Capitaine de la flibuste
Au XVIIe siècle, sur un navire de guerre privé (corsaire) ou de la marine du Roi ou de l'état, le capitaine est, d'abord et avant tout, un chef militaire. C'est pourquoi, au commerce et à la pêche, lorsque le bâtiment est de faible tonnage, la fonction de capitaine n'existe tout simplement pas: le navire ou bateau est alors commandé par le maître qui est toujours le premier officier marinier du vaisseau. Du capitaine, de ce chef de guerre donc, les hommes et les armateurs, qui se confondent plus souvent en Amérique qu'en Europe - distinction d'importance -, attendent le succès de l'entreprise, qu'il s'agisse d'une course en mer ou d'une descente à terre. Contrairement à l'idée reçue, même dans le cadre particulier de la mer des Caraïbes, la manière dont le capitaine flibustier est choisi ne diffère guère de ce qui se pratique alors en Europe pour les corsaires. Le livre d'Exquemelin a contribué beaucoup à l'image des flibustiers ayant tout pouvoir dans le choix de leurs capitaines. Si cette affirmation n'est pas totalement fausse, elle demande quand même quelques nuances.
En général, les flibustiers n'élisent pas leurs chefs: ils ne font que choisir avec quel capitaine ils s'embarqueront. Tout ici est une question du respect de la propriété du bâtiment et des droits des armateurs (voir chapitre 4 sur la chasse-partie). En effet, ce sont les gens qui arment le navire, tout comme en Europe, qui auront le dernier mot sur la nomination de son commandant. Ils portent certes souvent leur choix sur un personnage populaire auprès des hommes qui aura généralement fait ses preuves dans l'action, ce qui n'est pas encore là une particularité de la flibuste, car à la course, quelles que soient les latitudes, tous désirent le succès de l'entreprise. L'élection, au sens strict, du capitaine, se présentera alors lorsque le bâtiment sera la propriété commune de la compagnie.
Dans deux autre cas, les hommes pratiqueront l'élection. D'abord, au décès de leur capitaine, ils pourront choisir le successeur de celui-ci. Cela se vérifie pour Moïse Vauquelin en 1668. Cette année-là, ayant fait naufrage avec son navire, il s'embarque, avec ses hommes, sur un corsaire armé en France et commandé par le chevalier du Plessis, croisant alors dans les Antilles. Lorsque, peu de temps après, le chevalier est tué dans un combat contre les Espagnols, Vauquelin est élu capitaine à sa place. Toutefois, si Vauquelin n'avait pas eu derrière lui l'appui de ses propres hommes et si le bâtiment avait été armé en Amérique, il n'aurait sûrement pas eu préséance sur les lieutenants du défunt capitaine. Ainsi en 1683, à la mort de Van Horn qui avait armé au Petit-Goâve et y avait recruté tout son équipage, son lieutenant Granmont hérite le commandement de son vaisseau. De même en mer du Sud, en 1684, à celle de John Cook auquel succède le plus expérimenté de ses officiers.
Il y aura aussi élection d'un capitaine lorsqu'une partie de l'équipage décide de continuer le voyage à son propre compte sur un autre bâtiment, habituellement une prise. Cette pratique est cautionnée par la tradition des voyages en Amérique où; elle se rencontre au moins dès le début du XVIIe siècle. La tradition veut, en effet, que, dès que l'on quitte le navire sur lequel l'on est parti, l'on soit, en quelque sorte, dégagé de ses obligations envers les propriétaires de celui-ci. Par exemple, à la côte de Carthagène, en 1685, une partie de l'équipage de Laurens De Graff se sépare de lui et, s'embarquant sur une prise espagnole, choisissent leur chef. Cette rupture résulte d'un différend entre De Graff et plusieurs de ses hommes à propos de la convention régissant les règles de leur voyage. À d'autres occasions, le capitaine initial ne sera pas mis en cause. Souvent, il arrive qu'un capitaine embarque à son bord des hommes qui se trouvent dégradés sur certaines îles ou côtes, à la suite d'un naufrage par exemple. Et ces «dégradés» ou naufragés, préférant restés ensemble, obtiennent de leur sauveteur la promesse de leur donner la première prise qu'il fera. Pareil arrangement fut convenu entre Vauquelin et sa compagnie et le chevalier du Plessis, mais elle fut rendue nulle par la mort de celui-ci. Même chose pour un groupe de flibustiers anglais revenant d'une expédition dans le Pacifique en 1681, qui voyagent ensuite avec le capitaine Wright qui leur donne un bâtiment espagnol au commandement duquel ils élisent l'un des leurs, John Cook.
