Le Diable Volant

Le Diable Volant

Études et analyses

L'odyssée du flibustier Desmarestz (1688-1700)

Le présent texte fut publié à l'origine, en 1992 et 1993, en quatre parties dans le Bulletin du Cercle généalogique de Bourbon (nos 38, 39, 40 et 41). Son auteur, Jacques Gasser (décédé en 2020), nous a autorisé à le publier in extenso dans les pages du Diable Volant. Nous avons seulement donné un titre au texte, fait quelques corrections mineures et ajouté ici et là quelques notes pour une meilleure compréhension de l'ensemble.

par Jacques Gasser

Ce qui suit sur les rapports constatés entre les flibustiers de Saint-Domingue et l'île de la Réunion au XVIIe siècle est le fruit du hasard. La découverte d'une lettre du commandant de l'île, Joseph Bastide, nous apprend qu'il était arrivé « le 6 décembre de l'année 1696, venant d'Anjouan, une barque, étant commandée par le sieur Isaac Veyret-Desmarais, lequel a perdu son bâtiment à Mohéli nommé Le Saint-François ». Son passé n'a rien de prosaïque, et nous invitons le lecteur à faire plus ample connaissance avec ce hardi marin. Ses activités de corsaire à la Martinique, louées par les uns, vilipendées par les autres, ont laissé heureusement de nombreuses traces. En contrepartie, se sont révélées beaucoup plus difficiles les recherches concernant sa croisière dans les mers d'Orient et son décès à l'île de la Réunion en 1700.

Notre profonde gratitude va à M. Bernard Mayaud qui a suscité notre entreprise. Nous exprimons nos vifs remerciements à M. Jean Barassin pour ses encouragements et son aide inlassable. Nous remercions aussi tout particulièrement M. Michel Camus, auteur de nombreux ouvrages sur l'histoire de Saint-Domingue, dont une histoire de l'île de la Tortue (1492-1803) et une édition de la correspondance de Bertrand d'Ogeron, qui nous a soutenu, de bout en bout, et fait part de nombreux renseignementsi.

La Sainte-Rose

La Sainte-Rose était une petite frégate espagnole de 14 canons, qui portait vingt-cinq ou vingt-six mille pièces de huit à Curaçao pour y acheter des nègres. Elle fut capturée par le fameux flibustier Laurent De Graff au large de Carthagène en 1687. On était en pleine paix avec les Espagnols de l'Amérique depuis deux ans, mais le flibustier affirme qu'« étant remonté vers la côte de Carthagène afin de gagner le vent pour traverser, je trouvais la Sainte-Rose, sur laquelle je chassais pour lui parler. Mais comme elle tira d'abord sur mon pavillon et qu'elle me tua deux hommes et me blessa huit, cela m'obligea de l'aborder »ii. La prise est riche, l'équipage est consentant pour venir désarmer à la côte de Saint-Domingue. Laurent De Graff arrive au Petit-Goâve au début d'octobre 1687, où M. Dumas, lieutenant de roi, lui adjuge la Sainte-Rose. Il se rend ensuite au Port-de-Paix pour recevoir les ordres du gouverneur, M. de Cussy, qui lui ordonne de désarmer et de se rendre au fond de l'île à Vache pour y servir le roi en qualité de major. Le chef flibustier quitte le Port-de-Paix le 30 novembre.

Le 24 décembre, des nouvelles très alarmantes de l'île à Vache obligent M. de Cussy à s'embarquer en hâte sur le Marin, une frégate du roi. Deux cent cinquante flibustiers complotaient de retourner en course avec les deux petits navires du capitaine De Graff! Cussy arrive à l'île à Vache le 2 janvier 1688 :

À la vérité, la diligence que nous fîmes fut d'une grande utilité pour rompre le dessein qu'ils avaient formé puisqu'ils devaient mettre à la voile aussitôt que le capitaine [Laurens De Graff] serait de retour de la Grande Anse où il était allé pour ramener le débris d'une habitation considérable qu'il y avait pour le porter à l'île à Vache. (...) Lorsque le capitaine Laurent fut de retour, je lui fis connaître que l'intention du roi était qu'il demeure au quartier de l'île à Vache pour y servir Sa Majesté en qualité de major, dont elle l'avait honoré. À quoi, il me promit de s'acquitter avec le même zèle et fidélité qu'il avait fait depuis dix ans qu'il s'était rangé sous le pavillon français. Nous mîmes à la voile le 9 janvier, après avoir fait de l'eau et du bois. et ledit capitaine Laurent, avec ses deux vaisseaux et équipages, nous suivirent au Petit-Goâve, où nous arrivâmes le 11. (...) Il se débarqua 150 flibustiers qui se répandirent dans le Cul de Sac, les uns sur leurs habitations, et les autres qui n'en avaient pas se sont rendus habitants, auxquels j'ai distribué des terrains considérables. Le reste de l'équipage dudit Laurent, dont j'étais assuré de la fidélité, resta dans ses vaisseaux pour aller à l'île à Vache pour s'établir à l'exemple dudit Laurent, auquel ils sont attachés depuis longtemps, se trouvant assez forts quand ils l'auront à leur tête.1

En fait, le gouverneur surestime bien trop la capacité de Laurent De Graff de retenir ses hommes, en aurait-il la volonté.

Le mois suivant, Cussy décide de retourner à l'île à Vache avec le Marin pour vérifier si les flibustiers s'étaient acquittés de la promesse qu'ils lui avaient faite d'y fixer leur résidence. Trop tard! La Sainte-Rose était déjà partie :

Nous mouillâmes le 28 [février], la nuit, au large, et le lendemain dernier, ayant été mouillé proche de terre, je descendis aux habitations où je trouvai le sieur Laurent De Graff avec plusieurs flibustiers qui avaient commencé à s'établir auprès de lui, qui étaient sous les armes. Mais, ayant remarqué qu'il n'y avait pas la moitié des gens qu'il avait embarqué dans ses navires, je m'informais soigneusement ce qu'ils étaient devenus et où étaient ses navires. À quoi, il répondit qu'un petit navire anglais de 55 à 60 tonneaux s'étant perdu depuis 10 jours à la Saone, petite île au vent de la ville de Saint-Domingue, l'équipage consistant en 8 hommes et un garçon se sauva dans la petite chaloupe, où ils avaient mis des fargues pour pouvoir résister davantage à la mer, et s'étaient rendus depuis 4 jours à l'île à Vache, où ils donnèrent avis audit sieur Laurent du lieu où était perdu leur navire et qu'il était chargé de boeuf, lard, farine et bière, qu'il n'était endommagé que par le fond : ainsi pourrait-il facilement sauver le tout. Sur cet avis, qui me fut confirmé par cet équipage anglais, ledit sieur Laurent avait dépêché son plus grand navire avec environ 70 hommes tant pour aller chercher ce navire perdu que pour se mettre en état d'attaquer une frégate biscayenne sortie de Saint-Domingue avec 18 canons et 80 hommes.2

Ce n'est que prétexte mais M. de Cussy s'y laisse prendre ingénument. L'escapade de la Sainte-Rose avait été préméditée. La preuve, la charte-partie signée le 18 février 1688 entre le capitaine, Jean Charpin, commandant de la Sainte-Rose, et son équipage. La course ayant été abolie à Saint-Domingue depuis 1685, son contenu aurait largement suffit à les faire pendre tous comme forbans, avec Laurent De Graff, l'armateur de la frégate et leur complice :

Copie de la charte-partie faite entre M. Charpin, commandant la Sainte-Rose, et son équipage qui sont convenus entre eux de lui donner dix lots pour lui, que pour son commandement et pour son navire.

Tous les bâtiments pris en mer ou à l'ancre portant huniers qui ne se donneront point voyage; les bâtiments seront brûlés et les agrès seront pour le bâtiment de guerre.

Item. Tous les bâtiments pris, le capitaine aura le choix; et le non-choix demeurera à l'équipage sans que le capitaine y puisse rien prétendre.

Item. Le capitaine se réserve ses chaudières et son canot de guerre; et les chaudières qui seront prises seront pour l'équipage.

Item. Tous bâtiments pris hors de la portée du canon avec les canots de guerre seront pillage. Tous ballots entamés entre deux ponts ou au fond de cale, pillage.

Item. Or, argent, perle, diamant, musc, ambre, civette et toutes sortes de pierreries, pillage.

Item. Celui qui aura la vue des bâtiments aura 100 pièces de 8 si la prise est de valeur ou double pillage.

Item. Tout homme estropié au service du bâtiment aura 600 pièces de 8 ou 6 nègres a choix s'il s'en prend.

Item. Tout homme convaincu de lâcheté perdra son voyage.

Item. Tout homme faisant faux serment et convaincu de vol perdra son voyage et sera dégradé sur la première caye.

Item. Tout canot de guerre qui sortira en course qui prendra au-dessus de 500 pièces sera pour l'équipage dudit canot.

Item. Tous nègres et autres esclaves qui seront pris par le canot reviendront au pied du mât.

Item. Pour les Espagnols qui ne seront point guéris, étant arrivé en lieu, l'équipage s'oblige de donner une pièce de 8 pour lesdits malades pour le chirurgien par jour l'espace de 3 mois étant arrivé à terre.

Item. M. de La Borderie et M. Jocom se sont obligés de servir l'équipage de tout ce qui leur sera nécessaire pendant le voyage; et l'équipage s'oblige de leur donner 180 pièces de 8 pour leur coffre; et ceux des chirurgiens qui seront pris avec les instruments qui ne seront point garnis d'argent seront pour le chirurgien.

Ladite charte ne pourra se casser ni annuler que nous n'ayons fait voyage tous ensemble.

Fait à l'île à Vache, ancré et affourché le 18 de février 1688.

Ainsi signé : Jean Charpin et Mathurin Desmarestz, quartier-maître de l'équipage.3

Jean Fantin

C'est notre première rencontre dans une situation de mauvaise augure avec Isaac Veyret, plus connu sous le pseudonyme de Desmarestz. Avec 70 séditieux, il repart en course comme naguère contre leur ennemi héréditaire, l'Espagnol, sans se soucier de ce qu'aucune autorité, cette fois, ne les commissionne. Mais une nouvelle guerre contre les puissances coalisées de la Hollande, de l'Angleterre et de l'Espagneiii sert leur providence et leur salut.

