Relation de ma campagne dans le voyage de l'entreprise de Marecaye.
J'ai parti des îles Dalves le 25e mai 1678, après avoir embarqué les sujets du Roi restant du naufrage de ses navires, ayant des vivres pour six jours. Et le 5e juin, j'ai mouillé dans la baie de Marescaye, aux falaises de Corre, où j'ai laissé mon bâtiment et suis parti avec les autres qui composaient la flotte pour aller à la Barre, que j'ai passée le 8e et mis à terre, au fort, le même jour.
Le 10, à quatre heures, ma batterie étant dressée à 300 pas du fort, j'ai mis pavillon et envoyé sommer le gouverneur de me le remettre. Il me fit réponse qu'il était en état de se bien défendre, et aussitôt je commençai à le battre par quatre attaques. La nuit, je fis mes approches, et le 11e, les préparatifs pour l'assaut le lendemain au jour, mais le gouverneur, après vingt et une heures de siège, m'envoya offrir le fort demandant à sortir les pavillons, les armes et le bagage avec son monde pour se retirer où bon lui semblerait. Ce que je refusai, et ne lui voulus accorder rien du tout que de les traiter en prisonniers de guerre, puis une heure après, je pris possession du fort, y faisant chanter le Te Deum, aussi bien que dans le camp.
Puis, le 12e, je rembarquai mon canon, mon monde et 66 prisonniers de la garnison, laissant soixante et dix hommes dans le fort, à qui j'envoyai, le 13e, les vivres d'une barque que je pris, apportant du renfort pour le fort, et après avoir fait reconnaître un gouverneur et un lieutenant, j'appareillai pour Marescaye, où je mouillai devant la ville le 14e, où j'entrai en bataille sur les trois heures, posant le grand corps de garde dans l'église cathédrale, sur la place d'armes, et logeant mon monde par compagnie dans les logis les plus forts.
Le 15e, j'envoyai 180 hommes en parti au Macoualle, 13 lieues de la ville, pour avoir des prisonniers et 50 hommes à la chasse pour envoyer des viandes au fort.
Le premier de juillet, les partis m'amenèrent du Macoualle et des savanes cent trente prisonniers, hommes et femmes. Et le même jour, j'envoyai quatre bâtiments porter des vivres au fort avec deux pratiques pour entrer mon navire, qui se devait trouver pour entrer suivant mes ordres, et en revenant, ils me dirent qu'un bâtiment de la flotte coulant bas d'eau avait fait côte trois lieues au vent de la Barre sans perdre personne.
Le 5e, j'appareillai avec deux navires et une grande chaloupe pour aller chercher des bâtiments espagnols qui étaient dans le lagon, et le 15e, les bâtiments de la flotte me vinrent trouver à Ste-Marie, où j'appris que mon navire était dans la Barre.
Le 18e, j'envoyai un bâtiment porter sept tonneaux de maïs au fort, et je partis visitant les estances pour m'envituailler avec assez de peine, et je ne pus avoir que 165 barils de maïs pris en trois estances : St-Dyzié, St-Pèdre et St-Anthoine.
Le 3e août, j'ai envoyé deux navires me chercher les bâtiments espagnols que je savais, avec ordre de brûler ceux qu'ils ne pourraient pas amener. Et le même jour, j'ai envoyé un bâtiment porter huit tonneaux de maïs au fort et un autre avec lui chargé de caco et de pillage espagnol avec 50 esclaves à laisser.
Le 4e, j'ai mouillé à huit heures devant le fort de Gilbatar, où j'ai mis à terre aussitôt et entrai dans la ville, posant le corps de garde dans l'église, sur la place d'armes, faisant un ban, défense, à peine de perdre le voyage, de sortir du corps de garde sans armes et permission de l'officier, ni s'éloigner sans mon commandement. A midi, j'envoyai 150 hommes en parti commandés par trois capitaines.
Le 7, j'eus deux alarmes, la nuit, par les sentinelles qui virent les Espagnols. J'avais deux canons montés sur la place d'armes, où je mis mon monde en bataille, les prisonniers dans le fond de l'église et le castillan gardé par dix mousquetaires parce qu'il avait voulu sortir, malgré l'officier, dans l'alarme. À quatre heures, le parti revint avec dix-huit prisonniers. Je les interrogeai et sus d'un marchand que les forces des terres m'attendaient à Méride et Torhille. Puis, à la nuit, je renvoyai deux prisonniers avec un esclave, qui ne savaient rien de mes forces, auxquels je promis récompense pour me rassurer les esclaves dans les terres, auxquels les Espagnols avaient fait croire que je ne donnais pas de quartier, et faire en sorte d'en amener me trouver.
