Le Diable Volant

Le Diable Volant

L'époque, les moeurs et les coutumes des flibustiers

Le bâtiment

Dans le contexte américain, les flibustiers, quoique d'abord des aventuriers gentilshommes de fortune avant d'être marins, ne peuvent se passer de navire. Seule la mer des Caraïbes permet de faire le lien entre les îles qui la parsèment et le littoral du continent américain, et, par extension, avec l'Europe qui profite des richesses de ce nouveau monde. Au XVIIe siècle, le navire européen qui sillonne les eaux américaines possèdent certaines caractéristiques de base qu'il est important de connaître.

Le corps de ce bâtiment est fait entièrement de planches de bois, principalement de chêne, en bordée, dont on assure l'étanchéité avec de l'étoupe et du goudron. Qu'il soit ponté ou non, il va toujours à voiles, carrées ou triangulaires (dites latines), ayant, pour les supporter, de un à trois mâts, sans compter le beaupré long mât sortant de la proue, c'est-à-dire de l'avant du navire. La fameuse roue de gouvernail n'existe pas au XVIIe siècle. Elle ne fera son apparition qu'au siècle suivant. On gouverne alors le bâtiment grâce à la barre, dite aussi manuelle. Les améliorations techniques qui ont été apportées aux navires depuis le début du siècle sont dues principalement aux Hollandais. Toutes les nations européennes ayant un accès à la mer les ont adoptées. D'ailleurs, la France fera venir à grand frais des maîtres-charpentiers de Flandre et de Hollande pour reconstituer sa flotte au début des années 1660. Ainsi est-il assez difficile de connaître l'origine d'un navire simplement en le voyant, d'où l'importance accordée au pavillon qui sera abordée à la toute fin du présent chapitre.

Règle générale, sont appelés vaisseaux ou navires les bâtiments de 100 tonneaux et plus. En dessous de ce tonnage, ils sont connus sous le nom générique de bateaux. La taille du bâtiment est, en effet, toujours évaluée en terme de tonnage, mesure du son poids transportable. Chaque tonneau équivaut à environ une tonne métrique de capacité de transport. Mais cette mesure demeure très imprécise. Par exemple, un vaisseau de 200 tonneaux mesure environ 25 mètres en longueur; un de 500 en aura, quant à lui, de 30 à 45. Outre les noms généraux de bâtiment, vaisseau, bateau et navire, il existe d'autres appellations plus spécifiques, dont la signification exacte est souvent très vague.

Les principaux types de bâtiments que l'on rencontre dans la mer des Caraïbes et qui sont utilisés par les flibustiers sont décrits ci-dessous :