Un an plus tard, en mars 1689, Jean-Baptiste Ducasse commandant une escadre du roi rencontre nos forbans dans des circonstances les plus accablantes. En venant reconnaître l'île de Boa Vista (Cap Vert) avec son vaisseau Le Hasardeux, il trouve cette dernière en pleine effervescence : nos flibustiers étaient tout bonnement en train de la piller! à l'équipage initial de la Sainte-Rose s'était joint une autre bande de flibustiers embarquée à l'île de Roatán, au Honduras, où l'on avait été caréner la frégate. Ces nouveau venus étaient commandés par Jean Fantin4 et portèrent le nombre de la compagnie de la Sainte-Rose à 120 hommes.

« Quelque temps après », raconte Ducasse5, « ils rencontrèrent un navire hollandais chargé lequel ils combattirent, prirent et le menèrent à la Nouvelle-Angleterre où ils vendirent la marchandise et s'avitaillèrent pour aller dans la mer Rouge ou dans la mer du Sudv. »

Cette prise hollandaise, rebaptisée Le Dauphin, avait 18 canons. L'équipage avait déposé Jean Charpin de son commandement et élu à sa place Jean Fantin. D'ailleurs Charpin se plaint à Ducasse de l'enlèvement de son navire dont il se disait le propriétaire, mais l'officier du roi « ne jugea pas à propos de le faire rendre pour lors ». Car ces 120 flibustiers sont un renfort inespéré pour l'escadre française qui devait attaquer et ruiner la colonie hollandaise de Surinam. Ducasse ordonne au capitaine Fantin de le suivre, lequel « promit à monsieur Ducasse d'aller partout avec lui, ce qu'il a fort ponctuellement exécuté moyennant un intérêt qu'il aurait dans les prises que l'on ferait »6.

« Il n'y a eu que la compassion qui m'a porté à ce mouvement », explique Ducasse7, « puisqu'il n'y avait pas au monde un vaisseau de meilleure prise puisqu'il était trouvé en flagrant délit sans aucune commission, passeport ni permission après avoir sorti contre le gré de mondit sieur de Cussy, qui envoya le vaisseau du roi Le Marin pour le prendre à l'île à Vache, mais il en était parti. L'intention dudit sieur Ducasse a été de ramener ces gens-là dans les colonies françaises sans leur faire aucun mal quoiqu'ils méritassent tous la corde. »

Ducasse se rend avec son nouvel associé à l'île voisine de San Tiago, où il avait donné rendez-vous à son escadre. Seule la flûte La Loire, du chevalier d'Amou, était arrivée. Il y avait aussi dans la rade une belle frégate espagnole qui venait de La Havane et qui s'apprêtait à sortir. Elle est chargé de plus de 50 000 livres de tabac, de 3500 cuirs, quelques sucres blancs, du bois de campêche, quatre ou cinq mille piastres et plusieurs autres marchandises, le tout estimé à plus de 25 000 écus. Ne sachant si la guerre avait été déclarée à l'Espagne et ne voulant rater une si bonne aubaine, Ducasse laisse faire les flibustiers qui s'emparent de la frégate espagnole sans rencontrer de résistance. Cette prise est armée en brûlot sous la conduite de quelques flibustiers. Le reste de l'escadre (l'émerillon et la Bretonne) arrive à son tour et on quitte San Tiago le 27 mars.

Le 14 avril, l'escadre de Ducasse arrive à Cayenne, escale avec son objectif : la colonie néerlandaise de Surinam. Goupy des Marest a noté dans son journal la présence insolite des flibustiers aux côtés de l'officier de la marine royale, lesquels « avaient frété leur vaisseau Le Dauphin d'un nommé Laurent aussi flibustier »8. Preuve supplémentaire, s'il en est besoin, de la complicité de Laurent De Graff.

Ducasse s'attarde trop à Cayenne, d'où il ne part que le 2 mai. Prévenus, les Hollandais l'attendent de pied ferme à Surinam, le contraignant à se retirer après avoir perdu beaucoup de troupes et ses vaisseaux fort désemparés. Il n'est guère plus heureux contre la petite colonie de Berbice, où 150 Néerlandais et 200 nègres, retranchés derrière un vulgaire fort en bois, lui opposent une vigoureuse résistance. Ducasse parvient quand même à leur extorquer une petite contribution pour lever le siège : une rançon en lettre de change payable à Amsterdam et 200 barriques de sucre. Voilà tout ce qu'il peut obtenir pour sauver la face.

Après Berbice, la querelle s'envenime brutalement entre les flibustiers et leur ancien capitaine Charpin. Ils s'embarquent tous sur la frégate espagnole « disant qu'ils ne voulaient plus mettre les pieds sur l'autre et abandonnèrent le vaisseau flamand sans qu'il y resta personne que le sieur Charpin qui avait de grandes contestes avec lesdits flibustiers pour la part du navire espagnol et de 10 000 écus que lesdits flibustiers avaient eu dedans ». Ducasse réquisitionne alors, de l'autorité du roi, le Dauphin pour renvoyer les soldats et les volontaires de Cayenne. L'escadre cingle ensuite vers la Martinique, toujours suivie de nos aventuriersvi.

À la Martinique, le comte de Blénac, gouverneur et lieutenant-général des Isles d'Amérique, leur exhibe les derniers ordres du roi prescrivant de déloger les Anglais de Saint-Christophe avec les vaisseaux de Ducasse mis à sa disposition. Le comte de Blénac réussit aussi à entraîner dans cette entreprise Fantin et sa compagnie de 140 hommes qui s'est renforcée de quelques nouvelles recrues à la Martinique. Fantin débarque à Saint-Christophe le 28 juillet 1689 avec 120 des siens pour se joindre aux troupes du siège. Il laisse cependant sa frégate espagnole de 16 canons au mouillage de Basse-Terre sous la garde de douze Français et de huit Anglais de son équipage. Parmi ces renégats anglais se trouvent deux hommes que nous retrouverons plus tard : l'un n'est autre que le fameux William Kidd et l'autre Samuel Burgess9. Une nuit, cette poignée d'Anglais égarés se rendirent maîtres de la frégate en égorgeant dans leur sommeil leurs camarades français et se sauvèrent chez leurs compatriotes à l'île de Nevis, distante de trois lieues de là. On laisse à William Kidd, qui venait d'expier son passé par une conduite si patriotique, le commandement de la frégate de Fantin, réarmée cette fois en corsaire anglais, The Blessed Williamvii.

Entre-temps à Saint-Christophe, le siège du vieux fort Charles s'éternise un peu. Enfin, après quinze jours, on s'avise de monter des canons sur une colline qui surplombe le fort anglais et d'où on pouvait battre l'intérieur de l'ouvrage. Cette besogne est confiée aux flibustiers. « Ce travail très rude fut exécuté en une seule nuit par les 120 flibustiers agissant sous la conduite de leur commandant », qui hissent sur la colline une batterie de six pièces de campagne. Le lendemain, aux premiers coups de canon, la garnison britannique affolée s'empresse de capituler.

Les corsaires de la Martinique

Après la prise de l'île de Saint-Christophe, quelques uns des flibustiers préfèrent retourner directement à Saint-Domingue et les autres remontent à la Martinique. Des difficultés y surgissent entre ceux-ci et Ducasse sur le partage de la cargaison de la frégate espagnole qu'ils avaient prise de concert à San Tiago du Cap Vert. En effet, selon le comte de Blénac, « il [Ducasse] a pris par force dans un magasin touchant à la place d'armes du fort et, contre l'assurance par écrit qu'il en avait donnée aux flibustiers, la plus grande partie de la prise espagnole. Ces gens m'apportèrent sa promesse portant assurance de n'y point toucher pourvu qu'ils l'accompagnassent dans ses entreprises. » Heureusement pour eux, ils se virent adjugés 20 000 francs de dédommagement pour la perte de la frégate et leur séjour à Saint-Christophe.

Ensuite, les flibustiers se séparent. Jean Fantin arme avec 70 hommes un brigantin. Les autres élisent leur ancien quartier-maître Desmarestz, avec lequel ils étaient venus de Saint-Domingue. Desmarestz achète au sieur Fischer, capitaine de port à la Martinique, une flûte nommée La Machine, grâce aux bons offices du comte de Blénac. Ce dernier se plaint le 10 septembre 1689 qu'on ait tenté des pressions sur cet armement :

J'avais crû avoir remonté les flibustiers par le navire d'un nommé Fischer qui leur avait vendu de gré à gré et en ma présence et de plusieurs autres personnes de considération. Des intérêts particuliers ont détourné la chose, quoique très utile aux Isles pour en éloigner les corsaires. Je ne veux pas vous en écrire la vérité quoiqu'elle me soit connue. Cela est plein de détours en bien des endroits. Il suffit d'être dans ce pays pour trouver de la peine. Je vais chercher quelqu'autre expédient pour mettre ces gens à la mer.viii

Le 27 septembre, Blénac annonce sur un ton plus serein le départ en course de Fantin sur son brigantin et celui de Desmarestz sur la Machine :

J'ai aussi trouvé le moyen de remonter les flibustiers et de les séparer en deux et de leur donner des vivres pour six semaines. ça n'a pas été sans beaucoup de peine. Il est à croire qu'ils feront des prises qui nous seront d'un grand secours et qui fatigueront la Barbade qui est en grande nécessité aussi bien que nous et que les autres îles anglaises.

