La conquête d'un Nouveau Monde (1492-1523)
À l'origine de la flibuste, il y eut le commerce, la volonté des nations européennes à trouver une nouvelle voie à destination des Indes et de ses richesses: or, soie, épices et pierres précieuses. Déjà, dans les premières décennies du XVe siècle, le Portugal, sous l'impulsion du prince Enrique, l'un des fils du roi, avait entrepris l'exploration des côtes occidentales de l'Afrique (amenant ainsi la fondation de colonies aux Açores et à Madère) et probablement aussi du Brésil. Vers le même temps, les Espagnols avaient, quant à eux, occupé puis colonisé les îles Canaries. Mais le passage vers les Indes par le cap de Bonne Espérance, à l'extrémité sud du continent africain, n'allait être emprunté, pour la première fois par des Européens, qu'à la toute fin du siècle, vers le même moment où un navigateur d'origine génoise, autrefois au service du Portugal et à présent à celui de la Castille (l'un des deux royaumes formant alors l'Espagne), venait de « découvrir une nouvelle route vers les Indes » en traversant l'Atlantique.
Cristòbal Colòn (le fameux Christophe Colomb) avait pourtant dû passer des années en démarches auprès de la reine Isabel de Castille et de son époux Fernando (futur roi d'Aragon) pour obtenir le soutien de la première. Enfin, le 3 août 1492, il était sorti du port de Palos avec à peine une centaine d'hommes répartis sur trois petits vaisseaux. Après une escale aux îles Canaries, il traversa l'Atlantique et, le 12 octobre de la même année, il abordait à l'une des îles Lucayes (les Bahamas). Il y rencontra ses premiers « Indiens », en fait des Arawaks, l'un des deux groupes indigènes des Antilles. Au cours de ce premier voyage aux « Indes », il visita aussi deux des Grandes Antilles: Cuba (qu'il prit pour le Japon) et, surtout, Haïti, qu'il rebaptisa Hispaniola. À la côte nord de la seconde de ces îles, il fit ériger un petit fort nommé La Navidad, où il laissa quelques uns de ses hommes avant de rentrer en Espagne.
En septembre 1493, environ six mois après son retour, Colòn repartait pour les « Indes », cette fois à la tête d'une flotte de dix-sept bâtiments, avec non seulement des marins mais aussi des colons, plutôt des aventuriers âpres au gain. En novembre, il découvrait les Petites Antilles. Celles-ci, pour la plupart et à la différence des grandes îles du même nom, étaient peuplées par de farouches guerriers, les Caraïbes, dont les moeurs anthropophages horrifieront bientôt les Espagnols. L'année précédente, les Arawaks d'Hispaniola avaient d'ailleurs informé Colòn de la férocité des Caraïbes, lesquels, sur leurs grandes pirogues de guerre, avaient coutume de lancer des expéditions de pillage contre les populations indiennes plus paisibles des autres îles de la mer qui portaient leur nom. Pressés par ses hommes qui redoutaient de rencontrer pareils sauvages, Colòn abrégea son exploration des Petites Antilles et gagna la côte nord d'Hispaniola. Là, il découvrit que le fort Navidad avait été détruit et toute la garnison massacrée par les Arawaks! Ces derniers, bien qu'étant plus d'un million dans toute l'île, n'étaient cependant pas de taille à lutter contre les Espagnols.
À l'est des ruines de La Navidad, toujours sur la côte nord de l'île, Colòn fonda une colonie qu'il baptisa Isabel en l'honneur de sa protectrice, la reine de Castille. Dès le départ, les colons espagnols dépendirent des Arawaks pour leur subsistance: manioc, patate douce, maïs et autres vivres que les seconds cultivaient dans les grandes plaines de l'île. Rapidement aussi, ils se comportèrent en grands seigneurs, traitant les Indiens avec rudesse et mépris. Ainsi lorsqu'ils occupèrent l'une des plaines les plus fertiles de l'île, la population indienne qui y vivait se révolta et refusa alors de cultiver la terre pour nourrir les Espagnols. Mais cette arme se retourna contre les Arawaks eux-mêmes: la faim en tua 50 000 en l'espace d'un an. Ainsi, en 1495, l'année suivant cet incident, Colòn mata facilement les Indiens, affaiblis par la famine. Celle-ci devint presque endémique notamment par l'imposition d'un tribut payable en or aux populations indigènes vivant dans les zones aurifères de l'île, qui, à l'époque était riche en métal jaune.