Le 9e, je renvoyai encore deux nègres après leur avoir fait bien des caresses, et le 10e, les deux prisonniers revinrent, qui amenèrent avec eux des blancs et des noirs, qui me venaient demander à manger et me dirent que, sans la peur d'être tués tous les jours, ils se viendraient rendre du monde qui mouraient de faim dans les bois.
Le 15, je tins conseil pour choisir où nous irions, de Méride ou Torhille : nous convînmes d'aller au dernier. J'ordonnai à chaque capitaine de faire porter par compagnie une ligne, deux haches, trois hamacs et de faire prendre à chaque flibustier cent cinquante coups à tirer.
Le 23, après avoir embarqué 250 prisonniers, j'ai fait ma revue pour l'entreprise des terres, où j'ai laissé 140 hommes pour la garde des bâtiments, et j'ai trouvé pour mener avec moi 425 hommes, dont j'ai détaché 50 hommes pour les enfants perdus, 28 pour l'arrière-garde et 24 pour la garde du bagage, et j'ai fait sept compagnies de quarante-huit hommes et formé mon bataillon, à la tête duquel j'ai fait un ban, défense de quitter son poste dans la marche ni de désobéir à peine de perdre le voyage.
Le 24, j'ai commencé la marche pour Torhille, envituaillé pour six jours de bananes et de mules salées par aiguillette.
Le 30, je passai la rivière, de l'eau un peu plus qu'à la ceinture, rapide à ne s'y pouvoir pas tenir. Je fis tendre les lignes et passer sur chaque ligne quatre à quatre. Je perdis trois armes, et à trois heures, je marchai en bataille à la tranchée qui ne fut pas défendue, et l'ennemi se retira à la seconde pour y soutenir.
Le 31, j'entrai dans la seconde tranchée, à trois quart de lieues de la ville, sur les quatre heures, où je trouvai deux canons chargés à balles de mousquet. Elle était défendue par trois cents hommes, qui quittèrent sur le détachement de trois compagnies que je fis pour aller sur une hauteur prendre le derrière de la tranchée pendant que je marchais droit à elle le long de la rivière. Et tout d'un coup je poussai à la ville, d'où le monde ne faisait que sortir dans la croyance qu'ils avaient eu que je ne passerais pas la tranchée.
Le premier de septembre, j'envoyai un parti de 150 hommes dehors.
Et le 4e, j'envoyai un prisonnier à Gaspard Baret, juge, avec une lettre et un passeport pour venir racheter la ville. Le 6, le parti revient avec des prisonniers et le lieutenant de roi, que je fis écrire pour le rachat de la ville, et j'envoyai deux partis dehors.
Le 10, deux hommes de mes troupes trouvèrent, à une demi lieue du quartier, un mulâtre, page de Don Diègue Valeres, qu'ils tuèrent parce qu'il ne voulait pas demeurer, et il leur dit, en mourant, que le gouverneur de Corossol était à Marecaye et que le fort était pris par les Hollandais. Je pris cela pour un faux bruit semé par l'Espagnol afin de me faire retirer des terres. Aussi ne m'empressai-je pas davantage.
Le 15, le padre Asoaire, curé de la grande église créole de la ville, et fort homme de bien, vint parler avec moi et m'offrir quatre mille pièces de huit pour le rachat de la ville avec mille paquets de farine. Je lui laissai la ville à vingt-cinq mille pièces, ce qu'il ne put faire sur la difficulté qu'il y avait de parler à ceux qui avaient l'argent, qui s'étaient retirés les uns à Caraques et les autres à Ste-Foy du Nouveau-Règne, deux cent lieues de là, de sorte qu'il s'en retourna sans rien conclure.
Et le 16, je brûlai cette pauvre ville pucelle, qui avait coûté plus de huit cent mille écus, après avoir coupé les églises d'avec les maisons et fait porter les Crucifix, Notre-Dame et les Images dans la paroisse. Et le même jour, je partis. J'avais voulu aller à El Toucouille, petite ville à dix-sept lieues de là, puis à Méride, mais les prisonniers nouveaux m'assurèrent que je ne trouverais personne nulle part.