(...) Hier, en mettant à la voile, ces corsaires me représentèrent les longueurs et les frais que le juge fait dans l'adjudication des prises. Et je crois que, si on les traite de même, ils ne les amèneront ici que la première fois, ce qui serait d'un grand préjudice pour cette île. Le juge, après avoir jugé la prise bonne, fait crier ce qui est dedans trois dimanches ou fêtes consécutifs. Les corsaires disent que, la prise étant bonne, ce qui est dedans est à eux et qu'ils n'ont à en répondre à personne et, par conséquent, pas besoin qu'on mette leurs biens à l'encan ni de ces longueurs qui leur font consommer leurs vivres pour en voir la fin. Pour moi, je suis de cette opinion et je lirai cet article au juge et au procureur du roi afin qu'ils y prennent leurs mesures. Et je vous informerai de la conduite qu'ils tiendront dans la suite et de ce qui en arrivera.ix

La première sortie de la Machine ne procure que quelques prises de peu de conséquence. Desmarestz est obligé de relâcher au Port des Barques, en Guadeloupe, pour remédier aux défauts qu'il avait reconnu à son bâtiment. En même temps, il apporte un secours fort à propos aux pauvres habitants de la Guadeloupe. « Nous tombions dans une extrême nécessité de toutes choses », écrit M. Hinselin, le 28 avril 1690, « mais heureusement M. Desmarais, que la disette de pain et le méchant état de sa barque eut obligé de venir en cette île, nous y a apporté quelques barils de morue et de maquereaux qui donneront pour quelque temps le moyen de subsister aux plus pauvres. Le navire L'étoile, de La Rochelle, est aussi arrivé, mais elle n'a apporté que quelques barriques de vin, de lard et de farine. Et de ces dernières, M. Desmarais s'accommodera de la plus grande partie pour achever sa course. »

« Il n'a pas été moins utile à Sainte-Croix », ajoute Blénac.

Desmarestz est de retour à la Martinique au mois de mai. Il y rencontre un petit bâtiment flibustier armé à Saint-Domingue, commandé par un capitaine qui deviendra célèbre dans les annales de la flibuste : étienne Montauban. Les deux compères s'associent ensemble et sortent le 13 ou 14 juin 1690.

Cet armement provoque une très violente altercation entre le comte de Blénac et l'intendant du roi aux Isles d'Amérique, M. Dumaitz de Goimpy, lequel aurait voulu qu'on les envoie au secours de Saint-Christophe, menacée par le général Christopher Codrington qui disposait d'une armada de 39 voiles et 3000 hommes. Le gouverneur de Saint-Christophe, le chevalier de Guitaud, ne peut lui opposer que 1100 miliciens encadrés par 150 soldats des troupes réglées et avait envoyé à la Martinique de pressant appels.

« Je ne puis me dispenser de vous faire savoir, écrit l'intendant, qu'il eut été bien avantageux au service du roi que M. de Blénac eut eu égard à la demande que M. de Guitaud lui avait faite pour avoir 180 flibustiers qui se trouvaient alors à la portée de son commandement et qu'il aurait pu faire facilement faire passer à Saint-Christophe s'il leur en avait donné les ordres. Celui qui est à leur tête, nommé Desmarestz, lui étant entièrement dévoué, et parmi ce nombre y ayant aussi plus de 30 hommes créoles de ladite île de Saint-Christophe, qui auraient seuls été capables dans la vue du secourir leurs familles et défendre leurs biens, de faire condescendre les autres à l'exécution des ordres qui leur en auraient été données. » Pire, Dumaitz de Goimpy accuse le comte de Blénac de n'avoir voulu « rien changer au projet de leur course, concertée avant l'arrivée des nouvelles de M. de Guitaud et que M. de Blénac a publiées devoir être faite à la hauteur de la Barbade afin de se précautionner de quelque apparence au service du roi, quoiqu'il eut été résolu que ces flibustiers iraient enlever à Trinidad un vaisseau hollandais qui y devait charger du cacao et qu'on y attendait ».

L'intendant cite également une lettre adressée au sieur de Gémosat, le 27 juillet 1690, dans laquelle Blénac raconte « qu'ayant proposé au nommé Desmarestz, capitaine des flibustiers, d'aller à Saint-Christophe, il lui dit que, si ses compagnons le savaient, on ne les reverrait plus. Et dans cet autre article, il mande que la proposition d'aller à Saint-Christophe les a épouvantés, ce qui n'est point vraisemblable puisque les flibustiers n'avaient eu aucune connaissance de cette proposition de la part de M. de Blénac ».

Le 23 août 1690, Desmarestz est de retour à la Martinique avec un beau trophée :

Le sieur Desmarest, flibustier qui était parti d'ici il y a deux mois avec deux méchants flibots et 180 hommes, arrive présentement sur une frégate à trois ponts qui n'a cependant que 24 canons de montés, qu'il a enlevée à Trinidad sur les Espagnols. (...) Il y a dedans 40 milliers de cacao ou environ, 3000 jarres de vin de Madère et d'Espagne, du fer, de l'acier, des bas de soie et autres. Ledit Desmarest allant mieux à la voile sur sa prise a pris les devants avec 134 de ses gens et a laissé le reste sur ses deux bâtiments qui doivent arriver d'un jour à l'autre. Lorsque l'Espagnol eut aperçut les deux vaisseaux, il mit à la voile mais ayant vu leur peu d'apparence les méprisa; il ne laissa pas cependant de faire beaucoup de feu de son artillerie lorsqu'ils s'en approchèrent. Les flibustiers l'abordèrent et l'enlevèrent sans perdre aucun de leurs gens, quoiqu'il y eut 80 Espagnols dont il en est resté qu'une vingtaine.

La vente de la cargaison rapporte un profit considérable, avec lequel les flibustier achètent entre eux la frégate espagnole. Baptisée La Ballestrelle, son commandement en fut donné au capitaine Desmarestz au consentement de tous. La flûte La Machine, l'ancien navire de Desmarestz, reste en partage à Montauban. Ce dernier est obligé de remplacer par des volontaires de la Martinique ceux qui prennent le parti de suivre la destinée de la Ballestrelle. Il repart en course vers la Nouvelle-Angleterre et le golfe de Guinée après le 15 octobrex.

Desmaretz appareille à son tour avec la Ballestrelle au début de novembre avec plus de 140 hommes. Le rancunier Dumaitz de Goimpy employa toute son ingéniosité à lui faire des tracasseries. Il était arrivé à la Martinique le 26 septembre 1690 trois vaisseaux de la Compagnie des Indes orientales, dont les équipages avaient été décimés par la fièvre jaune.

« Aussi insistais-je », écrit-il le 26 novembre, « de ne désarmer aucun vaisseau de la Compagnie et surtout voyant deux bâtiments au Fort Royal [aujourd'hui Fort-de-France] armés de flibustiers d'où l'on pouvait tirer et au-delà du nombre nécessaire de matelots pour remplacer les morts des équipages des trois vaisseaux venus des Indes. Mais, connaissant l'attachement de M. de Blénac à ne rien faire qui put apporter quelque retardement au départ de ces armateurs, j'ai cru néanmoins l'engager pour l'intérêt de la colonie de la Martinique d'entrer dans le détail des équipages de ces flibustiers en lui disant qu'il y avait parmi eux plusieurs habitants de cette île, et en même temps se faisant rendre un compte exact de tous ceux qui les composaient, on aurait reconnu les matelots des classes qu'on aurait pris pour les vaisseaux. »

C'est plus facile à dire qu'à faire.

« Cependant, cherchant des détours pour se mettre à couvert de n'avoir pas dans le temps employé l'autorité que le roi lui a confié, il [Blénac] me fait écrire le 27 octobre par le sieur Croizet, commissaire, qu'il avait donné ordre au capitaine Desmaretz, commandant un de ces vaisseaux, de venir mouiller au fort Saint-Pierre et de m'amener les gens de son équipage afin d'arrêter les matelots qui se trouvaient être des classes. Mais il ne prévoyait pas qu'après toutes les tolérances qu'il avait eues pour eux pendant leur séjour au Fort Royal comme de n'avoir pas fait une perquisition de leur équipage, ne les avait pas fait châtier d'avoir voulu assassiner le sieur Pinel, d'avoir été au nombre des 60 entourant un officier de l'Oriflamme dans la maison où se retirait le père Thionville pour avoir donné quelques coups de canne à l'un d'eux pour en avoir été insulté, j'aurais fait naître une rébellion. (...) Il me parut plus à propos de m'adresser au capitaine..., lui dire de mettre à la voile au plus tôt... Ils sont partis là-dessus sans avoir fait aucune des soumissions portées par les ordonnances et sous le prétexte d'aller croiser sur la Barbade, dont ils ont aucune nouvelle, n'ayant pas changé leur premier dessein d'aller à la côte de Caracas et de là se ravitailler à Saint-Domingue pour ensuite entreprendre un très long voyage. »

Un « très long voyage », dont l'explication est à chercher dans le départ de son protecteur, le comte de Blénac, qui s'est retiré le 1er novembre 1690 pour régler ses affaires domestiques en France. Desmarestz quitte également la Martinique au début de novembre. Pourtant, il y reviendra au bout de neuf mois. Vers le 15 août 1691, il vient caréner la Ballestrelle et faire des vivres à la Martinique. Il obtient du chevalier de Guitaud, devenu gouverneur général des Antilles françaises, une nouvelle commission, limitée à trois mois, avec ordre de tenir croisière sur la Barbade. Peu importe, le capitaine Desmarestz a encore dans ses poches une vieille commission non limitée de Blénac. Il sort le 4 octobre 1691 avec 130 hommes. Ce n'est qu'après son départ qu'on eut avis qu'il partait pour la mer Rouge. Blénac en attribue la responsabilité à Dumaitz de Goimpy : « Desmarais était parti... armé de vieux flibustiers qui sont avec lui depuis 10 ans et gens qu'ont jamais eu de demeure. Il ne reviendra plus par le mauvais traitement que l'on a fait à ses camarades et à lui ». Dans une autre lettre, datée du 9 novembre 1694, il précise « que M. Dumaitz, par ses mauvais traitements, en avait chassé Desmarais et Montauban... et qu'il est à croire qu'on ne les reverrait plus, pour le moins Desmarais ».

