Négrier et pirate (1683)
En novembre 1682, le président de l'audience royale de Santo Domingo et gouverneur de l'île Espagnole, Francisco de Segura Sandoval, autorise un certain Nicolas van Hoorn, de Flessingue, en Zélande, à faire entrer son navire Le Saint-Nicolas dans le port de Santo Domingo pour y faire des vivres et réparer quelques avaries. Ce capitaine voyageant sous pavillon anglais venait de Guinée avec une cargaison d'esclaves. Il prétendait que sa destination était la colonie anglaise de la Barbade, mais qu'il s'était perdu en route à la suite du décès de son pilote. C'était sans compter que la disette, presqu'une famine, sévissait ou, du moins, avait sévi à bord comme le révèle le piètre état de santé des esclaves, et même de l'équipage du Saint-Nicolas. Il devient toutefois rapidement évident que la véritable destination de Van Hoorn n'était pas la Barbade, mais toute colonie espagnole où il pourrait vendre en fraude ses esclaves, mais cela ne demeure que des suppositions parce que Van Hoorn se retrouve bientôt accusé de tout autre chose, soit d'avoir commis quelques vols aux dépens des Espagnols dans la baie de Cadix et à ceux de la Geoctroyeerde Westindische Compagnie (GWC) aux côtes de Guinée. En effet, mécontents de leur capitaine, certains marins du Saint-Nicolas le dénoncent aux autorités espagnoles de Santo Domingo. Ce sont ces prétendues pirateries que rapportent le présent document.
Ce que celui-ci ne précise pas, sans doute à dessein, ce sont les circonstances dans lesquelles Van Hoorn a entrepris ce voyage. Il s'agissait de son troisième en Guinée comme interlope, c'est-à-dire comme capitaine marchand y faisant du négoce sans passeport des grandes compagnies de commerce européennes. À la suite de démêlées en justice avec l'une de ces compagnies, celle de son propre pays, la GWC au retour de ses deux premiers voyages, Van Hoorn était allé s'établir, avec femme et en enfants, en Angleterre où il avait acheté, fin 1681, son dernier navire qu'il baptisa Le Saint-Nicolas. Lors de son précédent voyage (son deuxième, en 1679-1680), il avait vendu une partie de ses esclaves dans la colonie française de Cayenne, où l'un de ses beaux-frères, le Franco-hollandais Balthazard Le Roux qui l'accompagnait s'était établi. De retour en Europe, il s'entendit avec l'ancien gouverneur de Cayenne, Antoine Lefebvre, chevalier de La Barre, pour approvisionner cette colonie en diverses marchandises, dont des esclaves. Ce fut ainsi que La Barre devint le principal bailleur de fonds du troisième et dernier voyage négrier de Van Hoorn. Participèrent également à son armement son propre frère aîné Jacob, ancien bourgmestre de leur ville natale, et un banquier parisien nommé Daniel Crommelin, qui fut d'ailleurs du voyage jusqu'à Cadix comme premier marchand à bord du Saint-Nicolas. Ce dernier investisseur avait été attiré dans l'entreprise parce que Van Hoorn avait, par ailleurs, conclu à Cadix, vers la fin de 1680, une entente lui permettant d'importer une certaine quantité d'esclaves dans les colonies espagnoles. L'entente avait été conclue avec Juan Barroso del Pozo, l'un des sous-traitants de l'Asiento de los Negros, le contrat donné par la couronne espagnole pour la vente d'esclaves dans ses colonies américaines. Cependant, Barroso refusa d'honorer l'entente qui le liait à Van Hoorn sous prétexte que ce dernier s'était présenté trop tard à Cadix, ce qui provoqua infailliblement la colère du principal intéressé avec les conséquences que l'on sait.
Finalement, à Santo Domingo, Van Hoorn va s'en tirer à très bon compte, étant obligé de laisser 48 esclaves comme caution et de restituer quatre pierriers marqués aux armes du roi d'Espagne qu'il aurait volés à Cadix. Les juristes auprès desquels le président Segura prit conseil avaient, en effet, émis de sérieux doute quant à la justesse de condamner le Zélandais pour piraterie pour des choses aussi triviales que ce qu'il avait fait à Cadix. Quant aux actions menées contre la GWC, ces mêmes juristes soutenaient que ces petites pirateries entre étrangers ne concernaient pas la justice espagnole. À dire vrai, même si Van Hoorn avait obtenu l'appui de Rodrigo Pimentel, homme puissant à Santo Domingo, bien connu pour l'aide qu'il fournissait aux contrebandiers, le président Segura — comme plusieurs — n'appréciait nullement la personnalité de « cet homme mauvais », et il l'aurait condamné s'il n'avait pas eu certains scrupules, qui lui vaudront à lui-même un long procès dont il ne verra pas l'issue de son vivant.
Peu importe toutefois les résultat, pour lors, le vindicatif capitaine zélandais considère son procès à Santo Domingo comme un affront personnel, et il est bien résolu à se venger des Espagnols. C'est ainsi qu'aussitôt sorti de Santo Domingo, il se rend au Petit-Goâve, dans la partie de l'île de Saint-Domingue occupée par les Français, où il prendra une commission du gouverneur Jacques Nepveu de Pouancey, ce qui donnera lieu à la prise de Veracruz, le plus retentissant exploit des flibustiers depuis l'expédition de Panama.R. Laprise.