En dépit de ces problèmes internes, Colòn n'en fit pas moins une croisière d'exploration vers les îles voisines, longeant ainsi la côte sud de Cuba et découvrant la Jamaïque, puis en avril 1496, il regagnait l'Espagne. En mai 1498, il entreprenait un troisième voyage vers ses « Indes » au cours duquel il reconnut l'île de Trinidad et les côtes du Venezuela avant de rallier Isabel. Vivement critiqué en Espagne pour son administration à Hispaniola, Colòn y vit débarquer en 1500 un haut fonctionnaire royal, Francisco de Bobadilla, lequel releva le découvreur de ses fonctions et le renvoya en Espagne. À cette destitution s'ajoutera quelques années plus tard une autre déconvenue. Amerigo Vespucci, un autre navigateur, lui aussi d'origine italienne, passé du service de l'Espagne à celui du Portugal, démontra (1504) que Colòn n'avait pas atteint les Indes ni quelque partie de la Chine comme celui-ci continuait à le croire, mais bien un nouveau monde. Ainsi apparut le nom d'Indes occidentales pour distinguer ces nouvelles terres des Indes orientales (les Indes véritables), et un peu plus tard elles furent même nommés Amériques d'après le prénom de Vespucci. En dépit de sa disgrâce, Colòn obtint la permission de faire un quatrième et ultime voyage d'exploration (1502-1504), au cours duquel il visita les côtes du Panama, du Costa Rica et des Honduras. Il ne put toutefois recouvrer son poste de vice-roi des Indes à Hispaniola, où peu de gens, à la vérité, souhaitait son retour.
Le différend entre les colons espagnols et leur ancien gouverneur avait porté essentiellement sur les Indiens, que les premiers voulaient littéralement asservir à leur propre profit. En 1497, Colòn avait dû leur céder et instaurer un système d'exploitation privé des Indiens, l'« encomienda », lequel allait marquer les relations entre les Espagnols et les peuples amérindiens soumis, durant toute la Conquête. Le privilège de l'encomienda consistait à attribuer un groupe d'Indiens, parfois la population d'un village entier, à certains colons (dits alors « encomiendos »). Avec l'arrivée de Nicolás de Ovando comme gouverneur général (1502-1509), l'encomienda connut ses sinistres heures de gloire à Hispaniola. Les hommes furent déracinés de leurs villages, les familles séparées durant de longues périodes. Quelques Arawaks, voyant leur univers détruit, préférèrent se suicider. D'autres encore furent victimes de la cruauté de leurs maîtres. Plusieurs périrent au travail dans les mines d'or, car telle était la principale utilité des Indiens. Plus grave, le travail forcé dans les mines et la disparition de leurs villages amèrent les Arawaks à négliger les récoltes. De là, la famine, laquelle (de pair avec les nouvelles maladies venues d'Europe) préleva le plus lourd tribut parmi la population indigène d'Hispaniola. Elle fut, de plus, aggravée par le bétail (boeufs et porcs) importé par les Espagnols, lequel se multiplia rapidement dans les plaines et contribua à la destruction des principales cultures locales. Estimé à plus d'un million d'individus en 1492, les Arawaks d'Hispaniola, ne seront plus que 50 000 environ en 1510, 10 000 en 1520 et à peine 500 en 1550.