Périple dans l'océan Indien

Un mois plus tard, nos argonautes surgissent de l'autre côté de l'Atlantique, à l'île de Terceire, aux Acores. La Ballestrelle avait subi quelques avaries pendant la traversée :

Le 10 novembre dernier vint en cette île une frégate nommé La Baillesterre, armée en guerre de 32 pièces de canon et 130 hommes, commandée par le capitaine Vereil Desmarées, ayant commission du chevalier de Guitaud, lieutenant pour le roi au gouvernement des Isles françaises de l'Amérique, pour se raccommoder en cette île du dommage qu'il avait reçu par le mauvais temps, faire de l'eau et prendre des victuailles.10

Le voyage faillit s'arrêter là sans l'intervention de M. Nègre, consul de France dans cette île :

Et s'il n'avait été mon assistance et m'être opposé à toutes qu'on prétendit lui faire, ledit navire aurait été arrêté, et les gens auraient été maltraités par les habitants, officiers de ville et gouverneur du château de cette île, étant imbus des Anglais résidant en cette île et d'autres races ennemies des Français que ledit navire était un forban qui prenait sur les Portugais. Et pour apaiser ce tumulte, soutenant le contraire et faisant voir sa commission au gouverneur, je courus risque de ma vie, ayant été appelé par les échevins de la villes auxquels je protestai en pleine assemblée de porter plainte contre eux du tort qu'ils faisaient aux sujets du Roi très Chrétien, que Dieu conserve. Nous avons su par les espagnols mêmes la belle action que ledit capitaine Desmarées fit à la Havane où, ayant armé deux navires espagnols, l'un de 25 pièces de canon et l'autre de 40, avec environ 350 hommes pour le chasser ou le prendre, ladite frégate française les combattit et prit tous deux, en ayant coulé un à fond et brûlé l'autre, et leur avait tué 310 hommes en moins de 4 heures.

J'aurais souhaité que ledit navire eut resté quelque temps autour des îles Tercères, où il aurait pu prendre beaucoup de bâtiments anglais et hollandais. Cependant nous avons su qu'il avait pris 7 bâtiments desdites nations vers Madère et les Canaries.11

Nos flibustiers viennent ensuite ravager les côtes africaines. Le 25 février 1692, une lettre d'un agent de la Royal African Company, John Booker, nous signale qu'un vaisseau de force venait d'enlever dans la rivière de Gambie un interlope et un sloop appartenant à cette compagnie nommé The Assistance. Tout l'équipage de ce sloop fut retenu prisonnier par ce qu'on croyait être apparemment un vaisseau de guerre français. Déposé à terre, plus tard, cet équipage revint à James Island (Gambie) vers la fin du mois de juillet. On sut alors que c'était en fait un pirate, qu'il était parti pour la côte de Sierra Leone où il avait pris un autre interlope.

Puis brutalement, plus aucune mention de la Ballestrelle ni de son équipage. Un an, deux s'écoulent... Ce n'est finalement qu'en septembre 1694, leur cupidité assouvie, que nos flibustiers resurgissent. Le lieu choisit pour réapparaître est plutôt insolite : Rajahpur, un petit port francs de l'Inde, situé sur la mer d'Oman, à mi-chemin entre Bombay et Goa. Sir John Gayer, directeur de l'East India Company à Bombay, nous informe le 28 mai 1695 qu'un pirate français de 40 canons et de 100 hommes était venu dans ces mers il y a deux ans. Il serait allé au détroit de la mer Rouge à Bab el Mandeb à l'affût des vaisseaux du Grand Moghol et en aurait pris de très considérables. Le pirate aurait été ensuite obligé de relâcher à Rajahpur, vers le début de septembre 1694, pour y réparer et radouber son vaisseau. Celui-ci, assure-t-il dans sa lettre, « faisait eau au point qu'ils ne savaient plus comment l'empêcher de couler bas ». Quoiqu'il en soit, le capitaine Desmarestz ne s'attarde guère à Rajahpur, ayant eu avis que les habitants de ce lieu (les « Savagees ») nourrissaient de sombres desseins contre eux. Il se contente d'acheter une gourabe (une barque de commerce utilisée sur les côtes de l'Inde) détache trente hommes dessus pour la conduire et reprend le large vers le sud.

Poussée par les vents favorables de la mousson, la Ballestrelle réussit à gagner l'île de Mohéli, aux Comores. Cette île offrait des commodités pour caréner et était très peu fréquentée. Les vaisseaux qui faisaient la route des Indes venaient rarement y faire escale. Son port, bordé de dangereux récifs, avait sinistre réputation. « Le havre est d'une entrée très difficile, dit Robert Challes. Ce n'est, du côté du nord, que des rochers et des battures à fleur d'eau, qui on fait périr bien des vaisseaux. Et dans le sud, c'est une barre de pareilles roches, aussi à fleur d'eau, qui continue près d'une lieue sans paraître, étant couverte de la mer à 4 ou 5 pieds de profondeur. La véritable entrée est entre ces deux barres et ne paraît pas avoir plus d'une bonne portée de fusil. C'est la difficulté de ce canal ou entrée qui empêche plusieurs vaisseaux d'y aller prendre des rafraîchissement quoiqu'ils y soient à beaucoup meilleur compte qu'à Anjouan, où ils vont ordinairement parce que l'entrée et la sortie du havre sont ouvertes et sans aucun risque. » Des récifs de Mohéli, Robert Challes prophétise : « Un vaisseau qui aurait le malheur de donner dessus ne s'en relèverait assurément jamais. »xi

Début 1695, radoubée et réparée, la Ballestrelle est prête pour la dernière traversée, le retour à la Martinique. L'instant que semblait attendre la fatalité. En sortant du port de Mohéli, la frégate française est drossée par les courants sur un banc de roches et, dans un craquement infernal, s'échoue. La Ballestrelle est irrémédiablement perdue et les flibustiers ne réussissent qu'à sauver leurs armes et leur butin. Une détresse encore accrue par la perte de la gourabe achetée à Rajahpur. Après son naufrage, Desmarestz envoya la gourabe avec 40 hommes à l'île d'Anjouan pour trouver par n'importe quel moyen un nouveau bâtiment. Mais la gourabe y est elle-même surprise par un pirate anglais de 46 canons et de 120 hommes. Les Français sont contraints de se rendre après lui avoir tué un homme. Les Anglais pillent la gourabe et prennent de force à leur bord les 40 Français.

Le pirate est un vaisseau de guerre, The Charles II rebaptisé The Fancy, dont l'équipage s'est mutiné à la Corogne (Espagne). Ces marins n'avaient plus touché de solde depuis huit mois et s'enfuirent avec leur navire de ce port le 7 mai 1694 sous le commandement de leur second, Henry Every. En cours de route, ils prirent à l'île de Principe, dans le golfe de Guinée, deux navires de commerce danois. Quatorze Danois s'enrôlèrent volontairement dans leurs rangsxii.

Presque aussitôt après la prise de la gourabe, trois vaisseaux de l'East India Company (The Benjamin, The Mocha frigate et The Tonquin) touchèrent à l'île d'Anjouan le 16 février 1695. Le capitaine Every laisse à terre « un homme de sa compagnie, qui, quelque temps avant, avait été malade; son nom est William May ». Les vaisseaux de la compagnie anglaise aperçurent le pirate qui s'en allait dans la brume matinale le 19 février sans pouvoir lui parler. Ils furent bientôt fixés sur son identité par une lettre que le capitaine Every avait laissé à leur attention :

À tous les commandants anglais.

Ceci pour établir que j'étais ici, à cet instant, à bord du navire The Fancy, vaisseau de guerre, autrefois le Charles II, de l'expédition espagnole qui partit de La Corogne le 7 mai 1694, actuellement navire de 46 canons et de 150 hommes et attaché à la recherche de nos fortunes. Je n'ai jusqu'alors fait de mal à aucun navire anglais ou hollandais, et telle n'est pas mon intention tant que je commanderai ce navire. En conséquence, comme je m'adresse communément à tous les navires, je désire que quiconque vienne à lire ceci utilise ce signal : si vous ou celui que vous aurez informé souhaite à distance savoir qui nous sommes, alors arborez votre enseigne sur un paquet ou un ballot et amenez-le au mât d'artimon, après avoir largué la voile. Je répondrai de même et ne chercherai point à vous attaquer. Mes hommes ont faim. Ils sont solide et résolus et s'ils vont plus loin que je ne le souhaite, ce sera malgré moi.

Toujours ami des Anglais,

À Anjouan, le 18 février 1695,

Henry Every.

60 Français armés sont à Mohéli où ils attendent l'occasion de mettre la main sur un bateau. Prenez garde à vous.

Les habitants d'Anjouan confirment aux marchands anglais qu'un vaisseau français s'était échoué à l'île voisine de Mohéli et qu'il était venu dans leur île six Français de cet équipage pour négocier l'achat d'une embarcation. Les Anglais obligent les indigènes de leur remettre ces hommes et découvrent avec stupéfaction qu'à eux seuls les six flibustiers n'avaient pas moins de 600 pièces d'or. Les Anglais ne rêvent plus que de faire main basse sur le reste à Mohéli. À leur approche, Desmarestz et ses hommes, réfugiés sur une petite île, s'enfuirent sur l'île principale. « Nos gens passèrent 10 jours à traiter avec le monarque de l'île pour qu'il leur délivre les 60 Français pour prévenir d'autres pirateries. Mais les 600 pièces d'or obtenues des 6 autres étaient certainement un plus grand motif. » Le sultan de Mohéli refuse finalement de céder aux Anglais. Ces derniers jettent leur dépit sur la carcasse de la Ballestrelle, récupèrent tout ce qu'ils purent et, avant de partir, ils mirent le feu à l'épave.

Après une petite croisière, le capitaine Every retourne à Anjouan. Il fait chercher le nommé William May, qu'on avait laissé à terre et qu'on retrouve en bonne santé. Il enrôle aussi à Anjouan treize ou quatorze recrues, des Français « qui ont été faire la course dans ces mers sous pavillon britannique et avait perdu leur vaisseau à Mohéli où il était échoué ».