Si les flibustiers peuvent dans certains cas procéder eux-mêmes à la désignation de leurs chefs, est-ce à dire qu'ils peuvent aussi le destituer? Oui, mais les hommes préfèrent souvent se dégrader volontairement pour attendre le passage d'un autre flibustier, laissant leur capitaine avec seulement une poignée de fidèles pour manoeuvrer le vaisseau, le mettant en risque de plus être capable de tenir la mer ou de tomber aux mains des Espagnols. Ces situations demeurent isolées et sont généralement liées à la décision des autorités de la Jamaïque ou de Saint-Domingue d'interdire la course contre les Espagnols et à la volonté des capitaines de s'y conformer. En 1664, le capitaine Swart fait ainsi face à ce genre de désertion. Sept ans plus tard, après l'affaire de Panama, John Morris y sera confronté à son tour. À l'inverse, comme le mentionne Exquemelin, des équipages abandonnent leur capitaine sur une île avec ses armes. Mais le seul exemple recensé pour la période 1648-1688 concerne plutôt le commandant d'un bâtiment marchand jamaïquain, qui, en 1686, subit ce sort pour avoir refusé de courir sus à l'Espagnol. Pas d'exemple semblable pour des navires clairement identifiés comme flibustiers.
De véritables mutineries surviennent aussi. Selon le capitaine qui est en la cible, elles peuvent se terminer dans le sang. En 1682, le fameux John Coxon, ayant une nouvelle fois fait sa soumission au gouverneur de la Jamaïque et renoncé à écumer les mers, reçoit la mission de ramener à la Jamaïque des Anglais vivant de la coupe du bois de campêche dans les Honduras. En route, une mutinerie éclate à son bord pour le forcer à reprendre la course. Coxon, dont le courage est bien connu, en vient à bout à lui seul: ils tuent deux mutins de sa propre main, en balance onze par-dessus bord et en ramène deux prisonniers à Port Royal pour y être jugés. Moins chanceux que son vieil associé Coxon, le capitaine Sharpe, quant à lui, est destitué de son commandement, pacifiquement toutefois, suite à un complot ourdi par.. son ami et lieutenant, John Cox. L'entreprise sous la conduite de Sharpe n'allant nulle part dans un milieu hostile et étranger, les hommes n'hésitent donc pas, le plus fidèle en tête, à remplacer leur chef par un vétéran de la flibuste. Mais ce dernier exemple se situe dans le contexte particulier des expéditions en mer du Sud où; les flibustiers sont littéralement coupés de leurs bases et où; chaque difficulté est durement ressentie par les hommes, ce qui ressemble beaucoup à la situation prévalant dans la mer des Caraïbes avant la création des colonies anglaises et françaises dans les Grandes Antilles. D'ailleurs, trois ans après Sharpe, en 1684, et toujours dans le cadre d'un voyage dans le Pacifique, le capitaine Davis sera aussi victime d'un complot visant à le remplacer, lequel avortera cependant.