Confronté à une pénurie de main-d'oeuvre, le gouverneur Ovando dut autoriser en 1509 des expéditions de razzia aux îles Lucayes, ce qui eut pour effet direct de dépeupler les Bahamas de sa population autochtone en moins de dix ans. L'année suivante, l'économie d'Hispaniola basée surtout sur l'or atteignit son apogée puis entama son inexorable déclin: les mines commençaient à se tarir. Quoique la même année, la nouvelle capitale d'Hispaniola (Santo Domingo fondée en 1504), la première ville bâtie en pierre dans l'île, devint le siège d'une Audience royale, les Espagnols se mirent à essaimer sur les autres Grandes Antilles. Ainsi Juan Ponce de Leòn colonisa l'île Boriquén (Puerto Rico), où il fonda la ville de San Germán (1508), puis celle de San Juan (1511), et dont les habitants apprendront très vite à redouter les Caraïbes des Petites Antilles, d'une autre trempe que les Arawaks. Diego Velásquez, quant à lui, s'occupa de la colonisation de Cuba, où furent érigés San Cristòbal de La Habana (1511) à la côte nord-ouest, puis Santiago (1514) à celle du sud-est. À l'exemple de ce qui s'était produit à Hispaniola, les hommes de Ponce de Leòn à Puerto Rico et ceux de Velásquez à Cuba asservirent les populations arawaks, réprimèrent dans le sang les révoltes et exploitèrent intensivement les richesses aurifères jusqu'à leur épuisement. Vers la même époque, Francisco de Garay obtenait le gouvernement de la quatrième grande Antilles, la Jamaïque, et utilisa les mêmes méthodes que ses homologues des autres îles.
Parallèlement à la colonisation, les entreprises de découvertes s'étaient poursuivies, surtout du côté de la « Tierra Firme », la Terre Ferme de l'Amérique allant du Panama oriental jusqu'aux bouches de l'Orénoque. Dès 1500, Alonso de Ojeda avait exploré tout le littoral, en rapportant de l'or, et surtout des perles. Par la suite, les côtes du Venezuela furent le théâtre de plusieurs raids esclavagistes tentés, à partir d'Hispaniola, contre les Indiens. En 1509, Ojeda encore et un certain Diego de Nicuesa tentèrent en vain de s'implanter au Panama, ce que l'un de leurs hommes devait réussir quelques années plus tard. En effet, en 1513, Vasco Núñez de Balboa traversa l’isthme de Panama jusqu’à la mer du Sud (l'océan Pacifique), pavant la voie à la fondation de Panama (dès 1514) par son beau-père, le sinistre gouverneur Pedro Arias de ávila, et ultérieurement à la conquête du Pérou par Pizzaro et Almagro. La colonie de Cuba fut particulièrement active dans ces voyages de découverte, à partir du milieu des années 1510. Les entreprises cubaines, financées en partie par le gouverneur Velásquez lui-même, étaient dirigées vers le Mexique, dont la découverte puis la conquête procureront d'immenses richesses à l'Espagne, plus que tout ce qu'avaient pu rapporter jusqu'alors les Indes occidentales.
Les Conquistadores
En 1517, Francisco Hernández de Córdoba arma à La Havane trois navires avec une centaine d'hommes d'équipage, tant marins que soldats. Un mois environ après son départ de Cuba, il arrivait au cap Catoche, à la côte nord de la péninsule du Yucatán. Il y découvrit un important village indien, dont les habitants se révélèrent plus avancés culturellement et politiquement que les Arawaks. C'étaient des Mayas, qui pratiquaient des sacrifices humains! Descendu à terre pour prendre langue avec eux, Córdoba et ses hommes tombèrent dans une embuscade et durent se rembarquer promptement. Longeant ensuite vers l'ouest la péninsule, ils en atteignirent le littoral occidental, et visitèrent un autre gros village bâti au bord de mer nommé Campeche, où ils reçurent un accueil plus amical. Ils allèrent mouiller ensuite un peu plus au sud, à Potonchan, où les Espagnols durent affronter les Indiens pour une seconde fois. Córdoba paya chèrement cette troisième escale: plus de la moitié de ses hommes manquaient à l'appel lorsqu'il appareilla. Puis, en passant par la Floride, il retourna à Cuba, où il ne porta finalement que peu de butin.