Henry Every

Le Fancy est devenu un redoutable pirate avec une compagnie de 170 hommes, dont 104 Anglais, 14 Danois pris dans le golfe de Guinée et 52 Français de l'équipage de Desmarestz. Ils prirent ensuite résolution d'aller à la mer Rouge. En cours de route, ils rencontrent deux pirates anglais, The Dolphin et The Portsmouth Adventure. Le premier, une prise espagnole commandée par le capitaine Richard Want, avait 60 hommes et avait armé à Whorekill, près de Philadelphie, vers janvier 1694. Le Portsmouth Adventure (capitaine Joseph Faro) fut armé vers la même période à Rhode Island et avait à peu près le même nombre d'hommes. Ils avaient chacun six canons. Ils pactisèrent avec Every et arrivèrent ensemble à l'île de Périm, à l'embouchure de la mer Rouge, vers juin 1695. Ils y passèrent la nuit et le lendemain trois autres flibustiers anglais vinrent à leur rencontre : le Susanna de Boston commandé par Thomas Wake, le brigantin The Pearl (capitaine William Mayes) et le sloop The Amity (capitaine Thomas Tew), ces deux derniers venant de New York; ils avaient chacun six canons, le brigantin avait entre 30 et 40 hommes, les autres 50 hommesxiii.

Malgré leur nombre, les pirates faillirent rater leur proie : un convoi de vingt-cinq navires qui devait sortir de Moka pour retourner aux Indes. Ce convoi réussit l'exploit de « passer près d'eux dans la nuit sans être vu, bien que le passage n'excédait pas plus de deux milles ». Ils apprennent leur déconvenue le jour suivant par une caïche. On se lance à la poursuite du convoi qui se dirige vers Surate. À trois jours du cap Diu, la vigie du Fancy signale deux voiles. Every prend d'abord en chasse le plus petit, Le Fateh Mohamed, qui n'oppose qu'une faible résistance. Il n'a tiré que trois coups de canon : les flibustiers prennent 50 000 ou 60 000 livres en argent et en or dans ce vaisseau. Le second, beaucoup plus imposant de taille, Le Gang-I-Sawai, ne se rend qu'après trois heures de combat. La prise dépasse de loin leurs rêves les plus fous. C'était, parait-il, le plus grand vaisseau de tout l'empire du Grand Moghol. Il transportait de nombreux passagers revenant du pèlerinage à La Mecque, dont plusieurs hauts dignitaires de la cour du grand Moghol et un certain nombre de femmes et de jeunes filles. « Ils prirent dans ce vaisseau tellement d'or et d'argent en monnaie et en vaisselle qu'avec ce qu'ils avaient pris avant, la part de chaque homme monta à 1000 livres. »

Après avoir transbordé ce trésor, ils laissèrent aller leur prise. Nos heureux pirates étaient maintenant suffisamment riches pour vivre dans l'abondance le reste de leurs jours. Cependant, ils ne parviennent pas à se mettre d'accord sur leur lieu de retraite, Every et ses hommes voulant aller à l'île de New Providence (aux Bahamas); mais ni les Danois et encore moins les Français ne voulaient être débarqués en pays ennemis. Les Français proposent de descendre à Cayenne : ce que refuse catégoriquement Every. Finalement, pour éviter la mutinerie, ce sera l'île Bourbon. On y arrive vers novembre 1695 où « tous les Danois et tous les Français furent mis à terre avec leur part de butin s'élevant à 970 livres par hommes ». Environ 66 flibustiers débarquent. C'est Jean-Baptiste Bidon qui prit sur lui de les admettre dans la colonie, ce sans consulter « les six élus habitants du quartier St-Paul ». En conséquence, les flibustiers restèrent cantonnés dans les quartiers de Sainte-Suzanne et de Saint-Denis et commencèrent à y faire couler leur or. Mais, lorsque plus tard, ceux-ci, voulant reprendre la mer et leur vie d'aventure, sollicitèrent l'autorisation de « bâtir un bâtiment pour sortir de cette île pour aller en Europe ou autres lieux où Dieu les conduira ». Les six élus leur rétorquèrent, le 5 février 1696, qu'ils devaient s'adresser à M. Bidon, « vu, messieurs, disaient-ils, qu'il vous à donner entrée dans l'île et qu'il a autant de pouvoir de vous en donner la sortie comme l'entrée, suivant les ordres du roi ». Bidon accorda tout ce qu'on voulut. Cinq mois plus tard, la construction est presque achevée lorsqu'une escadre française commandée par M. de Serquigny apparut à l'horizon...

Lorsqu'on apprit, au retour du Gang-I-Sawai à Surat, des rescapés le récit bouleversant des atrocités commises, les tortures, le meurtre de pieux pèlerins, le viol des passagères, une foule déchaînée vient assiéger les Anglais dans leur comptoir. Seule l'intervention des troupes sauva les Anglais de la furie populaire et du massacre. Le président Samuel Annesley et 65 autres employés de l'East India Company à Surat furent jetés en prisons fers aux pieds. Ils croupirent onze mois dans les prisons indiennes et ne furent libérés que le 27 juin 1696. Le grand Moghol, dans un accès de colère, songea même à envoyer une armée pour chasser les Anglais de toutes leurs factoreries en Inde. Le courroux impérial retomba indistinctement sur toutes les nations européennes qui commerçaient aux Indes comme l'expose M. de Pilavoine, directeur général de la compagnie française à Surat, dans une lettre du 19 janvier 1696 :

...les pirateries des Anglais dans les Indes ayant depuis plusieurs années interrompu le négoce des sujets du Moghol et des autres nations qui naviguent sur ces mers et notamment cette dernière mousson du mois d'août et de septembre de l'année passée, qu'ils ont pillés, entre plusieurs navires, un grand appartenant au Moghol revenant de Moka à Surate, sur lequel, outre une somme de 4 à 5 millions en or ou argent appartenant aux sujets de ce prince qu'ils ont enlevés, ils ont aussi insulté en leur honneur plusieurs dames de qualité qui étaient sur ledit navire. Ce qui, ayant été su du Moghol l'a extrêmement irrité non seulement contre les Anglais, auteurs de ce brigandage, mais encore contre toutes les autres nations de l'Europe qui font leur commerce à Surate, faisant peu de distinction des unes aux autres; de sorte que ce prince voulant tirer raison de ces pirateries a fait arrêter et mettre aux fers les Anglais de la compagnie de cette nation qui sont à Surate et interdire tout commerce à toutes les autres nations (françaises et hollandaises) établies aussi audit Surate.

Menacées tout bonnement de faillite, les compagnies européennes durent se plier aux volontés du Grand Moghol et assurer la protection des navires indiens qui allaient en pèlerinage à La Mecque. Les Français cédèrent les premiers, d'autant que les Anglais avaient tiré des geôles de Bombay les six flibustiers de Desmarestz capturés à Anjouan et promettaient de les remettre au gouverneur Ahmanat, khan de Surate :

Messieurs auront déjà été informés par les lettres de M. Pilavoine comme les Anglais ont pris six ou sept Français à l'île d'Anjouan et les ont emmenés en cette ville, disant au gouverneur et à tout le peuple que c'étaient eux qui étaient les pirates et qu'ils avaient pris le vaisseau du Grand Moghol. Mais le gouverneur ayant fait appeler mondit sieur Pilavoine, comme il a eu l'honneur de vous écrire, cela n'eut pas de suite. Néanmoins les Anglais, à force de mauvais traitements et de menaces, les pourraient obliger à dire ce qu'ils voulaient, nous appréhendions avec raison qu'à la fin cela nous fit des affaires. Nous tâchions de leur faire parler pour qu'ils prissent patience et nous recevions assez souvent de leurs lettres, quoiqu'en prison et aux fers dans la loge des Anglais. Mais, par la dernière qu'ils nous écrivirent, ils nous marquaient qu'ils étaient dans le dernier désespoir et qu'ils étaient prêts à tout risquer pour se sauver, que leurs fers étaient déjà tous limés et qu'ils devaient cette nuit-là forcer une fenêtre à grilles de fer et qu'on voulut bien leur aider pour les faire cacher dans quelque maison. Ce que nous fîmes à minuit, les faisant escorter par trois Français bien armés.

Le lendemain matin, les Anglais firent un vacarme terrible chez eux. Ils maltraitèrent presque tous leurs serviteurs et firent de grandes plaintes au gouverneur, qui leur dit tout froidement pourquoi ils ne les avaient pas bien gardés pendant qu'ils les avaient. Néanmoins, comme il est fort dans leurs intérêts, il leur fit donner plus de cent de ses soldats pour chercher dans la ville si l'on pourrait découvrir où ils étaient. Les Anglais ayant promis jusqu'à 1000 roupies à celui qui leur montrerait où ils étaient cachés, cette somme qui est assez considérable à des gens qui ne gagnent que 4 ou 5 roupies par mois, fit bientôt découvrir l'endroit où ils étaient, de façon que les deux avenues de la ville furent gardées par une troupe de ces gens.

Dès que nous sûmes le danger où ils étaient, nous cherchâmes les moyens de les retirer du péril parce que nous avions été informés que le dessein des Anglais était de les envoyer à Bombay et les faire pendre pour prouver par là que ce sont des forbans. De façon que nous les fîmes enlever déguisés et en plein jour, profitant d'une ondée de pluie qui obligea ces gens d'Entrer dans les maisons voisines pour se mettre à couvert. Les Français n'étaient pas encore entrés dans la loge que ces gens firent la visite de toutes les maisons du quartier. Ne les ayant pas trouvés, les Anglais, plus irrités que jamais, s'imaginèrent que ces Français étaient dans la maison des RR. PP. jésuites. Ils le persuadèrent au gouverneur qui envoya son capitaine des gardes avec grand nombre de soldats. Nous n'en fûmes avertis par les RR. PP. que lorsque tout le monde était dans la cour, ce qui nous obligea d'y envoyer et de représenter audit capitaine que nous considérions la maison de ces religieux comme notre loge et que nous trouvions fort mauvais qu'on voulut y faire la visite.

Néanmoins, comme tous ces gens étaient déjà maîtres de toute la maison, et que nous aurions eu de la peine à les forcer au petit nombre que nous sommes, et en venir à des extrémités que le temps ne permet pas, nous fîmes dire au capitaine qu'à la considération du gouverneur, nous voulions bien permettre qu'il entra lui deuxième pour voir si les Français qu'ils cherchaient y étaient mais que nous ne souffririons jamais qu'aucun des serviteurs des Anglais y mit le pied. Cela fut fait comme on était convenu, et nous envoyâmes notre courtier parler audit gouverneur pour lui faire connaître que ce que nous avions fait était à sa considération. Ledit gouverneur fit réponse qu'ils nous était obligé et qu'il ne croyait pas que cela nous dûmes faire de la peine.