Si les flibustiers n'ont pas toujours leur mot à dire dans le choix du capitaine, il en va tout autrement dans la conduite du voyage. Lors de son expédition des Honduras, en 1667, le capitaine Nau veut entraîner son monde plus avant vers l'intérieur des terres, mais il doit y renoncer suite aux protestations de ses hommes fatigués. De même, immédiatement après la prise de la Vera Cruz, Van Horn essuie le refus de ses siens ainsi que celui de ses associés d'attaquer la flotte de la Nouvelle-Espagne, l'entreprise étant jugée trop risquée et peu lucrative. Le pouvoir des équipages ne se manifeste pas uniquement sur la destination à l'aller, mais aussi sur celle au retour comme le font deux compagnies françaises de la Tortue qui se retirent à la Jamaïque en 1666 en dépit désaccord de leurs capitaines respectifs qui n'ont d'autre choix que de les suivre. L'une des plus désagréables aventures du genre arrive, en 1678, au corsaire Lemoign, armé en France faut-il le spécifier, qui avait pris à Saint-Domingue la majorité de son équipage qui le forcent à aller liquider une partie de leurs prises en Nouvelle-Angleterre. Les équipages s'arrogent également très souvent le droit de déclarer ou non un bâtiment de bonne prise. Ainsi, en 1670, suite à la capture d'un vaisseau portugais égaré à la côte de Caracas, le capitaine Trébutor décide de le relâcher, mais il doit s'incliner devant les pressions de ses hommes. C'est ce que soutient le gouverneur de la Tortue, qui a non seulement délivré la commission en guerre à Trébutor mais financé aussi en partie sa course. S'il n'y avait que ce témoignage, l'on pourrait parler de complicité entre les hommes, leur capitaine et le gouverneur-armateur, mais la victime du pirate elle-même dépose, sous aucune contrainte, une fois rendu à Lisbonne, dans le même sens que celui-ci.
Il serait cependant abusif de croire qu'il n'existe aucune complicité entre le capitaine, son équipage et l'officier colonial qui les a autorisés à partir en expédition. Le capitaine joue un rôle important dans cette relation triangulaire. Au retour de course, il défendra les agissements de ses hommes, vantera leur mérite et leur bravoure, passera sous silence leurs écarts de conduite. Le gouverneur, lui, fermera les yeux sur plusieurs fautes, car quand il n'est pas armateur lui-même, il tire des revenus appréciables des activités des flibustiers. Ainsi l'on verra d'extraordinaires revirement d'opinions chez certains administrateurs coloniaux. Thomas Modyford, par exemple, avait été un farouche opposant de la flibuste du temps où; il vivait à la Barbade, mais, à la suite de sa nomination comme gouverneur de la Jamaïque, dont c'était alors la principale industrie, il va tout mettre en oeuvre pour favoriser les corsaires. Il arrive aussi qu'en Europe, la métropole interdise formellement la course, mais jamais pour une longue période, sauf exception à la Jamaïque de 1677 à 1688. Alors le rôle du capitaine devient essentiel. Les hommes, la plupart du temps, ne veulent pas quitter leur métier. Il se révoltent alors, comme les équipages de la flotte de Granmont le firent aux Honduras en 1686, décidant de continuer le voyage tant qu'ils n'auraient pas fait un butin important, contre l'avis de leurs capitaines prêts à obéir aux ordres du Roi. Qu'à cela ne tienne, leurs chefs suivront, les mutins leur signant une décharge en ce sens. Si, dans ce cas précis, un capitaine avait acquiescé publiquement à la volonté de ses hommes, il serait devenu un forban et par voie de conséquence eux aussi, le lien entre l'équipage et l'autorité coloniale étant définitivement rompu. Mais cela bien peu le souhaite à la vérité tant du côté des hommes que des chefs.
Le seul domaine où; l'équipage n'a aucun mot à dire est celui du combat où; le capitaine possède tous les pouvoirs. Là, les vieilles lois de la guerre l'emportant sur tout, il n'hésitera même pas à tuer l'un de ses hommes s'il refuse d'aborder un navire ou recule lors de l'assaut d'une place forte. Dans ces circonstances, lorsque le chef commande, les hommes lui obéissent ordinairement. Quelques uns, comme Van Horn, s'il faut en croire le livre d'Exquemelin, avait l'habitude d'abattre tout homme qui paraissait faiblir tant soit peu dans la bataille. Caricature selon toute vraisemblance, mais qui illustre bien la toute puissance du capitaine en matière de guerre, là où; il est vraiment le seul maître après Dieu.
