Le Diable Volant

Les Archives de la flibuste

Justifications des Français pour armer contre les Espagnols en temps de paix (1683)

De 1679 à 1683, la France et l'Espagne sont officiellement en paix pour l'une des rares fois durant le 17e siècle. Cependant, le roi Louis XIV permet au gouverneur de Saint-Domingue d'armer les flibustiers contre les Espagnols par droit de représailles. Le présent document est un exemple des permis que les gouverneurs délivraient aux capitaines flibustiers pour prendre sur les Espagnols à l'occasion de ces périodes de paix armée. Les motifs sont ici très précis : il s'agit de répondre aux agressions commises par des flibustiers espagnols, armés à Cuba, contre de petits bâtiments français. Seul le gouverneur était habilité à émettre ces documents que l'on appelait commissions. Ici, puisque le gouverneur en titre était mort depuis quelques mois, le pouvoir en échut à l'officier qui était le plus élevé en rang de la colonie, le lieutenant de roi Franquesney. La commission était, dans la majorité des cas, valide pour six mois, mais celle-ci servit à son porteur puis à son successeur pendant quatre ans et demi! En effet, le capitaine Grogniet ne retourna pas à Saint-Domingue, car il traversa l'Isthme de Panama pour aller piller les Espagnols le long des côtes pacifiques de l'Amérique du Sud. À la fin de ce périple, une partie des hommes de Grogniet, qui mourut en avril 1687, retournèrent aux Antilles par le Honduras puis ils se rendirent à la Jamaïque où ils furent retenus prisonniers comme forbans par les Anglais. C'est pourquoi une copie de cette commission se trouve aujourd'hui conservés aux Archives nationales du Royaume-Uni (TNA) : l'original ainsi que la première copie conservée au greffe du Petit-Goâve sont évidemment disparues depuis longtemps. Elle fut envoyée par le gouverneur Cussy à son homologue de la Jamaïque, le duc d'Albemarle, pour prouver que les hommes du défunt Grogniet n'étaient pas des pirates, mais bien des corsaires réguliers, qui avaient, il est vrai, largement outrepassé les termes de leur permis. Albemarle la transmit, le 30 juin 1688, en Angleterre au Comité pour le commerce et les plantations.

description : copie certifiée de la commission de Jacques de Pardieu sieur de Franquesney (lieutenant de roi à Saint-Domingue) au capitaine François Grogniet alias Cachemarée, Petit-Goâve, 14 novembre 1683.
source : TNA CO 1/65/no. 8ii.

Le sieur Franquesnay, lieutenant pour le Roi au gouvernement des îles de la Tortue et côte Saint-Domingue,

Sur les plaintes qui nous ont été faites par plusieurs habitants de cette côte que les Espagnols arment incessamment des pirogues qui les viennent journellement voler et piller leurs habitations, prennent et emportent tous leurs nègres, meubles et ustensiles, outre qu'ils ont massacré, tué et coupé en morceaux un nombre considérable des sujets du Roi établis en cette côte, qui fait que lesdits habitants ne sont en sûreté de leur vie ni biens, empêchant le commerce que les habitants peuvent faire le long de cette côte d'un quartier à l'autre, parce que lesdits Espagnols prennent, brûlent et coulent à fond les barques des sujets de Sa Majesté et récemment les barques des capitaines Pierre Gohin, Simon Gombauld et François Moromtin, qui étaient à la bande du sud de cette île négociant avec les habitants dudit lieu, qu'ils ont pris et brûlés, massacrés et fait couler à fond partie de leurs équipages;

Et sur l'avis qui nous a été donné que les Espagnols établis à la ville de Saint Jague de Cuba font un armement fort considérable de gros navires, barques et quantité de pirogues et galères pour venir détruire tous les sujets du Roi en tous les quartiers de ce gouvernement; outre que lesdits Espagnols commettent tous les jours tous les actes d'hostilité qu'ils peuvent contre et au préjudice de la paix et de l'union qui est entre Sa Majesté et le Roi très Catholique;

Et pour remédier à tels désordres, nous avons estimé important pour le service du Roi et la conservation de cette colonie de permettre aux habitants de cette côte, sur une requête qu'ils nous ont présentée à ce sujet, d'armer les vaisseaux et navires qu'ils trouveront le long de cette côte pour faire la guerre aux Espagnols tant par mer que par terre.

À CES CAUSES, nous avons permis et permettons au capitaine François Grogniet dit Chasse-Marée d'armer son navire nommé Le Saint-François, dans lequel il y a 70 hommes tant soldats que matelots avec 6 pièces de canon qui sont dans ledit navire et leurs armes, pour faire la guerre aux sujets du roi d'Espagne et prendre leurs navires, barques et pirogues qu'ils trouveront et les amener dans ce gouvernement et non ailleurs à condition que ledit capitaine Grogniet observera et fera observer pendant son voyage les ordonnances militaires et de la marine et que des prises qu'il fera il amènera trois ou quatre des principaux officiers pour être procédé aux informations et fera son rapport à son retour dans les vingt-quatre heures de la manière que se sera passé son voyage.

EN FOI DE CE QUE DESSUS, nous avons signé la présente commission qui ne servira que pour un voyage seulement, laquelle sera signée et enregistrées au greffe, à laquelle avons fait apposer le cachet de nos armes et contresigner par notre secrétaire.

Au Petit-Goave, côte Saint-Domingue, ce 14e novembre 1683.

À l'original : de Franquesney.

Et plus bas par mondit sieur : La Chesnaye.
Et scellé.

Collationné sur l'original rendu au capitaine Grogniet et enregistré ce 15e novembre 1683, par moi soussigné.

Renault, greffier.