Le lendemain, on nous dit que les Anglais avaient dessein d'aller eux-mêmes faire la visite chez les RR. PP. jésuites, disant que ceux qui l'auraient faite avaient été gagnés. Cela nous obligea à faire préparer toutes nos armes et nous mettre en état de ne pas souffrir un tel affront. Ce mouvement que nous fîmes fit d'abord grand bruit dans la ville. Et un Arabe de nos amis, officier du Moghol, vint nous offrir 300 bons soldats de sa nation. Nous le remerciâmes fort honnêtement et lui dit que nous étions suffisants pour les Anglais s'ils avaient envie d'exécuter leur dessein. Mais il est constant qu'ils n'ont pas osé l'entreprendre. Tout le monde de la ville a approuvé notre résolution.

Cependant, quoique ledit gouverneur a su depuis qu'ils étaient dans notre loge, il n'en a rien témoigné, non plus que lesdits Anglais. Nous attendons une occasion favorable pour les envoyer en terre portugaise ou ailleurs.

L'escadre de M. de Serquigny

Pour le reste de l'équipage de Desmarestz, dégradé à l'île d'Anjouan, une lueur d'espoir se profile avec l'arrivée aux Comores d'une escadre française de six vaisseaux de guerre, commandée par le comte de Serquigny d'Aché. Elle mouille dans la rade de Mohéli le 12 septembre 1695 :

Après quelques présents au roi de l'île, qui est arabe de nation, on a mis 400 scorbutiques à terre et rafraîchis de toutes sortes de commodités. Les gens du pays nous ont fait voir qu'ils ont beaucoup profité d'un vaisseau forban de 50 canons que trois frégates ayant poursuivi jusqu'à terre dans leur rade, l'ont fait échouer et perdre, l'équipage s'étant sauvé à terre avec tout leur butin qui était considérable pour avoir pillé quantité d'or et d'argent depuis la côte de Guinée jusqu'à la mer Rouge. Les Anglais prétendant les faire donner au roi du pays, ils ont pris la fuite à l'île d'Anjouan au nombre de 140 hommes.

Fin septembre, l'escadre lève l'ancre pour aller à Anjouan. Nos malheureux flibustiers se croient à la veille de leur délivrance, mais ils doivent déchanter :

Durant 7 jours que l'on a été à se rafraîchir, les flibustiers ont fait leur possible pour s'embarquer sur l'escadre, mais les gens de la Compagnie [des Indes orientales] s'y sont opposés, disant que cela leur ferait des affaires auprès du Moghol qui pourrait les rendre responsable de ses pertes. On s'est contenté de les aider de quelques commodités en payant. et, le 5 octobre, à la pointe du jour, on fit voile pour Surate.

En revenant des Indes, conformément aux instructions du roi, M. de Serquigny s'arrête à l'île de la Réunion. Le 2 juillet 1696, « nous vinmes mouiller à l'île Bourbon, dite Mascarin, dans la rade de St-Denis, où nous avons trouvé quelques 50 flibustiers français qu'un forban anglais y a laissé depuis 8 mois avec 3 ou 4000 écus à l'hommes, lesquels nous ont assuré que, sauf l'injustice qu'on leur a faite, il leur revenait beaucoup davantage pour avoir aidé à piller le vaisseau du Moghol ci-dessus mentionné; et plusieurs avaient été du nombre de ceux qui on ci-devant perdu leurs vaisseaux à l'île de Mohéli. Chacun d'eux menant une vie déréglée, étant dépourvu de toutes choses, l'escadre a beaucoup profité de leur indigence. Et l'on peut dire que c'était île d'Argent puisque l'on avait couché au jeu jusqu'à 10 200 écus sur une carte, vendu un baril d'eau-de-vie 600 livres, tout le reste à proportion. Chacun s'est bien rafraîchi, les plus gueux ont fait la bourse et les malades se sont bien remis pour y avoir un air admirable. »

Mieux informé Serquigny parle dans son rapport d'un groupe de 70 flibustiers. Il est le seul à évoquer la présence des Danois à l'île Bourbon : « Parmi les flibustiers, il y en avait bien 50 ou 55 de Français, que les Anglais avaient pris par force, et tout le reste Anglais ou Danois. Une partie de ces flibustiers se sont embarqués sur nos vaisseaux et quelques uns se sont mariés et établis dans l'île. » Parmi ces derniers, il faut citer Jan Van Hessche marié le 2 mai 1696 à Françoise Rivière, Victor Riverain marié le 12 juin à Marguerite Dailleau, François Garnier marié à le même jour à Monique Vicendo. D'autres mariages furent célébrés pendant le séjour de l'escadre : Antoine Brulot se marie le 15 juillet à Marie-Anne Hoarau; et le 29 août François Aubert avec Marie Cauchon, et Claude Ruelle à sa soeur Monique Caron.

« Afin de servir d'exemple et ne pas faire un repaire de brigands dans les terres de France », Serquigny et son état-major décident de réduire en cendres la barque que les flibustiers s'étaient avancés à construire : « Une frégate de 80 tonneaux; elle pouvait bien avoir 55 pieds de quille; Il n'y avait quasi plus qu'à la border. » On fixe l'exécution de cet ordre au 25 août, jour de la Saint-Louis et de la fête du roi.

Le 28 août, le flibustier Henry Grimaud acquit du directeur de la Compagnie, Le Mayer venu avec l'escadre, « l'habitation du Roi », située sur le bord de l'étang de Saint-Paul, pour la rondelette somme de 1100 écus.

D'après Jean Bassarin, quinze de ces flibustiers, moyennant des présents considérables au chef d'escadre - vaisselle d'argent, bijoux, roupies d'or - trouvèrent à s'embarquer sur les vaisseaux français. Le 4 septembre, l'escadre de Serquigny quitte la Réunion. Le sieur Joseph Bastide fut laissé dans l'île pour y commander au nm du roi jusqu'à nomination d'un nouveau gouverneur. « J'ai bien recommandé, dit Serquigny, au sieur Bastide, qui est resté comme commandant, de ne souffrir point qu'on fournisse aucun rafraîchissement aux vaisseaux corsaires ni de permettre qu'on y bâtisse aucun bâtiment. »

Jacques Léger

D'autres flibustiers de Saint-Domingue avaient répondu à l'appel du grand large. Déçus par les maigres profits qu'ils retiraient de leurs courses, les derniers frères de la Côte désertèrent leur vieux domaine vers des perspectives plus lucratives. En apprenant le départ à la mer Rouge du capitaine Jacques Léger, le gouverneur de Saint-Domingue, Ducasse, ne peut taire sa colère :

Un corsaire arrivé au Petit-Goâve de la côte de Carthagène... m'a appris aussi qu'un corsaire du Petit-Goâve appelé Jacques Léger avait embarqué avec 130 flibustiers des Isles pour la côte de la Nouvelle-Angleterre, où il compte prendre des vivres pour aller à la mer Rouge et dans le golfe Persique, dont je suis très fâché. N'étant plus en état de rien entreprendre et peu de me défendre, cette canaille n'envisage que sa convenance. Il faut compter ces hommes comme morts, car de tous ceux qui ont jamais entrepris ces voyages, il n'en est as revenu. Un forban anglais, arrivé l'année passée à la Caroline, dont l'équipage eut 20 000 francs à l'homme, leur a fait naître cette envie et, si ceux qui restent avaient des pilotes et les autres choses nécessaires, je les perdrais tous. J'ai cependant autant de ménagement qu'il est permis d'en avoir.

Pour le capitaine Léger, l'aventure tourne court à peine arrivé à Madagascar, où il est traîtreusement arrêté vers 1696 « par deux corsaires anglais ». Le maître d'équipage « voyant son capitaine arrêté avec une partie de ses gens et les Anglais qui voulaient enlever son vaisseaux, coupa son câble » et prit la fuite. Après sa mésaventure, l'infortuné Jacques Léger passe plusieurs années dans la grande île avant de se retirer à Bourbon le 22 mai 1699 sur la Margareth, du capitaine Samuel Burgess.

Le maître et les quinze hommes qui restaient de l'équipage de Léger conduisent leur brigantin à l'île d'Anjouan où ils rencontrent « 15 flibustiers à terre du naufrage du capitaine Desmarestz, corsaire de la Martinique, lesquels s'en sont venus avec eux. Ces derniers ont environ 2000 écus à l'homme ». Ils retournent ensemble en Amérique et abordent à Cayenne le 19 mars 1697. Ils sont bien reçus par le gouverneur de la place, M. de Ferrolles, qui s'efforce d'inciter quelques uns à se fixer dans la colonie, surtout les plus riches. Mais la plupart préfèrent se rendre aux îles sous le Vent ou à Saint-Domingue. Parmi eux, Gilles Renaud, qui, à son retour à la Martinique, fera le récit de ses aventures, M. d'Amblimont :

Un nommé Gilles Renaud, arrivé depuis deux ou trois jours des îles d'Anjouan par la voie d'un petit bâtiment appartenant à M. Ducasse, qui a abordé à l'île de Cayenne d'où il a ensuite passé en celle-ci, m'a assuré être du nombre de l'équipage du nommé Desmaretz, armateur commandant le navire La Baillastère, parti d'ici dès le 4 octobre 1691 avec 130 hommes sous une commission pour trois mois obtenue de M. le commandeur de Guitaud pour lors commandant en chef dans les Isles, et m'a dit que ledit Desmarestz ayant encore une commission non limitée de feu M. de Blénac, il s'en est servi pour entreprendre un voyage de long cours et qu'ayant été dans les Indes orientales après y avoir fait des prises très considérables, il y avait perdu son bâtiment, avec tout son butin, et la plus grande partie de son équipage, les uns ayant été tués, les autres étant morts de maladie et le reste dégradé ou dispersé sur des bâtiments étrangers. Il rapporte encore avoir rencontré il y a environ 18 mois les 6 vaisseaux du roi commandés par M. de Serquigny près lesdites îles d'Anjouan, que les officiers et équipages étaient en parfaite santé et faisaient route pour Surate.