Profil du capitaine
L'officier commandant un vaisseau de la marine du Roi ou de l'état, un corsaire ou même un bâtiment marchand n'est pas toujours un marin expérimenté. Parfois, ses connaissances maritimes sont réduites au strict minimum et, pour la navigation, il dépend soit du maître et du contremaître du navire (les véritables spécialistes de la navigation) qu'il monte soit de ses pilotes. En France et aussi en Angleterre et en Espagne, il provient de la moyenne ou petite noblesse, plus souvent de la grande bourgeoisie des cités marchandes à vocation maritime, car les commandants de navires sont souvent apparentés aux armateurs. Les capitaines, que l'on pourrait qualifier de «naissance obscures», existent, mais demeurent peu nombreux. Dans une société de classes comme celle du XVIIe siècle, la naissance est très importante. Plus le rang du capitaine est élevé dans l'échelle sociale plus il imposera un certain respect aux personnages qu'il rencontrera sur son chemin, amis ou ennemis, avec lesquels il devra transiger.
Chez les flibustiers, le profil du capitaine diffère quelque peu. D'une part, les établissements coloniaux sont encore trop récents pour avoir de véritables dynasties de grands bourgeois tirant profit des entreprises sur mer, comme l'on voit en France et en Angleterre et au sein desquelles se recrutent souvent les capitaines. D'une autre, les nobles véritables ne se bousculent pas aux Antilles, sauf pour y exercer des fonctions dignes de leur rang. Donc il se trouve parmi eux beaucoup plus d'hommes de mer qu'ailleurs, ou du moins dont l'expérience est plus grande que leurs homologues d'outre Atlantique. Un examen sommaire de l'origine sociale de quelques capitaines flibustiers mis en parallèle avec leurs compétences ou expériences maritimes antérieures permettra de le confirmer. Cet examen reste toutefois très imparfait en raison de la rareté des données.
Premier constat, les membres de la noblesse sont très rares. En fait, il n'existe qu'un seul exemple assuré de capitaine noble chez les flibustiers. Il s'agit du sieur de Granmont, issu d'une très ancienne famille de France. Comme d'autres nobles, souvent des fils cadets, il aurait, selon le livre d'Exquemelin, commencé par servir dans un régiment de marine pendant quelques années, emploi militaire où; l'on apprend vraiment peu de choses sur la navigation. Son service terminé, il obtient le commandement d'un vaisseau armé en course avec lequel, vers le milieu des années 1670, il s'en va faire la guerre aux Hollandais dans les Antilles. Il est très difficile de voir en Granmont un homme de mer expérimenté. Mais ses qualités sont ailleurs, celles d'un excellent chef de guerre. Sa réputation de meneur d'hommes et non de marin va le faire choisir naturellement comme général des flibustiers de Saint-Domingue par le gouverneur Cussy en 1684.
Chez les Anglais, le capitaine le plus distingué par ses origines ou plutôt son statut social n'est qu'un chevalier, sir Thomas Whetstone. Cet homme qui a dû s'exiler à la Jamaïque pour échapper à ses créanciers ne fait d'ailleurs pas la course très longtemps, tout au plus deux ans entre 1662 et 1664. En revanche, les simple gentilshommes apparaissent plus nombreux, le plus connu étant le fameux Henry Morgan, d'une excellente famille du Pays de Galles mais ayant surtout de puissantes relations qui contribuèrent sûrement autant à son élévation que ses exploits comme de chef de flibustiers. Ses oncles paternels, sir Thomas et le colonel Edward, furent le premier l'adjoint du général Monck artisan de la restauration des Stuart sur le trône d'Angleterre et le second un officier de carrière qui combattit longtemps en Europe continentale avant de terminer sa carrière comme gouverneur adjoint de la Jamaïque. Comme Granmont, ce sont surtout ses qualités de chef de guerre qui font apprécier Morgan et lui vaudront maints succès dans ses entreprises ainsi, qu'en récompense, le rang de chevalier.