  • barque longue. — Parfois appelée simplement barque ou bateau, c'est un bâtiment dont le port n'excède pas 50 tonneaux et qui mesure au plus 16 mètres de long. Pontée ou non, elle se distingue par l'absence de huniers (hautes voiles) et ne porte qu'un mât, en plus d'un long beaupré. À la différence du bâtiment à voile carrée (comme la frégate) qui a besoin de cinq aires de vent pour naviguer, la barque n'a que deux voiles: un foc et une grande voile à corne, toutes deux s'amenant et se réduisant sans que l'on ait à grimper dans la mature. Cette maniabilité et son faible tirant d'eau en font un bâtiment idéal pour le cabotage parmi les cayes et le long des côtes. En moyenne, elle porte 40 hommes et est armée de quatre canons. Les Espagnols lui donnent parfois le nom de bélandre, mot d'origine néerlandaise qui désigne un bateau à fond plat conçu pour le cabotage. Quant aux Anglais, tantôt ils l'appellent sloop tantôt ils font une distinction entre ce dernier et la barque longue.
  • brigantin. — Petit vaisseau, d'environ 60 ou 70 tonneaux, parfois non-ponté, marche à la voile. Il possède généralement deux mâts, dont le principal peut combiner voiles carrées et latines. Léger, il est d'un maniement facile. C'est un bâtiment idéal pour la course. En moyenne, il est monté par 60 hommes et porte huit canons.
  • flûte. — C'est un vaisseau ventru à fond plat. De conception hollandaise, elle porte entre 100 et 300 tonneaux. Lourd et lent, elle est surtout utilisée au commerce en raison de sa grande capacité de transport. Les flibustiers ne conservent ce genre de bâtiment pour leur usage faute de mieux ou pour le transport de troupes. Au-dessous de 100 tonneaux, la flûte est nommée flibot. Au-delà de 300 tonneaux, on l'appelle généralement hourque.
  • frégate. — Ce petit vaisseau ponté à trois mât, fait pour la marche rapide, est, avec le brigantin et la barque, le bâtiment idéal pour la course. Les plus petites frégates ne portent que 50 tonneaux et les plus grosses jusqu'à 300. Au-delà, elles sont appelée simplement vaisseaux, nom qui tend d'ailleurs à se généraliser à ces petites unités. Selon sa taille, la frégate porte de 50 à 200 hommes et est armée de 10 à 30 canons.
  • vaisseau. — Nom générique sous lequel l'on désigne les navires de guerre du Roi ou de l'état. Ils sont habituellement classés selon leur tonnage sur une échelle de cinq rangs. Les plus gros navires seront ainsi qualifiés de vaisseau du premier rang.
  • galiote. — Petit bâtiment qui va à voile et à rame, dont le port varie de 15 à 30 tonneaux.
  • pinque. — Grand bateau conçu pour la pêche, du port d'environ 50 tonneaux. Comme pour la flûte, il s'agit d'un bâtiment de conception hollandaise.
  • quaïche. — On appelle ainsi un bateau ou une grosse barque longue, qui possède un petit artimon latin mais des voiles et huniers carrées. La quaïche est surtout utilisé pour le transport des vivres. Les Anglais l'appellent ketch.
  • tartane. — C'est un bateau ponté d'au plus 60 tonneaux qui se distingue par un seul mât et une voile latine. Elle est souvent assimilée à la barque longue, dont elle ne diffère que par sa voilure.
  • pirogue. — L'utilisation de ce nom peut porter à confusion car elle fait d'abord référence à une petite embarcation, genre canot, utilisée par les Indiens. Ce bâtiment est propre aux Espagnols des côtes et des îles de l'Amérique. Il tire son origine des grandes pirogues utilisées par les Caraïbes dans leurs raids contre leurs ennemis dans les Antilles, lesquels vont à rames seulement. Les Espagnols y ont ajouté des mâts et des voiles et s'en servent eux aussi pour la guerre, notamment à partir de Campêche et de Cuba. La pirogue mesure un peu moins de 30 mètres et peut être montée par 120 hommes. On la qualifie parfois de galiote ou de demie galère.
  • galion. — Au XVIIe siècle, ce nom désigne, en portugais et en espagnol, de très gros navires de guerre assurant la défense des deux convois qui transportent les richesses des Amérique en Espagne. En fait, ces vaisseaux eux-mêmes transportent à leurs bords la part de ces trésors, surtout en argent, revenant au roi d'Espagne. Contrairement au mythe, aucun flibustier ne réussit jamais à capturer un tel navire.
  • patache. — Les Espagnols donnent ce nom au petit vaisseau de guerre qui accompagnent les plus grosses unités pour leur servir d'éclaireur ou des gros bâtiments marchands qu'ils accompagnent comme escorte. Ce n'est pas à proprement parler un type de bâtiment, mais bien une fonction que remplit un petit bâtiment comme une barque longue, une pinque ou une tartane.

Jusqu'à tard dans les années 1670, les flibustiers utilisent surtout de petits bâtiments: barques longues, sloops, brigantins et frégates. Avec leur faible tirant d'eau, ils sont d'excellents caboteurs et permettent, le cas échéant, de semer des navires hostiles plus puissants en eaux peu profondes là où ceux-ci ne peuvent s'aventurer sous peine d'échouer sur les hauts fonds. Mais leur port moyen est d'environ 50 tonneaux, ce qui limite le nombre d'hommes qui peuvent y embarquer, surtout pour des expéditions contre des places espagnoles qui en exigent beaucoup. Les plus grands bâtiments flibustiers pour la période allant de 1660 à 1671 n'excèdent pas 150 tonneaux et servent généralement de navire-amiral pour les descentes à terre. Cependant à partir de la fin de la décennie 1670, les vaisseaux flibustiers de 200 et 300 tonneaux deviennent courants. Sur les 17 bâtiments dépendant de Saint-Domingue en 1684 et quoique le tonnage ne soit pas indiqué pour aucun d'eux, cinq peuvent être inclus dans cette catégorie. La relation entre l'augmentation du nombre de flibustiers et l'offre limité de bâtiments disponibles pourrait expliquer cette situation.

