Le Diable Volant

Les Archives de la flibuste

Prise de Veracruz par les flibustiers de Saint-Domingue (1683)

La prise de Veracruz, le grand port de transit du Mexique, là où l'une des deux flottes aux trésors venait régulièrement chercher une partie des richesses de l'Amérique espagnole pour les porter en Europe, fut l'une des entreprises les plus profitables des flibustiers. Elle nécessita moitié moins d'hommes que celle de Panama (en 1671) et elle rapporta, à chacun de ses participants, beaucoup plus, et ce même si le dessein des flibustiers sur cette place était connu depuis suffisamment longtemps pour prévenir le raid. Le document reproduit ici résume assez bien cette entreprise, et chose peu commune, il nomme la plupart des capitaines qui y étaient engagés. Hormis Nicolas Van Hoorn qui n'avait pas d'expérience comme capitaine flibustier dans les Antilles, mais qui en avait les qualités et les défauts, tous les autres étaient chefs comptant plusieurs années de service : son lieutenant le sieur de Grammont, Jean Blot, Jean Tristan, Michel Andresson, François Lesage ainsi que les marins néerlandais Laurens De Graff et Jan Willems alias Yankey (appelé ici « Jean Key »). Deux capitaines anglais, qui ne sont pas identifiés dans la relation, participèrent aussi à cette entreprise : George Spurre et Jacob Hall. Autres précisions : « Rottan » et la « rivière de Matique » sont respectivement l'île de Roatan et la baie d'Amatique; le « fort de St-Jean-de-Lux » est l'île fortifiée de San Juan de Ulua qui défend l'entrée du port de Veracruz. Le gouverneur de Veracruz était alors Luis Fernández de Córdoba, et la flotte de la Nouvelle-Espagne était commandée par le capitaine général Diego Fernández de Saldívar et l'amiral Diego de Orozco. Enfin, l'auteur de cette relation, dont les archives n'ont pas retenu le nom, se trouvait à Saint-Domingue au temps où une partie des flibustiers revinrent de Veracruz. Peut-être s'agit-il d'un capitaine ou d'un officier d'un navire marchand venu traiter dans la colonie, ou plus vraisemblablement d'un habitant de Saint-Domingue, mais ce n'est pas le lieutenant de roi Franquesnay qui en était le commandant par intérim depuis le décès du gouverneur Pouancey survenu durant l'absence des flibustiers.

description : relation anonyme de la prise de Veracruz par les flibustiers de Saint-Domingue en 1683; pièce jointe à la lettre de Pierre Arnoul (intendant de marine à Rochefort), datée du 16 novembre 1683.
source : FR AN (Paris) MAR/B4/9/fol. 389-390.
contribution : Dominika Haraneder (2000).

Relation du voyage des flibustiers aux Andoures et Nove Espagne.

Les capitaines Laurens De Graff et Michel Landerson, commandant deux vaisseaux de 30 pièces et 150 hommes chacun, avec une barque longue, partirent de la Côte le mois de novembre 1682 et furent à l'île de Rottan y caréner leurs navires en attendant que la hourque sortît de la rivière de Matique, et pendant le séjour qu'ils y firent, furent rejoints par Jean Key et Blot, et environ 100 hommes dégradés en des canots. Au commencement d'avril dernier, le sieur Vanhoorn, commandant un vaisseau de 40 pièces de canon et 300 hommes, s'y rendit aussi avec la hourque et sa patache, qu'il avait prises devant la rivière de Matique sans qu'il y eût autre charge que 2000 livres d'indigo. Et après avoir désagréé la hourque et ôté son artillerie et tout ce qui lui pouvait servir, ledit Vanhoorn y mit le feu et équipa la patache de 24 pièces, dont il donna le commandement à Tristan.

Sur ladite caye, lesdits sieurs Vanhoorn et Laurens eurent un différend, et en étant venus aux mains, le premier fut blessé au bras, dont il mourut cinq à six jours après, ayant laissé le commandement de son navire à M. de Grammont, qui s'y était embarqué dès le Petit-Goâve volontaire. Les Anglais se sont retirés partie à la Jamaïque et à la Caroline. Laurens, Michel, Jean Key et Blot, avec une petite prise faite par Laurens dans les Handoures qui était de petite conséquence, se sont rendus au Petit-Goâve à la fin d'août après avoir beaucoup souffert du manque de vivres et perdu une partie de leurs esclaves, mais ledit sieur de Grammont et Tristan encore en mer : ceux qui sont arrivés croient qu'ils auront été obligés d'aller à la Caroline faire des vivres, même y caréner leurs vaisseaux. Lesdits Laurens, Michel, Jean Key, Blot et Lesage commandant la petite prise, étaient prêts à sortir du Petit-Goâve pour aller à St-Yago de Cuba, qui est le repaire des pirogues qui nous ont beaucoup fatigués depuis cinq à six mois, en ayant encore paru une environ le 16 ou 18 septembre sur le cap Tiberon, avec environ 70 hommes, laquelle attaqua un bateau anglais dans lequel il y avait 15 ou 16 flibustiers français qui se retiraient après avoir perdu la barque longue de Laurens à la côte de Cuba, qui la reçurent si bien qu'elle eut beaucoup de peine à se sauver de nos gens, qui l'auraient enlevée s'il avait venté.

En montant du Petit-Goâve au Port-de-Paix, nous avons rencontré trois chaloupes remplies de chasseurs et habitants du Cap qui abandonnaient pour aller prendre parti avec les flibustiers, et il en était parti d'autres avant ceux-là, aussi bien que du Port-de-Paix, pour pareil dessein.