Dans la catégorie des gentilshommes peuvent être classés Jean Bernanos et un certain Du Mesnil, qui commandaient chacun un bâtiment corsaire à Saint-Domingue au début des années 1680. Fait à remarquer, dans une liste dressée en 1684, ces deux hommes, outre Granmont, sont les seuls, sur une possibilité de 16 capitaines, auxquels le gouverneur Cussy donne le titre de courtoisie «sieur» suivi de la particule nobiliaire «de» ou «du», tous les autres étant seulement nommés capitaines. La carrière du premier de ces deux hommes mérite d'être examinée brièvement car elle montre bien une fois de plus qu'il n'est pas nécessaire d'être marin pour commander un corsaire. Avant d'arriver à Saint-Domingue, Bernanos avait servi comme... capitaine de cavalerie! à la fin des années 1670, il joint, probablement comme lieutenant, la compagnie du capitaine Wright, un Anglais établi au Petit-Goâve. Puis, au retour d'une expédition, en 1679, il trouve des commanditaires et arme son propre bâtiment. Cet homme n'a rien d'un marin pourtant il commandera par la suite des vaisseaux relativement petits pendant une douzaine d'années, ce qui fait mentir un certain adage qui veut que plus le bâtiment est petit plus son capitaine est marin. Parmi les gens de «bonne famille», l'on peut encore mentionner le capitaine Champagne, de Vitry-le-François, dont la réputation guerrière prend aussi le pas sur celle de marin.
Mais la majorité, à l'exemple de François Trébutor, considéré de son temps comme le meilleur pilote en Amérique, sont de naissance commune. Dans les années 1660, à la grande époque de la Jamaïque et de la Tortue comme bases flibustières, nombre de capitaines d'origine obscure, ou plutôt indéterminée, possèdent une grande expérience de l'Amérique et, souvent, par voie de conséquence de la navigation dans la mer des Caraïbes. Avant de devenir capitaine, Nau l'Olonnais est successivement engagé, boucanier puis flibustier. L'un de ses adjoints dans ses expéditions de Maracaïbo et des Honduras, Moïse Vauquelin, quoiqu'il pourrait appartenir à une famille bourgeoise de Rouen, et l'associé de celui-ci Bequel ont, en 1670, près de vingt ans de métier derrière eux. Le vieux Mansfield, décrit par le gouverneur de la Jamaïque comme un excellent caboteur, en avait probablement encore plus au moment de sa mort en 1668. Tout comme son compatriote Blauvelt dont l'on peut retracer la présence en Amérique aussi loin que dans les années 1630. Et que dire enfin du mulâtre Diego qui, de 1629 à 1673, sous tous les pavillons possibles fit la guerre aux Espagnols en Amérique. Chez les Anglais de la Jamaïque, il existe toutefois un haut taux de roulement des capitaines, car plusieurs ne font alors que quelques voyages, le temps d'amasser suffisamment de richesses pour monter une plantation comme Richard Guy, ou se lancer dans le commerce comme Bernard Claeszoon Speirdyck. Il faut cependant citer, parmi les Jamaïquains ayant une grande expérience de l'Amérique, des capitaines comme William James, Morris Williams et Robert Searle (apparenté toutefois à un ancien gouverneur de la Barbade).
Après la disparition de ces vétérans, au début des années 1670, d'autres marins prennent leur relève au commandement des vaisseaux flibustiers écumant la mer des Antilles sous pavillon français. L'on retrouve ainsi John Coxon qui devient flibustier après avoir commandé des petits bâtiments faisant la navette entre la Jamaïque et les camps de bûcherons dans la baie de Campêche. À son exemple, le capitaine Wright semble lui aussi avoir commandé des contrebandiers avant de se lancer dans la guerre de course. Chez les Français, des hommes qui avaient obtenu leurs premiers commandements en course dans la décennie précédente tels que Dumoulin, Le Gascon, et Picard, sont encore mentionnés comme chefs flibustiers.