Les flibustiers se procurent habituellement leurs bâtiments aux dépens des Espagnols, mais aussi, à compter de la guerre de Hollande, à ceux des Néerlandais qui sont très impliqués dans la traite des esclaves avec les colonies hispaniques en Amérique à partir de leur base de Curaçao. De plus, lorsque leur navire est vieux ou à besoin d'être radoubé, ils préfèrent l'abandonner et monter à bord d'une prise faite récemment, comme ce fut le cas, par exemple, en décembre 1683, à la côte de Carthagène pour les capitaines Laurens et Michel qui firent l'acquisition de gros vaisseaux espagnols. Cette pratique serait impensable en Europe pour des corsaires, qui doivent obligatoirement, sauf cas de force majeure, ramener leurs prises à leur port de commission. Mais en Amérique l'absence d'arsenaux dans les colonies de la France et de l'Angleterre aux Antilles, de même la rareté relative des matériau indispensable au carénage des navires (voiles, cordages, ancres, etc.), force les flibustiers à cet expédient. Encore faut-il préciser, qu'à la Jamaïque, en raison des lois britanniques sur la navigation qui interdisent les navires de fabrique étrangère dans les colonies, plusieurs petits bâtiments, surtout des barques et des sloops, seront mis en chantier et serviront au commerce, de là à la contrebande et éventuellement à la flibuste.

Tous les navires flibustiers ne sont pourtant pas des prises faites sur les Espagnols ou les Néerlandais. Quelques uns viennent d'Angleterre et de France. Parfois ce sont des corsaires ayant armé en Europe à l'exemple de Granmont et de Lemoign qui prennent à leurs bords des flibustiers pour compléter leur équipage. Dans d'autres cas, ce sera des navires marchands, qui en période de guerre, seront incorporés de gré ou de force dans un armement flibustier.

Dans certaines circonstances exceptionnelles, les flibustiers construiront aussi leurs bâtiments. En fait, ils ne partent que rarement à zéro et reconstruisent souvent à partir de l'épave de leur ancien bâtiment ou d'un autre qui sera à leur portée. Pareille situation se produit en 1667 lorsque l'Olonnais échoue son bâtiment aux côtes du Nicaragua. La même chose en 1685 en mer du Sud, lors de la rupture entre les flibustiers français et leurs associés anglais: n'ayant pas assez de place sur le navire de Grogniet, leur principal chef, les Français en son réduit à construire des bâtiments légers ressemblant à de petites galères, à partir d'une prise espagnole.

Tous les bâtiments flibustiers, sauf ceux de très faibles tonnage et de tirant d'eau, portent aussi des embarcations à rames, généralement une ou deux, indispensables pour aller à terre ou simplement pour se rendre d'un navire à l'autre. Ce sont les canot, chaloupe et pirogue, laquelle il ne faut pas confondre avec la pirogue de guerre espagnole. Ceux-ci peuvent être plats à la poupe ou effilés aux deux extrémités. Les flibustiers les construisent parfois eux-mêmes, d'une seule pièce dans un tronc d'arbres. Mais, tout comme leurs bâtiments, ils les volent généralement aux Espagnols, notamment aux côtes de Cuba et de Carthagène.

À l'exemple de ce qui se pratique partout ailleurs depuis des siècles, les flibustiers donne des noms à leurs navires. En fait, pas toujours, car ils se contentent parfois d'adapter en français ou en anglais le nom espagnol de leurs prises. Ainsi le noms à caractères religieux de certaines vaisseaux flibustiers reflètent souvent leur origine espagnole, car les noms de saints protecteurs sont très souvent utilisés dans la marine marchande: Saint-Pierre (San Pedro), Sainte-Marie (Santa María), Holy Trinity (Santisíma Trinidad), etc. Généralement lorsque les flibustiers rebaptisent les prises qu'ils conservent pour leur usage, ils choisissent plutôt dans le vocabulaire maritime et guerrier: Hardi, Dauphin, Trompeuse, Chasseur, Fortune, etc. Quelquefois aussi, le bâtiment portera le nom de l'endroit d'où viennent les flibustiers qui le montent: Port Royal, Tortue. Les noms choisis ne diffèrent d'ailleurs en rien à ce qui se pratique en Europe tant dans la marine de l'état qu'à la course.