À la suite des rapports encourageants quant aux richesses des Indiens du Yucatán que lui fit Córdoba, le gouverneur Velásquez autorisa une nouvelle expédition. Ainsi, en 1518, quatre navires furent armés à Santiago de Cuba, où résidait le gouverneur. Celui-ci en confia le commandement général à l'un de ses parents, Juan de Grijalva, lequel recruta 240 hommes. En avril, sa flotte étant réunie dans la baie de Matanzas, à la côte nord de Cuba, Grijalva appareillait pour le Yucatán. Après avoir reconnu l'île Cozumel et le cap Catoche, il fit voile vers Campêche, puis il aborda à Champoton, à peu de distance au sud. Là, à l'exemple de Córdoba l'année précédente, il dut affronter les Indiens dont il parvint à occuper le village pendant quatre jours. Reprenant ensuite la mer, il se rendit à la lagune de Términos puis aux fleuves Tabasco et Banderas où cette fois les Espagnols furent reçus amicalement par les Indiens. Enfin, il toucha à l'île Ulúa, en face du futur site du grand port de Vera Cruz. De ses échanges avec les Indiens durant son voyage, Grijalva rapporta à Cuba de l'or et d'autres richesses en quantité appréciable, mais surtout la nouvelle qu'il y avait au coeur du Mexique une grande ville, dont le roi ou empereur commandait à tout le pays.
Au retour de Grijalva, le gouverneur Velásquez s'empressa de mettre sur pied une nouvelle expédition. Onze navires furent armés pour ce troisième voyage, avec un peu plus de 600 hommes. Par ses intrigues, un hidalgo nommé Fernando Cortés en obtint le commandement général à la place de Grijalva, mais ses adversaires persuadèrent bientôt Velásquez de le lui retirer. En février 1519, Cortés quitta donc La Havane pour le Yucatán, sans autorisation du gouverneur, ce qui ne déplaisait pas à la majorité des hommes, ces aventuriers qui, à Cuba, ne possédaient rien ou n'étaient que de petits encomiendos. Ayant fixé son rendez-vous à l'île Cozumel, Cortés alla droit au cap Catoche où les Indiens reçurent cette fois les Espagnols assez bien. De là, il entra dans le golfe de Campêche et poussa jusqu'à Tabasco. Les Indiens de cette province livrèrent plusieurs combats contre les troupes de Cortés, mais vaincus ils firent la paix avec les Espagnols. Ensuite Cortés passa à l'île de San Juan de Ulúa, et débarqua à la côte du Mexique avec son monde. Là vinrent le trouver des émissaires du souverain aztèque Moctezuma, devant lesquels il se livra à une démonstration de force avec ses cavaliers et ses arquebusiers.
Sur les rapports qu'on lui avait fait de Moctezuma et de sa capitale Tenochtitlan (Mexico), Cortés prit deux décisions capitales. D'abord il rompit officiellement tout lien avec le gouverneur Velásquez, obtenant à cet effet les pleins pouvoirs de ses hommes pour mener à bien la conquête du pays directement au nom du roi d'Espagne, l'empereur Charles Quint, petit-fils de la reine de Castille et du roi d'Aragon, lequel avait uni sous sa personne les deux royaumes hispaniques. Ensuite, avec l'appui de la majorité des conquistadores (car tel était le nom qu'ils se donnèrent eux-mêmes), il fit saborder tous les bâtiments de sa flotte, à dessein de couper l'envie aux mécontents de rentrer à Cuba pour informer Velásquez de toute l'affaire. Près d'un village indien qui s'était allié à lui, il fit tracer les fondations de la Villa Rica de la Vera Cruz, le premier établissement espagnol du Mexique. Laissant là une petite garnison, Cortés prit la direction de Mexico à la tête de 415 hommes. C'était en août 1519. Arrivé sur les terres de la cité de Tlaxcala, les Espagnols se heurtèrent d'abord aux guerriers de celle-ci. Mais les Tlaxcaltèques étaient rebelles au pouvoir central aztèque. Habile diplomate, Cortés en fit ses alliés. Il lui fallut trois mois pour arriver à Mexico, durant lesquels, avec l'appui de ses nouveaux alliés, il soumit ici et là, par la force armée ou la persuasion, villes et villages indiens.