Le 20e, j'arrivai à Coulouba aux Barbaconne, peuplade d'Indes qui nous fait la guerre sans quartier quelle que chose que j'aie pu faire pour me les attirer. Ces misérables avaient fait une tranchée à leurs embarcadères pour me résister. J'y envoyai trente hommes, qui n'en purent joindre que quatre, qui eurent la tête coupée et dirent qu'ils avaient ordre de ne point donner de quartier. Je partis de là le 23, après avoir tout brûlé.
Le 25, j'ai mouillé à la rade de Gilbatar, où j'ai envoyé demander à Houan Félix, capitaine, s'y l'on rachèterait la ville, lequel m'a fait réponse qu'il ne savait où prendre les principaux. Le même jour, j'interrogeai un prisonnier, qui m'a dit que Don Siprian, lieutenant de roi de Marescaye, était à la pointe de Palme avec 150 hommes indes et 80 blancs pour surprendre de mes gens à la chasse et que l'on avait nouvelles de l'évêque à Corre, et qu'il y avait 300 hommes de Caraque qui attendaient du renfort de Corosol pour venir assiéger le fort.
Le 29, j'ai appareillé de Gilbatar pour aller à la rivière Coulouba chercher un navire espagnol.
Le premier octobre, après avoir mouillé les bâtiments par les quatre brasses, j'allai avec les canots dans la rivière Coulouba quatre lieues haut, où je trouvai le navire Le Saint-Joseph, de Marescaye, traversé sur ses amarres, avec dix canons montés et cinquante hommes et huit pierriers. Je lui tuai sept hommes avec le capitaine et dix-neuf blessés, et le même jour, je mis le navire à la bouche de la rivière, qu'il me fallut décharger pour le sortir.
Le 3, j'ai appareillé pour aller chercher les marchandises d'un navire de Calis, de 300 tonneaux, que j'ai brûlé parce qu'il était vieux et hors d'état de servir. Le soir, j'ai mouillé à un islet, où je les ai trouvées le quatre : c'étaient caco, tabac, des vivres, vin, eau-de-vie, toiles, étoffes, dentelles, cuirs, ruban et du fil.
Le 15, j'ai mis à terre à Marescaye, où j'ai trouvé quelques familles qui m'ont demandé des vivres, ne sachant où aller parce que, partout dans les ranches, il y avait le flux de sang, où le monde mourait de misère.
Le 16, un religieux de Saint-François, le révérend père Simon, m'a racheté un navire en fabrique sur les escorres. Ce père m'a dit qu'il avait beaucoup d'estime pour moi, que mon procédé était trop honnête pour ne pas attirer d'honnête gens, et qu'il voulait me rendre service et me faire confidence de tout ce que l'on entreprendrait contre moi.
Le 22, j'ai envoyé des viandes et du maïs au fort.
Le 24, j'ai envoyé au gouverneur de Marescaye, dans le bois où il était errant, lui demander trois hommes que l'on m'avait pris à la chasse, qu'absolument je les voulais ravoir.
Et le 25, Martin Desvia, un capitaine espagnol, me les ramena de la part du gouverneur, à qui je renvoyai deux familles de sa nation qu'il m'avait fait prier de lui rendre en échange, et outre cela, je lui renvoyai un de ses parents que j'avais prisonnier. Le même jour, le juge vint à la ville sous bannière blanche pour me parler du rachat de la ville. Je lui donnai pour cela huit jours, pendant lesquels l'on me fournit vingt-cinq boeufs par jour. Le même jour, le père Simon m'est venu aviser que six frégates flamandes et deux brûlots s'étaient accommodés avec les Espagnols pour me garder hors la Barre et m'en empêcher la sortie.
Le 7, j'ai envoyé deux navires à Gilbatar avec ordre à l'un des capitaines de traiter du rachat de la ville ou sinon la brûler.
Le 14, un parti m'a amené l'argoïsil. Le même jour, j'ai conclu le rachat de la ville à 6000 pièces et 1000 boeufs rendus à la ville.
Le 16, les bâtiments de Gilbatar sont revenus, qui ont brûlé la ville et toutes les estances situées au bord du lagon jusqu'à Marescaye.