à signaler aussi, parmi les flibustiers, la présence constante de capitaines d'origine néerlandaise, dont la réputation d'excellents marins n'est presque jamais démenti. D'ailleurs, un capitaine français, Le Sage, fit ses premiers voyages en Amérique avec des Hollandais. Ainsi l'on retrouve, dans les années 1660, à la Jamaïque, les Blauvelt, Mansfield ainsi que les David Marten, Speirdyck, Jan Erasmus Reyning et probablement un capitaine nommé John Harmenson. La décennie suivante en voit moins, probablement en raison de l'état de guerre régnant entre l'Angleterre et la France et les Provinces-Unies. Ce qui n'empêche cependant pas des Hollandais et des Zélandais de se joindre aux flibustiers anglais et français. En effet, les chefs flibustiers d'origine néerlandaise reviennent en force, à Saint-Domingue cette fois, au début des années 1680. Ce sont les Michel Andrieszoon, Laurens De Graff, Jacob Evertsen et Yankey, tous marins de grande valeur dont le gouverneur de la Jamaïque essaiera tantôt de s'attacher les services tantôt de capturer tant ils causent de dommages au commerce de l'île avec les Espagnols. Le plus célèbre de tous est sûrement Laurens De Graff, qui servit quelques années les Espagnols avant d'être capturés par des flibustiers et obtenir un premier commandement vers 1676. Marin exceptionnel certes, mais il lui manque les qualités de chef de guerre d'un Granmont ou d'un Morgan, ce qui lui vaudra d'ailleurs de perdre le poste d'officier colonial que lui avait accordé le roi de France suite à son retrait de la flibuste. Car il faut le rappeler les flibustiers ne portent pas seulement la guerre sur mer mais aussi et très souvent sur terre.
Dans leurs expéditions, les flibustiers se réunissent parfois plusieurs compagnies ensemble. À ces occasions, un commandant en chef est élu, en conseil parmi les capitaines. Le chef ainsi choisi est appelé général, car il devient le capitaine général de la flotte ou de l'expédition. Il est souvent secondé par un amiral de la flotte, à l'exemple des Espagnols. Ces deux noms sont parfois remplacé, en anglais, par ceux d'amiral et de vice-amiral. Mais les flottes de flibustiers sont rarement engagé dans des batailles navales et servent plutôt de transport aux troupes pour des expéditions de pillage contre les places espagnoles, et le nom de général l'emporte presque toujours. Il arrive aussi que le gouverneur de la Jamaïque ou celui de Saint-Domingue nomme lui-même le général, ne faisant souvent qu'officialiser la volonté de la majorité comme ce fut le cas pour Morgan et Granmont. D'autres fois, ce général sera un officier de la Marine du Roi, tels que Christopher Myngs ou le marquis de Maintenon.
Autres officiers
Au côté du capitaine ou chef, chaque bâtiment flibustiers possède aussi un certain nombre d'autres officiers. Ils se divisent en deux catégories: d'abord ceux que l'on qualifie de «mariniers», ensuite les officiers subalternes que l'on retrouve dans toute les marines de guerre de l'époque.