En novembre 1519, Cortés, ses hommes et leurs alliés entrèrent enfin à Mexico où ils furent reçus royalement par l'empereur Moctezuma. Mais, apprenant que l'un des gouverneurs du monarque aztèque avait attaqué la garnison espagnole de la Vera Cruz, il se saisit de la personne de Moctezuma, qu'il garda en otage à l'intérieur de son propre palais. Un peu plus tard, il reçut une autre mauvaise nouvelle de la Vera Cruz: une forte de troupe, dépêchée de Cuba par Velásquez, venait d'y débarquer pour l'arrêter, ses hommes et lui. Confiant la garde de Moctezuma à son lieutenant Pedro de Alvarado, Cortés, avec le gros de ses hommes, retourna à la Vera Cruz, et vainquit l'armée cubaine (mai 1520), notamment en achetant avec de l'or plusieurs des officiers de son commandant en chef, Panfilo de Narvaéz. Entre-temps, à Mexico, Alvarado et ses hommes avaient massacré plusieurs dignitaires aztèques par traîtrise sous prétexte de prévenir une révolte. Peine perdue, lorsque Cortés revint à Mexico, les Aztèques se révoltèrent contre les Espagnols. En tentant d'empêcher les combats, Moctezuma, toujours prisonnier des conquitadores, fut tué. écrasés sous le nombre de leurs opposants, Cortés dut quitter précipitamment la ville, avec de lourdes pertes, surtout parmi les hommes de Narvaéz qui s'étaient joints à lui. Quelques jours après leur départ, à Otumba, les Espagnols parvinrent toutefois à remporter une victoire cruciale sur leurs poursuivants aztèques et purent ainsi gagner la cité allié de Tlaxcala.
Au cours des sept mois suivants, Cortés prépara minutieusement sa seconde marche sur Mexico, consolidant ici et là ses alliances avec les cités hostiles aux Aztèques. Il porta aussi les effectifs de son armée à un millier d'hommes, tirant des renforts des équipages de plusieurs navires qui vinrent mouiller à la Vera Cruz durant cette période. Pendant ces préparatifs, les Espagnols bénéficièrent d'un allié inattendu: la variole, dont était porteur un esclave noir de l'armée de Narvaéz et qui décima la population de Mexico, dont le propre successeur de Moctezuma. Maître de la rive nord-est du lac de Mexico à la fin de décembre 1520, Cortés ne commença qu'en juin suivant le siège de Mexico elle-même, après s'être allié toutes les autres cités du lac ou les avoir soumises. Grâce une flotte de brigantins qu'il avait amené de la Vera Cruz en pièces détachées, il s'assura le contrôle du lac. Enfin, après plusieurs affrontements sanglants, la capitale isolée fut prise. Et le 13 août 1521, après la cessation des hostilités, Cortés était officiellement maître de tout le lac, et de l'ancien empire aztèque.
Convoitises étrangères
Lorsque connue en Europe, la conquête du Mexique fit grand bruit (plus que la « découverte » de Colòn à vrai dire), tant en Espagne que chez les adversaires de celle-ci, en tête desquels se trouvait la France, exclue comme les autres nations de ces riches terres par le pape lui-même. En effet, dès 1481, par la bulle Aeterni Regis, le pape avait alloué au Portugal toutes les terres situées au sud des Canaries. En 1493, un amendement à cette bulle avait accordé au Portugal toutes les terres situées à l'est du méridien passant par le 38e degré de longitude ouest, et à l'Espagne toutes les terres situées à l'ouest de ce méridien pour profiter des découvertes de Colomb. Mais, dès l'année suivante (1494), le traité de Tordesillas avait reporté cette ligne au 46°37' ouest, ce qui permettra par la suite au Portugal de revendiquer le Brésil.