Tandis que les uns voguent vers l'Amérique, sept autres avec le capitaine Desmarestz choisissent de se soumettre au commandant Bastide à la Réunion :

Votre Excellence apprendra aussi par cette lettre qu'il nous est arrivé aussi une barque le 6 décembre de l'année 1696 venant d'Anjouan, étant commandée par le sieur Isaac Veret-Desmarais, lequel a perdu son bâtiment à Mohéli nommé Le Saint-François. J'envoie à Votre Excellence une copie de sa commission bien qu'elle ne serait en aucune manière à leur faire trouver asile dans cette île, mais étant hors d'état de pouvoir naviguer plus loin, n'ayant que 7 hommes d'équipage avec 7 noirs tous malades et sans vivres. Quant au bâtiment,. il nous fut impossible avec tous les soins que nous y pûmes apporter de le garder sur l'eau plus de 5 heures. Voilà la raison, Monseigneur, qui m'a obligé à les retirer du péril si évident dans lequel ils étaient. Et d'ailleurs, étant Français, le sieur Desmarais se voyant sur l'âge et estropié d'un bras, il s'est marié ici après y avoir fait adjuration de l'hérésie dans laquelle il avait vécu jusqu'à présent.

Le capitaine Desmarestz, de son vrai nom Isaac Veyret, est né à Saintes le 14 juin 1653 et fut baptisé dès le lendemain dans la religion protestante par ses parents Isaac et Esther Pennaud. Il adjure solennellement le 14 mai 1697 à Saint-Paul par le truchement de « messire Louis de Lice, prêtre et missionnaire apostolique, qui, par hasard, s'est trouvé dans cette île ». C'était une condition sine qua non à toute bénédiction nuptiale. Et quinze jours plus tard, le 29 mai, à Saint-Denis, Desmarestz épouse une jeune créole de 17 ans, Françoise Barrière, veuve en premières noces de Nicolas-Armand Leroy. De cette union naquit une fille, Julienne Veyret, le 9 avril 1698. Cette enfant, en l'absence du prêtre, fut ondoyée à la naissance par le flibustier Julien Forget. C'est seulement le 7 juin, semble-t-il, que le père Jean d'Etchemendy, seul prêtre de l'île, put se rendre à Saint-Denis pour baptiser sous condition Julienne Veyret et l'inscrire dans les registres.

Avant lui et depuis le départ de l'escadre de Serquigny, quelques autres avaient contracté des alliances dans l'île. Ainsi, François Bouché avec Gabrielle Bellon le 17 septembre 1696; Henry Crimaud avec Marie Touchard le 23 septembre 1696; Jacques Picard avec Louise Collin le 1er novembre 1696; Denis Turpin avec Françoise Lebeau vers 1696; et Louis Chauveau avec Barbe Mussard en 1697. Et plus tard encore, le 21 octobre 1698, Jacques Huet avec Gironne Maillot; le 25 février 1699, étienne Le Baillif avec Marie Hibou.

Un recensement des « habitants de l'île de Bourbon portant les armes » fut établi par le commandant Bastide le 16 septembre 1697 et envoyé à la Cour sur le Postillon, lequel devait aussi rapatrier en France plusieurs flibustiers de Desmarestz, à qui M. Bastide accorda leur congé d'autant plus volontiers qu'ils étaient tous « séditieux et désobéissants » : Nicolas Beduet, Simon Du Bray, Jean Concaribos, Claude Andaran, Simon L'Anglais, Louis Bourbon et Jérôme Even.

Plus repentants, probablement sont-ils, les « volontaires qui restent dans l'île » comme Luc Detreinsoille, Pierre Dirual, Mathieu Teçlu, Jonas Penescant, Louis Huboüe, Jean Carcadeur, Claude Du Manoir, A... Mathieu, Jacques Le Flamant, Jean Rase (Hollandais) et enfin Julien Forget, « fils de Laurent Forget et de Marguerite Debourdeaux, de la paroisse St-Nicolas de Nantes ». Les parents de Forget appartenaient à la petite bourgeoisie nantaise en tant qu'arrimeur de vins. Arrivé en même temps que son capitaine Isaac Veyret dit Desmarestz, Julien Forget avait gardé avec lui des relations étroites et familières. Il était le parrain de sa fille et de plus était l'amant de Mme Barrière, sa belle-soeur dont le mari était aux galères à Marseille. Il en eut une fille, Julienne, également née le 12 mars 1699. Cette enfant sera abandonnée par son père, qui s'embarque le 28 novembre suivant sur la Zélande.

William Kidd

Plus de deux ans après que la Ballestrelle se soit brisée sur les récifs de Mohéli, on découvre encore à notre grande surprise des flibustiers aux Comores lorsque vient relâcher en ces lieux le capitaine William Kidd. Le repenti de Saint-Christophe s'était refait une réputation blanche à New York en rendant des services signalés comme corsaire. Des amis influents (le colonel Robert Livingston et le comte de Bellomont, gouverneur de la Nouvelle-Angleterre) lui obtinrent une mission officielle du souverain Guillaume III pour, comble de revanche, donner la chasse aux pirates de la mer Rouge et aux Français ennemis déclarés de la Couronne.

Le 31 mars 1697, William Kidd aborde Anjouan avec un vaisseau de 34 canons et 155 hommes, The Adventure Galley. Quatre navires anglais de l'East India Company viennent également mouiller dans la rade. Sa présence les inquiète, sa réputation est déjà des plus douteuses et les marchands se tiennent résolument sur leurs gardes. « Il nous invita tous à bord de son vaisseau et nous dit qu'il se rendrait à l'île de Sainte-Marie [Madagascar] pour courir sus les pirates. Mais à toutes ses prétentions, ses hommes nous confessèrent qu'ils espéraient trouver seulement un East-Indiaman à Anjouan. » Les marchands rapportent que Kidd aurait voulu acheter des vivres au sultan de l'île avec une lettre de change au nom du roi d'Angleterre en guise de paiement, ce qu'on lui refusa. « N'aimant pas notre compagnie », Kidd part pour Mohéli le 4 avril.

Durant les cinq semaines de carénage à Mohéli, la fièvre fut fatale à 50 de ses hommes. heureusement, en revenant à Anjouan, Kidd trouve de nouvelle recrues : « plusieurs matelots français et anglais qui avaient perdu leur navire près d'Anjouan ». Joseph Palmer, un matelot de l'Adventure Galley parle « de plusieurs Français, quelques Hollandais, quelques Anglais qui ont perdu leurs navires dans ces lieux; que les Français qui montèrent à bord avaient été pirater dans la mer Rouge à ce qu'ils nous déclarèrent et avaient de l'argent avec eux mais le prêtèrent au capitaine Kidd qui acheta avec des provisions pour le navire, et vers juin 1697 on appareilla d'Anjouan ». Les derniers rescapés de la Ballestrelle?

Il n'y a guère de doute possible. Parmi ceux qui viennent de purger une si longue relégation aux Comores, deux Anglais : Hugh Parrat, de Plymouth, et Nicholas Churchill, de Lower Lytchett, près de Pool. Et deux Français : « Monsieur Le Reté » et Jean Le Roy.

Une précieuse recrue ce Jean Le Roy, particulièrement doué quand il fallait jouer dans certaines circonstances le rôle du capitaine. Ainsi, lorsqu'en novembre 1697, le capitaine Kidd fait sa première prise sérieuse, à quelques lieues de Calicut sur la côte de Malabar. C'est un bâtiment maure, Le Rupparell, se rendant à Surate avec une petite cargaison de tissus et de sucre. Quelques coups de semonce suffirent pour convaincre le capitaine du bâtiment maure, un Hollandais nommé Michiel Dickers, de venir à bord de l'Adventure Galley battant pavillon français. Introduit dans la cabine du capitaine, il est confronté à « monsieur Le Roy » interprétant le rôle du capitaine. Dans l'espoir de sauver son navire, le Néerlandais présente un passeport français, l'instant que guettait le capitaine Kidd, qui s'écrie aussitôt :

- Pardieu! Je vous ai bien attrapé. Vous êtes une bonne prise pour l'Angleterre.

Kidd emploie le même stratagème pour arraisonner, le 30 janvier 1698, le Cara Marchand au large de Cochin. La prise, un bâtiment de 350 tonneaux, venait du Bengale et retournait à Surate avec une riche cargaison de soieries, mousselines, sucre, fer et salpêtre estimée à 200 000 roupies au moins. Elle appartenait à des Arméniens mais le capitaine était Anglais, un nommé John Wright. Voyant flotter au vent les couleurs françaises, le capitaine Wright envoie à bord un Français, un vieux canonnier, se présenter à sa place avec un laissez-passer de la Compagnie royale des Indes françaises :

De par le roi,

Nous, François Martin, écuyer, conseiller du roi, directeur général du commerce pour la royale Compagnie de France dans le royaume de Bengale, côte de Coromandel et autres lieux, à tous ceux que ces ces présentes verront, salut.

Les nommés Coja Ouanesse et Coja Jacob, Arméniens, nacodas du navire Cara Marchand, que le nommé Agapiris Parsi Kalinder, marchand arménien, a frété à Surate du nommé Cohergy Nannabaye Parsi ledit navire du port de 350 tonneaux ou environ, sur lequel est pilote Rette Taudel ou bossman Giuaunatou et écrivain Cassou, nous ayant remontré qu'ayant pris avant leur départ de Surate un passeport de la Compagnie qu'ils nous ont présenté en date du premier janvier 1697 signé Martin et plus bas De Grangemont, qu'ils appréhendaient d'être inquiétés dans le voyage qu'ils doivent faire de ce port à celui de Surate sous prétexte que le passeport est suranné et qu'ainsi ils nous priaient de leur en faire expédier un nouveau. À ces causes, recommandons et enjoignons à tous ceux qui sont sous l'autorité de la Compagnie, prions les chefs d'escadres et commandants des vaisseaux de Sa Majesté, requérons tous les amis et alliés de la Couronne de n'apporter aucun empêchement qui puisse retarder son voyage, ainsi lui donner toutes sortes d'aide et d'assistance, promettant en cas pareil le semblable. En foi de quoi, nous avons signé ces présentes, fait contresigner par le secrétaire de la Compagnie et à icelle apposer le sceau de ses armes au comptoir général d'Ougly, le 14 janvier 1698.