Au tout début du présent chapitre, le nom de maître a été mentionné. À la différence du capitaine qui s'occupe du côté militaire du voyage, il s'occupe, lui, de tous les aspects de la navigation. Chez les flibustiers, surtout si le bâtiment est de faible tonnage, les fonctions de capitaine et de maître reviennent ordinairement au même homme. Cependant, dès que le vaisseau est plus grand et que surtout la compagnie devient nombreuse, la maistrance est attribuée à une personne différente. Même dans ce cas, plusieurs capitaines flibustiers pourrait s'en passer, mais il est souvent difficile, voire impossible, pour un homme seul de commander 50, 100, 200 ou 300 autres sans déléguer une partie de son autorité. Ce sera donc pour lui une manière de s'attacher par exemple quelque forte tête en lui faisant cet honneur, de récompenser un ami ou plus simplement de prévoir un remplaçant d'expérience en cas de maladie ou de décès. Ainsi, lorsqu'il doit retourner à Saint-Domingue pour raison de santé en 1684, Laurens De Graff confie le commandement de son vaisseau à son maître Brouage, qui le garde pendant environ six mois jusqu'au retour de son chef. Autre caractéristique du maître à la flibuste, c'est qu'il est presque toujours le pilote du vaisseau, comme Cowley sur le Batchelor's Delight (capitaine John Cook) qui entreprend en 1683 une croisière aux côtes de Guinée. Il n'est pourtant pas seul dans ses fonctions, qu'il partage avec un contremaître. En effet, par tradition, à la mer, la compagnie est toujours divisée en deux. Une partie de l'équipage assure ainsi le service du vaisseau pendant que l'autre se repose. D'où; en anglais, le nom de «master's mate», le compagnon du maître, qui correspond au «contremaître».
Outre le maître et le contremaîtres, l'on compte un autre officier marinier, dont le rôle est fort important chez les flibustiers. Il s'agit du quartier-maître, en fait des quartiers-maîtres, car eux aussi viennent toujours en double, d'où; l'expression quartier-maître du capitaine, que l'on retrouve parfois. Si le nombre de d'hommes est très élevé, ils peuvent même être quatre. Ils sont généralement choisis parmi les flibustiers les plus expérimentés, parfois même leurs compétences maritimes dépassent celle du capitaine et du maître, comme Edward Davis sur le Batchelor's Delight en 1683, lequel sera d'ailleurs élu capitaine de ce vaisseau à la mort de John Cook l'année suivante. Chaque quartier-maître commande à une partie de l'équipage durant les manoeuvres de navigation, veillant à l'exécution des ordres du capitaine, du maître ou du contremaître. Il en est de même durant le combat. Mais son importance est ailleurs à la flibuste: il assure le lien entre les hommes et le capitaine, veillant sur les intérêts du premier contre les excès possibles du second. En fait, le quartier-maître joue le rôle que l'officier du même nom a à l'armée, soit de veiller à la subsistance des troupes. Dans le cadre particulier de la flibuste, les quartiers-maîtres seront aussi ceux que l'équipage désignera pour les représenter lors de la signature de la chasse-partie, la convention établissant les termes et les règles de chaque expédition entreprise par des flibustiers. À ce titre, ils participeront aussi aux conseils de guerre. Ils ne sont donc pas des créatures du capitaine, qui n'a que peu à dire concernant leur désignation, sauf si ce n'est que d'approuver le choix fait par ses hommes.
à l'autre catégorie d'officier, celle des militaires, appartiennent le lieutenant et l'enseigne, qui est de rang moins élevé que le premier, postes que l'on retrouve déjà à l'armée comme subordonnées immédiats du capitaine dans une compagnie. Et, comme à l'armée, ces deux officiers sont généralement des hommes jeunes sans véritable expérience tant de la guerre que de la mer. Plusieurs en sont à leur premier voyage. Ainsi le sieur d'Hulot, qui avait servi comme volontaire sur des vaisseaux du roi pendant au plus deux ans, devient lieutenant de Granmont sur le Hardy en 1684. D'Hulot venait d'arriver à Saint-Domingue avec le nouveau gouverneur Cussy, preuve que ce poste, comme celui d'enseigne qui lui était inférieur, n'en était un de prestige seulement. Pourtant, dans d'autres cas, le lieutenant est un vétéran de la flibuste, qui peut être ou non recommandé par le gouverneur. Toujours sur le Hardy alors que cette fois Van Horn en était le capitaine, c'est le sieur de Granmont qui est nommé à ce poste au début de 1683. Ces deux officiers sont toutefois facultatifs. Chez les Anglais surtout après 1674, alors que l'Angleterre n'est plus en guerre aux Antilles jusqu'en 1689, et règle générale si le bâtiment est petit, ils sont pratiquement inexistants, du moins ne sont-ils pas mentionnés.
R. Laprise.