Des équipages très nombreux

L'une des principales caractéristiques du bâtiment flibustier, grand ou petit, réside dans le grand nombre d'hommes qui y prennent place. Mis en relation avec le tonnage du bâtiment, ce nombre est l'un des plus élevés dans le monde. Dans la flotte de Morgan, en 1670, le ratio homme/tonneau atteint 1 pour 0.84. Cette statistique est particulièrement vrai pour les navires de faible tonnage comme les barques longues et les sloops où le ratio passe de un homme par demi tonneau de port. À l'opposé, sur un navire marchand typique des mers européennes fréquentées par les corsaires, l'on a un homme par tonneau.

Les équipages nombreux sont avantageux de deux manières. D'abord, ils permettent de partager les risques encourus durant le voyage entre plusieurs personnes, car les flibustiers sont en quelque sorte tous armateurs, étant rémunérés uniquement sur le pillage qu'ils font (voir chapitre 4 du présent livre). Et, surtout, parce que plus il y a d'hommes à bord plus il sera facile de se rendre maître d'un navire marchand, dont l'équipage est réduit au minimum nécessaire pour assurer la navigation. Cela évite de verser inutilement le sang, puisque, la proie une fois abordée, son équipage se rendra sans grande résistance, étant souvent confronté à des gens qui sont trois, quatre ou cinq fois plus nombreux qu'eux. Sans diminuer les qualités guerrières des flibustiers, il faut avouer qu'ils avaient ainsi la partie facile.

L'artillerie

Au XVIIe siècle, tout bâtiment, marchand ou corsaire, privé ou du roi, porte des canons, en proportion de sa grosseur, disposés en deux rangs parallèles, l'un à son flanc gauche (bâbord) et l'autre sur son droit (tribord). Si il possède deux ou trois ponts, alors le bâtiment aura un double rang sur chacun d'eux. En temps normal, ces canons sont dissimulés derrières des sabords. Contrairement aux représentations de l'époque, l'on n'ouvre pas les sabords de tribord et de bâbord en même temps pour canonner durant le combat. En effet, l'ennemi ne se présente en principe que d'un seul côté à la fois, à moins d'être pris entre deux navires de guerre espagnols à l'exemple de Laurens De Graff en 1685, en revenant de la prise de Campêche.

Les canons sont généralement fait de bande de fer soudées les unes aux autres, mais il y en aussi en bronze. Ceux-ci, que l'on dit «canons de fonte verte» sont préférés aux pièces en fer, car celles-ci, chauffant rapidement, tendent à exploser lors d'un tir répété, infligeant ainsi plus de mal aux canonniers qui les servent qu'aux ennemis. Le calibre des pièces de canon est mesuré en fonction du poids du boulet qu'il tire. Les plus gros, que l'on nomme canons de batterie, destinés à abattre et ruiner le bâtiment adverse sont d'un calibre de 33 livres. Ils sont surtout utilisés et nombreux sur les très grands vaisseaux de guerre. Plus fréquents chez les flibustiers et les marchands sont les canons de sept à seize livres appelées couleuvrines, faits pour endommager de loin: leur portée, selon le calibre, est de 1000 pas en ligne droite et du double en trajectoire. À côté de ces grosses pièces montées sur affût à roue, il en existe de plus petites et mobiles que l'on désigne sous le nom générique de pierriers. Ceux-ci sont habituellement placés à l'avant (proue) et à l'arrière (poupe) du navire. Canons et pierriers se chargent par la bouche et tirent, non seulement des boulets de fonte, de plomb ou de fer, mais aussi des pierres et très souvent, en mitraille très meurtrière, des morceaux de métal composite.

Aux Antilles, la vente de ces pièces d'artillerie n'existe pas. Seules administrations coloniales en font venir d'Europe pour consolider les fortifications. Les flibustiers n'en acquièrent qu'avec les bâtiments qu'ils capturent sur les Espagnols. Parfois, aussi, vont-ils les prendre sur quelque épave récente, car l'eau de mer a vite fait de corroder le métal. Le maniement du canon est complexe, surtout dans le cas des grosses pièces, et demande de l'expérience. Sur tout navire de guerre, du roi ou flibustier, il existe donc un officier, le maître-canonnier, chargé exclusivement d'en commander et d'en diriger le tir.

