable sera celui de la flotte partie de Pernambouco (Brésil) en avril 1633 sous le commandement de Jan Janszoon van Hoorn. En juillet suivant, celui-ci pilla la ville de Trujillo aux Honduras puis celle de San Francisco de Campêche. Parmi ses capitaines se trouvaient le mulâtre espagnol Diego et, surtout, Cornelis Corneliszoon Jol, qui écumait les côtes américaines, africaines et brésiliennes depuis 1626 pour le compte de la Compagnie des Indes occidentales. Entre-temps, des Espagnols se s'emparaient de l'île de Saint-Martin, dans les Petites Antilles, dont les escadres néerlandaises venant du Brésil se servaient comme escale de ravitaillement. Suite à cette perte, la Compagnie décida de conquérir l'île de Curaçao, située au large des côtes vénézuéliennes.

Le commandement de l'entreprise fut confié à Jan Van Walbeeck et à un Français, Pierre Le Grand. L'expédition ne comptait que 400 hommes au total qui s'embarquèrent sur six navires, mais, une fois sur place, elle fut renforcée par quelques capitaines aventuriers, dont le principal était Diego. Walbeeck et Le Grand arrivèrent à Curaçao à la fin de juillet 1634 et, dès le mois suivant, la petite garnison espagnole de l'île capitulait. Les quelques centaines d'Indiens qui composaient alors la grande majorité de la population et dans lesquels les Néerlandais n'avaient aucune confiance furent déportées près de Coro, sur la côte du Vénézuela. En se rendant maîtres de Curaçao, les Néerlandais s'étaient ménagés une excellente base, encore meilleure que Saint-Martin. Ils étaient résolus d'ailleurs à la conserver, tels étaient les ordres que le capitaine Jol, venant de Hollande, porta au général Walbeeck en février 1635.

à peine arrivé à Curaçao, Jol, accompagné d'un autre capitaine, Cornelis Janszoon van Uytgeest, en appareillait, destination Santiago de Cuba. Là, arborant pavillon espagnol et ses hommes revêtus des robes traditionnelles des chevaliers de l'Ordre de Santiago, il dupa les Espagnols et pilla une demi-douzaine de navires mouillant dans le port. Ayant voulu tenter la même chose mais sans succès devant La Havane, il gagna la côte de Carthagène, où rejoint par deux corsaires commandé par l'un de ses vieux associés, il captura vaisseau espagnol qu'il brûla par dépit avant de retourner aux côtes de Cuba puis en Europe.

Mais, en novembre 1635, en vue des côtes des Pays-Bas, Jol fut capturé par un corsaire de Dunkerque. Il ne retrouva sa liberté, à la suite d'un échange de prisonniers, que six mois plus tard. Cependant, dès août 1636, il appareillait du Texel pour son septième voyage en Amérique. Le gouverneur de Curaçao, Walbeeck, avait personnellement insisté auprès de la Compagnie pour obtenir les services de Jol et de nul autre, celui que les Espagnols avaient surnommé Pie de Palo, en raison de sa jambe de bois, et qu'ils appellaient aussi El Pirata. Dès lors, Curaçao devint officiellement le port de relâche des corsaires battant pavillon des Provinces Unies dans la mer des Caraïbes.

à partir d'octobre 1636 et jusqu'en août 1637, Jol, à la tête de trois vaisseaux auxquels il ajouta bientôt une prise espagnole, croisa d'un bout à l'autre de la mer des Caraïbes, faisant de l'île à Vaches, à la côte sud d'Hispaniola, son escale de ravitaillement. L'objectif était toujours le même: la capture de l'une des flottes aux trésors, sinon des deux. Enfin, en août 1637, il aperçut les Galions sortant de Puerto Belo et allant à La Havane. Cette fois, les Espagnols, beaucoup plus forts et nombreux que le Néerlandais, le prirent en chasse. Rejoints par sept bâtiments corsaires, Jol fit toutefois volte-face pour aller attaquer la flotte espagnole, dont ses capitaines réussirent à capturer un navire qui traîne derrière. Mais, profitant de la confusion entre les sept nouveaux associés de Jol pour savoir quelle part de butin chacun obtiendrait, le reste de la flotte espagnole prit le large. Bientôt d'autres aventuriers vinrent rejoindre les sept premiers et les équipages de Jol pour réclamer leur part de la prise espagnole. Comme Heyn avant lui, Jol se plaindra en vain à son retour en Hollande, à la fin de l'année, de ce genre de compétition.

Plusieurs des corsaires qui avaient joint Jol possédaient en effet des commissions de la chambre de Zélande de la Compagnie des Indes occidentales, alors que Jol, lui, prenaient ses ordres de la chambre de Hollande. Entre les deux principales provinces de l'Union, il commençait à y avoir une sérieuse divergence de vues sur la façon de mener les affaires américaines. Alors que la Hollande commençait à désirer le commerce, la Zélande, elle, voulait continuer la guerre de course, dont profitaient particulièrement les armateurs de la ville de Flessingue.

En 1638, Jol effectua un nouveau voyage en Amérique, avec dix navires cette fois. Après un détour par le Brésil, il entrait dans la mer des Caraïbes en juin. Rejoint encore une fois par plusieurs autres aventuriers qui se placèrent sous ses ordres, parmi lesquels, encore une fois, le fameux capitaine Diego, Jol se présenta en août aux côtes de Cuba et lança trois attaques contre les Galions, commandés par Carlos de Ibarra, qui parvinrent à lui échapper et à gagner le port de Vera Cruz. Avant la fin de l'année, il rallia la Hollande. L'année suivante, Jol la passa en Europe, servant sous les ordres de l'amiral Tromp et participant à la fameuse bataille des Dunes d'Angleterre contre l'amiral espagnol Oquendo. Mais, dès les premiers jours de 1640, il appareillait du Texel, pour ce qui sera son dernier voyage en Amérique.