Martin.

Par mondit sieur, Desprez.

Le vieux canonnier n'abuse pas longtemps Jean Le Roy. Après un verre ou deux, il finit par reconnaître qu'il n'était que le canonnier et que son capitaine était Anglais. Mais la cause est déjà entendue. Kidd sort sur le pont et annonce triomphalement à son équipage « que le Français lui avait remis des passeports français ».

Le 1er avril 1698, l'Adventure Galley jette l'ancre à l,île de Sainte-Marie, haut lieu de la piraterie de Madagascar. Quelques temps après, 97 hommes - la pus grande partie de la compagnie - désertèrent pour s'engager sous le pavillon d'un pirate notoire, Robert Culliford, entre autres... Jean Le Roy, qui débarquera en décembre 1706 à l'île de la Réunion. C'est, d'après la description d'Antoine Boucher, « un créole de la Martinique, âgé d'environ 50 ans, qui toute sa vie a fait la flibuste et qui n'a point d'autre profession que celle de matelot. Homme sans aucune éducation et qui s'enivre six fois par jour, aussi a-t-il bientôt eu dissipé 2800 écus, avec lesquels il s'était débarqué à l'île de Bourbon en 1706 (au mois de décembre) d'un vaisseau forban. (...) Il est nourri et logé chez François Crondein, habitant de Saint-Denis, qui le garde chez lui par charité, car il n'est pas capable de travailler et n'attend qu'une occasion pour retourner en flibuste. »

Le pirate Thomas White dépose aussi pendant son escale à l'île de la Réunion, entre le 18 et le 23 décembre 1706, d'autres déserteurs de l'équipage de William Kidd. Leurs noms figurent au bas de la charte-partie entre Kidd et son quartier-maître John Walker. Ainsi le Hollandais surnommé « Jean Jouson » ou « Ducheman » y apparaît sous le nom de John Jonson; Edward Roberts ne fait qu'un avec « édouard Robert dit Robin », de Londres; quant à l'Irlandais « Patrick Dromer ou Droman », le document permet de rétablir sa véritable identité : Patrick Dinmer. Ces trois hommes se marieront dans la colonie après leur adjuration.

Copyright © Jacques Gasser, 1992-1993, 2004.

Notes de l'auteur

1. Mémoire du sieur de Cussy au marquis de Seignelay, Le Cap, 3 mai 1688, FR ANOM COL/C9A/1.

2. idem.

3. Copie de la charte-partie entre le capitaine Jean Charpin (commandant la Sainte-Rose) et son équipage, île à Vache, 18 février 1688, FR ANOM COL/C9A/2, f. 357.

4. Jacques Gasser, « Notice biographique sur les flibustiers de l'île de la Tortue et de la côte de Saint-Domingue, 1660-1697 » in Conjonction, nos. 174-175, Institut français d'Haïti, 1987. Voir aussi ci-dessous la note iv du webmestre au lecteur.

5. Réponse de Jean-Baptiste Ducasse (devenu gouverneur de Saint-Domingue) au mémoire du capitaine Charpin, FR ANOM COL/C9A/2.

6. idem.

7. idem.

8. Gabriel Debien, À la Guyane à la fin du XVIIe siècle : journal de Goupy des Marest (1675-1676 et 1687-1690) (Dakar, 1975).

9. Sur Burgess, voir Jacques Gasser, « L'isle Bourbon et les pirates de Madagascar, 1697-1699 » in Bulletin du Cercle généalogique de Bourbon, no. 29, 1990.

10. Lettre de M. Nègre (consul de France à Angra, île de Tercère), 30 mars 1692, FR AN (Paris) AE/B1/169. Nous remercions M. Michel Camus pour cette importante communication.

11. idem.

Notes de l'éditeur au lecteur

i. La copie que nous a transmise l'auteur a été corrigée par M. Camus lui-même, lequel est décédé en 1997. Une synthèse des travaux de ce dernier sur les flibustiers et la colonie française de Saint-Domingue peut être lue dans Michel C. Camus, L'île de la Tortue au coeur de la flibuste caraïbe (Paris, 1997).

ii. Lettre du major De Graffe au marquis de Seignelay, île à Vache, 1er avril 1688, FR ANOM COL/F3/165.

iii. Ce conflit (1688-1697) est connu en français sous le nom de « guerre de la ligue d'Augsbourg » et en anglais sous sous celui de « King William War ». Il marque le début d'une longue période d'hostilités (jusqu'en 1815 environ) entre les Français et les Anglais.

iv. En 1681 et 1682, Jean Fantin était contremaître à bord de la Trompeuse, vaisseau du roi loué par des particuliers pour faire la traite en Afrique, en Guyane et aux Antilles. Ce vaisseau fut détourné vers la Jamaïque par son capitaine Pierre Pain. De là, Fantin joignit la compagnie du capitaine néerlandais Yankey, l'un des flibustiers de Saint-Domingue, dans l'équipage duquel il est mentionné en 1684. Or, la dernière action de ce capitaine fut la prise de la hourque des Honduras vers la fin de 1687 ou au début de l'année suivante. La présence de Fantin à Roatán vers la fin du printemps 1688 laisse croire qu'il avait suivi Yankey dans sa dernière course.

v. Le trajet que suivirent Charpin, Fantin et les autres flibustiers du Dauphin ressemble étrangement à celui emprunté la même année par George Peterson, lui-même ancien compagnon du défunt capitaine Yankey. Au sujet de la course de Peterson aux côtes nord-est de l'Amérique du nord, voir notre texte : Raynald Laprise, « Descente d'un flibustier anglais en Acadie (1688) » in Le Diable Volant (Québec, 2003). La compagnie de Charpin et celle de Peterson sont probablement parties ensemble des Honduras à destination de la Nouvelle-Angleterre.

vi. L'auteur ne mentionne pas ici sa source, mais il s'agit vraisemblablement de la même que celle citée à la note 5.

vii. Ici encore l'auteur n'indique pas sa source, mais nous pouvons déduire qu'il s'agit de la lettre de Christopher Codrington (lieutenant-général des Leeward Islands) au Comité pour le Commerce et les Plantations, Nevis, 15/25 août 1689, résumée dans J W. Fortescue, comp., Calendar of State Papers, Colonial Series (vol. 13) : America and West Indies, 1689-1692 (Londres, 1901), no. 345. D'autres sources pour cette affaire proviennent sûrement de la correspondance du comte de Blénac, le gouverneur général des Antilles françaises, se trouvant dans AN C8 A.

viii. Lettre du comte de Blénac au marquis de Seigneley, Martinique, 10 septembre 1689, FR ANOM COL/C8A/5.

ix. Lettre de Blénac à Seigneley, Martinique, 27 septembre 1689, FR ANOM COL/C8A/5. Puisque nous n'avons pas les références exactes pour les lettres suivantes de Blénac et autres gouverneurs français des Petites Antilles, nous ne nous avancerons plus ci-après à les citer.

x. Les deux voyages du capitaine Montauban aux côtes occidentales de l'Afrique (1690-1691 et 1694-1695) sont décrits dans Alexandre O. Exquemelin, Histoire des aventuriers flibustiers qui se sont signalés dans les Indes (Paris, 1699), t. 1, pp. 322-340. Cependant le récit d'Exquemelin est une version édulcorée de la Relation du voyage du sieur de Montauban, capitaine de flibustiers, en Guinée, en l'année 1695, parue à Amsterdam en 1698.

xi. A. Augustin-Thierry, Mémoires de Robert Challes, écrivain du roi, (Paris, 1931).

xii. La croisière du capitaine Every, commandant le Fancy, est fort bien racontée dans les dépositions de deux de ses marins, lesquelles se trouvent résumées dans J W. Fortescue, Calendar of State Papers, Colonial Series (vol. 15) : America and West Indies 1696-1697 (Londres, 1904), nos. 517iii (relation de Philipp Middleton devant les Seigneurs Juges d'Irlande, 4/14 août 1696) et 517iv. (interrogatoire du marin John Dann, 3/14 août 1696). En l'absence de références dans le texte original, nous présumons que l'auteur a utilisé soit les résumés de ces déclarations et d'autres se trouvant dans les Calendars of State Papers, soit les originaux préservés au Public Record Office (Grande-Bretagne). Les courses d'Every et des flibustiers anglais que l'on a appelé les « Red Sea pirates » (lesquels seront mentionnés plus loin dans le présent texte) peuvent être suivies dans les volumes 14, 15, 16, 17 et 18 (couvrant les années 1693 à 1700) des Calendar of State Papers, Colonial Series : America and West Indies. Les origines de la mutinerie du Charles II (alias Francy) sous la conduite d'Every sont discutées dans Joel H. Baer, « William Dampier at the Crossroads : New light on the "Missing Years" », 1691-1697 in International Journal of Maritime History, VIII, no. 2 (décembre 1996), pp. 97-117.

xiii. idem. À l'exception d'Every lui-même, plusieurs de ses nouveaux associés avaient des commissions en règle pour prendre sur les Français, lesquelles furent délivrées ici par le gouverneur de New York et là par celui du Rhode Island. Ces commissions semblent n'avoir été que des prétextes pour justifier une croisière plus profitable en mer Rouge (communication personnelle de l'auteur au webmestre). Pour la suite du texte, l'auteur a eu accès tant à des documents anglais que français dont il ne donne malheureusement pas les références dans la copie qu'il nous a transmise. Dans la suite, pour éviter toute méprise, nous évitons donc de tenter de retracer ses sources, car ce qu'il écrit est digne de foi.


Référence et URL : Jacques Gasser, « L'odyssée du flibustier Desmarestz (1688-1700) » In Une histoire de la flibuste. Le Diable Volant: Québec, 2006. [en ligne] https://diable-volant.github.io/flibuste/Livre/textJG_merrouge1690.html