Certes, dès la fin du XVe siècle, ces monopoles portugais et espagnol des terres neuves avaient été contournés par des marins français. Ainsi, avant 1500, des marins de Normandie et de Bretagne avaient fréquenté les côtes du Brésil pour y chercher notamment une essence de bois servant à teindre les étoffes en rouge, appelée d'ailleurs « bois de brésilet » et qui aurait donné son nom au pays. Terre-Neuve et le littoral nord-américain furent aussi explorés tant par les Français que par les Anglais, et exploités, surtout pour la pêche à la morue. Toutefois avant le milieu des années 1520, il est peu probable que des marins non-espagnols aient fréquenté les Antilles. Néanmoins, les Français ne tardèrent pas à vouloir profiter eux aussi des richesses des Indes occidentales, de la même manière que les Espagnols les avaient acquises des Indiens, c'est-à-dire par le pillage aux dépens des premiers bien sûr. À défaut d'aller à la source de ces richesses, des Français se mirent d'abord à guetter les vaisseaux espagnols revenant d'Amérique. Ainsi, au retour de son troisième voyage en Amérique, Cristòbal Colòn aurait dû, semble-t-il, se réfugier à l'île de Madère pour échapper à des corsaires français. Mais les agressions ne commencèrent véritablement qu'avec l'année 1521, où la France et l'Espagne entrèrent en guerre l'une contre l'autre, la première d'une longue série qui allait marquer les règnes de François Ier et de l'empereur Charles Quint, leurs souverains respectifs. En fait, pour être exact le premier coup (et un coup retentissant) visant le nouvel empire espagnol des Indes fut porté un peu moins de deux ans après le début des hostilités.
En juin 1522, moins d'un an après la prise de Mexico, Cortés dépêcha en Espagne à l'attention de Charles Quint, un vaisseau chargé d'une bonne partie du trésor personnel du défunt Moctezuma. Il en confia la garde à deux de ses lieutenants, Alonso de ávila et Antonio de Quinones. Au début de l'année suivante, après la traversée de l'Atlantique, le vaisseau espagnol arriva à la hauteur des Açores. Là, le navire et ses deux conserves rencontrèrent une flotte de huit bâtiments corsaires, commandée par le capitaine Jean Fleury, montant lui-même Le Dieppe, de 300 tonneaux. Il s'en suivit une poursuite qui se termina au cap Saint-Vincent, à quelques jours de navigation de Séville. Fleury et ses capitaines s'emparèrent alors de deux des navires espagnols, dont celui de Quinones tué lors du combat, lequel était chargé du trésor et portait aussi une relation de la chute de Mexico adressée par Cortés au roi. Avec cette prise, Fleury ramena à Dieppe, à son armateur Jean Ango, un imposant butin en perles, en or et en pierres précieuses.
En plus du trésor de Moctezuma, dit-on, le capitaine Fleury mit la main sur des cartes de navigation révélant la route à suivre pour aller aux Indes occidentales. Si lui-même n'allait pas s'en servir, puisqu'il ne se rendit jamais en Amérique, d'autres corsaires français allaient profiter de ces cartes, du moins des connaissances des marins espagnols et portugais qu'ils captureront ici et là aux côtes atlantiques de l'Europe et de l'Afrique durant cette guerre.
R. Laprise.
sources
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- CHALIAND, Gérard, Miroirs d'un désastre: chronique de la conquête espagnole de l'Amérique, Plon, Paris, 1990.
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- DIAZ DEL CASTILLO, Bernal, Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne, éditions La Découverte, Paris, 1987, 2 vol.
- LA RONCIèRE, Charles de, Histoire de la Marine française (tome 3), Librairie Plon, Paris, 1923.
- LE BRIS, Michel, D'or, de rêves et de sang: l'épopée de la flibuste (1494-1588), Hachette Littératures, Paris, 2001.
- MEANS, Philip Ainsworth, The Spanish Main: Focus of Envy, 1492-1700, Charles Scribner's sons, New York, 1935.
- MOREAU, Jean-Pierre, Les Petites Antilles de Christophe Colomb à Richelieu (1493-1635), éditions Karthala, Paris, 1992.