Le 3 de décembre, j'ai rembarqué le canon, huit pièces que j'avais aux avenues des rues sur la place d'armes. Et ayant caréné tous nos bâtiments, j'ai donné les ordres et les signaux à chaque capitaine de la flotte, de qui j'ai révoqué les commissions jusqu'à la Côte; et le signal pour combattre est une flamme rouge à mon mât d'avant, où pour lors l'on m'engagera l'abordage au plus tôt, les bâtiments amatelotés comme il suit:
- Lagarde et Archambaud;
- Stel et Le Gascon;
- Granmon et son brûlot, Nicollas Le Fée;
- Desmoullins et Aymé;
- Gouin et Mathieu;
- Josse et Grenezé.
L'après-midi, j'ai congédié 450 prisonniers, relevé la garde et me suis embarqué, emmenant avec moi dix filles sages et de bonnes familles qui m'ont prié à mains jointes de les mener à la Côte pour s'y marier. Le soir, à neuf heures, j'ai mouillé à trois lieues entre le Calfat et la ville, qui est une roche restant avec elle Est et Ouest, trois lieues. J'avais de la viande en sel pour deux mois dans les bâtiments avec du maïs pour quinze jours, et l'Espagnol me devait encore 600 bêtes sur le rachat de la ville que je leur laissai en ayant assez.
Le 4, j'ai mouillé à la pointe à Cabrita, près de terre par les 5 brasses, où j'ai passé le 5 à cause de la brise qui était forte; c'est le dernier quartier.
Le 6, j'ai mouillé à la caye à Vigie, et le 7, j'ai embarqué Le Saint-Philippe, une pièce de fonte du fort de 22 livres de balle, la munition 14 pierriers. J'ai embarqué aussi 34 pièces de canon de fer, et j'ai encloué le reste, environ 42 pièces. Le 8, j'ai rasé son donjon, sa guérite et ses parapets, démoli sa plate-forme et brûlé partout.
Le 9, j'ai fait venir mon bâtiment devant le fort et, à neuf heures, j'ai balisé la passe avec mes chaloupes jusqu'à midi, l'heure de la pleine mer, que j'ai fait appareiller le navire, lui marquant sa route de l'avant de lui dans mon canot, faisant partant du fort, le nord-ouest un quatre ouest, et Orco, nord et sud, d'un morne de sable blanc qui fait trois coupes avec l'herbe dessus, et pour lors l'on est dehors. Je trouvai partout douze pieds le moins, et la mer montait de deux cinq pouces par mon observation. Le vent était nord-est, petit temps, beau plus qu'il n'avait été, à ce que me dit l'Espagnol, depuis soixante ans.
Et le dix, je renvoyai quelques prisonniers dans une chaloupe, que je leur donnai avec des vivres, et je fis route, ayant sorti du lagon une frégate de douze pièces, trois petits navires et une caïche. Mon rendez-vous était à Haquin, à la côte St-Domingue, six lieues au vent de l'île à Vache.
Le 13, à trois heures du soir, je passai entre les Monnes et le cap Kiquibaco, rangeant les Monnes d'un quart de lieue à vau-le-vent, qui sont à quatre islets, dont celui plus sud est coupé en deux, et sont éloignés de la Grande Terre de cinq lieues. Je fis le nord sous les basses voiles.
Le 16, ayant toujours chassé nord toutes les basses voiles, je pris hauteur et trouvai 17 et 35, et à deux heures, j'envoyai au haut des mâts, où l'on vit terre, des mornes avec des tapions blancs, et à six heures, je mouillai à Haquin, en dedans de la pointe du récif, par les six brasses; et pour entrer, faut passer au milieu de la passe du vent, rangeant un peu plus les tapions de l'est que la roche qui est dans la passe.
Le 18, j'appareillai et fus mouiller à l'ouest de l'île à Vache sur les fonds blancs par les 7 brasses, d'où j'ai appareillé le 20.
Le 22, j'ai doublé le cap Thiberon, et le 23, à la Grande Anse.
Puis le 24, sur les cinq à six heures, j'ai mouillé devant le Petit-Gouave, où la flotte a porté en caco, marchandises, esclaves, argent monnayé et gargantilles, environ cent cinquante mil écus.