à M. d'Ogeron.
à St-Germain, le 9e avril 1670.
Monsieur,
Les deux lettres que vous m'avez écrites les 23 septembre et 20 octobre de l'année dernière, m'ont été rendues. J'ai été très aise d'apprendre que de tous les engagés qui ont passé avec vous à la Tortue, il n'en est pas mort aucun dans votre trajet. Quoi que vous soyez bien informé que le principal avantage que cette colonie en puisse recevoir consiste en la multiplication des habitants, je ne laisserai pas de vous recommander surtout de travailler à faire des établissements solides par des mariages, en sorte que le nombre en puisse augmenter considérablement tous les ans.
C'est assurément un grand malheur qu'il ne soit revenu que deux cents hommes des six cents qui s'embarquèrent il y a deux ans. Et d'autant plus que le nombre que vous me marquez de ceux qui en restent dans l'île n'est pas fort considérable, travaillez par toutes sortes de moyens à les augmenter, à quoi le soin que vous prendrez que ceux qui y sont habitués jouissent paisiblement de leur travail contribuera beaucoup.
J'ai appris avec plaisir que, quoi qu'il n'y ait pas un nombre suffisant de nègres dans votre île, vous espériez néanmoins que l'on ferait plus de vingt-quatre mil rolles de tabac. Je suis persuadé qu'en continuant de vous appliquer à rectifier les désordres qui se sont glissés dans cette fabrique, le commerce des pétuns deviendra de plus en plus avantageux aux habitants, et qu'ils en trouveront un débit, et plus prompt et plus assuré.
J'ai vu le mémoire des choses que vous estimez nécessaires pour l'établissement que vous proposez de faire à la Floride, mais je dois vous dire que, pour le rendre stable et solide, il faut d'abord penser à y construire quelque fort afin de mettre à couvert les sujets du Roi de toutes les injures qui leur pourraient être faites; et ensuite aux moyens d'y transporter tous les Français de la côte St-Domingue pour les y marier et établir solidement.
Votre neveu a mal fait d'adjuger la prise qui avait été faite sur les Espagnols depuis la conclusion de la paix entre les couronnes. Et comme le Roi ne veut pas qu'il y soit contrevenu de sa part, Sa Majesté vous fait connaître par la lettre que vous trouverez ci-joint que son Intention n'est pas que vous délivriez aucune commission en guerre contre les sujets du roi d'Espagne. À quoi je m'assure que vous ne manquerez pas de vous confirmer.
Je suis, etc.
Lettre du Roi à M. d'Ogeron pour lui dire de révoquer toutes les commissions qu'il a données en guerre contre les Espagnols, et de n'en plus délivrer à l'avenir.
Monsieur d'Ogeron,
Les commission que vous avez délivrées à aucuns de mes Sujets pour faire le cours sur les Espagnols pouvant altérer la paix et la bonne intelligence qui est entre Nous et notre très cher et très aimé bon Frère le roi d'Espagne, je vous fais cette lettre pour vous dire que mon intention est que, non seulement vous révoquiez toutes les commissions en guerre que vous pouvez avoir données jusqu'à présent, mais même que vous observiez à l'avenir de n'en faire expédier aucune sans mon Ordre express. À quoi m'assurant que vous vous conformerez exactement, je prie Dieu, monsieur d'Ogeron, qu'il vous ait en sa sainte Garde.
Écrit à St-Germain-en-Laye, le 30e mars 1670.
Signé : Louis.
Et plus bas : Colbert.