Après l'escale obligée dans les colonies brésiliennes, Jol fit son entrée dans la mer des Caraïbes en juillet 1640. Il commandait cette fois une flotte d'une trentaine de bâtiments, portant plus de 3500 hommes, qui se réunit à l'île à Vaches au début du mois d'août. Il mit ensuite le cap vers La Havane où vinrent le rejoindre une dizaine de corsaires armés à Curaçao et, en septembre, il entreprennait le blocus de la capitale cubaine. Mais, le 11 septembre, une violente tempête s'abattit sur la flotte néerlandaise qui y perdit le tiers de ses effectifs en navires et la moitié en hommes. En octobre 1640, Jol quittait les Antilles à destination du Brésil. Il n'y reviendra plus: il trouvera la mort l'année suivante, commandant alors une expédition lancée à l'attaque des établissements portugais en Angola.

Curaçao et Providence

Avec la disparition de Jol, l'époque où la Compagnie des Indes occidentales armaient de grosses flottes pour s'emparer des trésors de l'Amérique espagnole était presque terminée. Toutefois, durant les années suivantes et ce jusqu'à la signature de la Paix, à Munster, avec l'Espagne, les corsaires néerlandais, ayant pour base d'opération l'île de Curaçao, continueront à harceler le commercer et même à tenter des expéditions contre les établissements espagnols, comme ce fut le cas pour ceux du lac de Maracaïbo qui furent pillées en octobre 1641.

Curaçao était alors la principale base flibustière de la mer Caraïbes. Cependant l'île anglaise de Providence en était devenue une aussi, moins importante il est vrai, mais beaucoup plus dangereuse que la petite colonie néerlandaise, car au centre de l'empire des Indes. En 1635, Samuel Axe, un aventurier au service de la Compagnie, avait pris des commissions néerlandaises pour piller les Espagnols, ce qui justifia, en partie, une première attaque espagnole contre la colonie anglaise qui se révéla un échec. Dès l'année suivante, toutefois, le comte de Warwick et les autres actionnaires de la Providence Island Company avaient autorisé l'émission de lettres de représailles contre les Espagnols. Cette même année 1636, le capitaine Thomas Newman, venant d'Angleterre avec une commission de la Compagnie, s'associa avec le mulâtre Diego pour piller les Espagnols. Deux ans plus tard, en 1638, arrivait comme nouveau gouverneur Nathaniel Butler, un proche collaborateur du comte de Warwick, qui prit personnellement en charge les entreprises de course. De mai à septembre 1639, ce sexagénaire, un homme de guerre expérimenté et ancien gouverneur des Bermudes, conduisit en personne une petite expédition qui appareilla de Providence à dessein d'aller faire la guerre à l'Espagnol dans le golfe des Honduras. Il se rendit alors facilement maître du port de Trujillo où il ne fit pas grand butin, non sans raison. Quelques temps auparavant, William Jackson, commandant un corsaire armé en Angleterre, sorti de Providence avec une commission de Butler peu de temps avant le départ de celui-ci, y avait pris un vaisseau négrier pour lequel les habitants du bourg avaient payé une forte rançon. Après s'être rendu jusqu'à Cuba, Butler revint bredouille à Providence qu'il quitta bientôt pour Londres.

à la fin de 1640, après le départ de Butler, les Espagnols de Cartagena tentaient une seconde attaque contre Providence, mais ils furent repoussés. Ils récidivèrent dès le printemps suivant (mai 1641) sous les ordres du général Francisco Díaz Pimienta et, cette fois, ils réussirent. Les colons anglais qui survécurent à l'attaque, furent déportés vers l'Espagne et furent remplacés par une garnison espagnole: c'en était fini de la colonie de l'île Providence. Toutefois, avant sa conquête par les Espagnols, le capitaine William Jackson avait entrepris une nouvelle croisière (1642-1645) aux Antilles sous une commission du comte de Warwick, avec comme vice-amiral, Samuel Axe, qui s'était distingué comme corsaire à Providence dans les années 1630. En décembre 1642, Jackson, avec environ un millier d'hommes, recrutés principalement à la Barbade et à Saint-Christophe, attaqua La Guayra, le port de mer de Caracas où ses troupes furent repoussées. L'année suivante, il prit sa revanche en pillant les établissements du lac de Maracaïbo. Et, toujours en 1643, il fit descente à la Jamaïque dont il prit la capitale, Santiago de La Vega, soutirant une bonne rançon aux habitants de celle-ci.

La reprise de l'île Providence par les Espagnols et aussi la disparition des corsaires néerlandais suite aux traités de Westphalie mettant fin à la guerre de Trente ans va donner l'occasion à une toute nouvelle colonie française récemment implantée sur une petite île à la côte nord d'Hispaniola de devenir un nouveau point de ralliement des aventuriers de la mer des Caraïbes, auxquels les corsaires néerlandais au service de la Compagnie des Indes occidentales avaient déjà donné le nom de « vrijbuiters ». L'âge d'or des flibustiers allait commencer.

R. Laprise.