Le pavillon

Tout flibustier bat généralement, au grand mât, pavillon de la nation dont il tient sa commission. Ainsi si celle-ci est française, il déploiera un pavillon blanc, parfois semé de fleurs de lys d'or. Si elle est anglaise, le bâtiment aura le drapeau bleu, blanc et rouge, issu de la fusion des drapeaux de l'Angleterre (dit «de Saint-Georges»: rouge sur champ blanc) et de l'écosse (croix de Saint-André blanche sur bleu), que l'on nomme «King's jack» en anglais. En fait, selon les ordonnances tant en France qu'en Angleterre, ces pavillons sont exclusivement réservés aux navires du roi: les corsaires français devraient porter le pavillon bleu à croix blanche, écussonné de lys; et les vis-à-vis anglais celui de Saint-Georges. Mais les lois ne peuvent rien à la pratique qui s'est établie, tant en Europe qu'en Amérique, que chez les marchands ou les corsaires, de porter pavillon royal qui devient un symbole national. Le pavillon du grand mât est le plus important mais non le seul. À la poupe, sur un bâton réservé à cet effet, en est déployé un autre, que l'on nomme enseigne, qui est blanche ou représente les couleurs de la province d'origine pour les Français et qui est rouge avec quatre petits carrés blancs en son coin supérieur gauche pour les Anglais. Les gros bâtiments portent aussi au beaupré un pavillon, généralement le même que celui se trouvant au grand mât.

L'usage de pavillons ennemis (celui de l'Espagne qui est blanc à croix saltire rouge, qui est l'ancien pavillon du duché de Bourgogne) ou celui de neutres (celui des Provinces-Unies qui est bleu, blanc et rouge) est chose commune chez les flibustiers, comme chez les corsaires en général. Mais cela peut être fort dangereux, surtout quand le vaisseau que l'on rencontre en mer est plus fort que soi. Dans les années 1670, lorsqu'il croise un navire du roi de France dans les petites Antilles, un contrebandier anglais qui a à son bord les couleurs françaises et hollandaises, se dépêchera de dessiner une croix rouge sur son pavillon blanc et de le hisser au grand mât pour simuler une croix de Saint-Georges, ce qui ne l'empêchera point d'être arrêté comme forban.

Quant aux forbans, ils arborent généralement pavillon vert au grand mât, qui, au XVIIe siècle, est synonyme de révolte et rébellion, comme le sera le rouge dans les siècles à venir. Cette association générale du vert avec les hors-la-loi et les rebelles est confirmé tant par des sources française qu'anglaise. Chez les flibustiers au moins un cas est recensé: en 1680, le capitaine Harris, qui n'avait aucune commission, mena deux compagnies lors de la marche contre Santa María, petit bourg du Darien, dans l'Isthme de Panama, qui arboraient chacune un pavillon vert.

Le pavillon noir à tête de mort qui sera la marque des pirates anglais du début du XVIIIe siècle, hommes sans commission, semble inconnu des flibustiers, du moins en est-il jamais fait mention nulle part. Ce n'est pas parce que le symbole n'est pas utilisé ailleurs à cette époque. En effet, dans la Méditerranée, certains Barbaresques, corsaires relevant d'états musulmans d'Afrique du nord, battent un pavillon à tête de mort sur champ rouge. Il n'est cependant pas exclu qu'un tel symbole fut utilisé par des flibustiers. En 1680, le capitaine Edmund Cooke, qui accompagnait Harris mentionné précédemment, portait un pavillon rayé rouge et jaune écussonné d'une main brandissant un sabre. À l'exemple de la tête de mort et du sablier ailé, cette main armée est un autre symbole guerrier que l'on retrouve encore chez les Barbaresques, dont le but évident est de semer la crainte chez l'ennemi ou la proie. Mais, de 1648 à 1688, les flibustiers vont hisser pavillon de la nation qui leur a émis l'autorisation de piller en mer les Espagnols, soit la France et l'Angleterre.

R. Laprise.