Diverses courses des flibustiers qui ont précédé la prise de la ville de Campesche.
Le 16 d'août de l'année 1683, quarante-six aventuriers flibustiers partirent dans un bateau de 40 tonneaux avec 4 pièces de canon pour joindre la flotte du général de Grammond à l'île de la Tortille.1 Ils y trouvèrent quatre bâtiments français, venant d'une expédition sur la rivière d'Ynocq.2 Et pendant six semaines qu'ils y restèrent, les capitaines Laurent et Michel, qui commandaient chacun un vaisseau de 36 pièces de canons et de 300 hommes, y vinrent aussi et furent suivis du capitaine Pednau, monté sur un vaisseau de 14 pièces de canons et de 130 hommes.3 Tout cela joint ensemble faisait environ 900 hommes propres à une descente.4
On détacha les capitaines Vigneron et de La Garde pour faire quelques prisonniers sur la côte de Sainte-Marguerite et de Cumana, et savoir d'eux quelque endroit où il y eût de l'argent, mais ceux qui furent pris assurèrent qu'il n'y en avait pas point.5
Les flibustiers sur cette réponse se séparèrent. Le capitaine Pednau fut à la côte de Caracq se caréner. Les autres allèrent à l'île d'Or. Et comme il est libre à chaque flibustier de choisir et de changer de vaisseau en payant les vivres, ils emmenèrent avec eux ceux qui voulurent être de leur partie, et firent de cette manière près de 400 hommes. L'île d'Or est voisine du golfe d'Arien, côte de Cartagène. Ils prétendaient en traversant cet espace de terre, qui n'est que de 14 lieues, passer dans la mer du Sud.6
À l'égard du capitaine Michel, avec qui j'étais,7 il alla au cap Cordière pour faire de l'eau et pour surprendre le vaisseau qui vient tous les trois ans recevoir les épingles de la reine d'Espagne, qui se montent à trois millions de piastres, la plus grande partie en perles que l'on tire de la Marguerite et de la rivière de la Hache. Il manqua cette prise, parce que les flibustiers s'étaient tellement excités à boire en célébrant la fête des Rois qu'ils ne purent équiper assez promptement des canots pour envoyer après une pirogue espagnole qui les avait découverts, et qui revira dans le moment pour en donner avis.8
Cet événement obligea le capitaine Michel à sortir du cap Cordière. Et allant à Corrosol, il rencontra le capitaine Laurent sur un bâtiment chargé de quinquina et de 50 000 livres en espèces.9 La nuit les empêcha de se reconnaître, le capitaine Laurent dans la pensée que c'étaient des Espagnols avait résolu de se brûler plutôt que de se rendre. C'est sa manière : il la garde encore aujourd'hui, et lorsqu'il reçoit quelques aventuriers dans son bord, il leur dit qu'ils peuvent s'assurer de n'être jamais pris par des Espagnols avec lui.10
Il eut de la joie d'avoir rencontré ses amis, mais elle fut traversée par la fâcheuse nouvelle des épingles de la reine d'Espagne qu'ils lui apprirent. Ce coup lui donna du chagrin, et lui tenait beaucoup trop au coeur pour ne pas tenter une seconde fois la fortune. On leva l'ancre et l'on alla au cap de la Vele, à 14 lieues de la rivière de la Hache, où les flibustiers ayant appris qu'on avait déchargé le vaisseau de ce qu'ils cherchaient, et qu'on avait trop bien pourvu à sa sûreté, cent d'entre eux descendirent à l'île d'Or et allèrent dans la mer du Sud joindre ceux qui y étaient déjà passés, d'où ils ont écrit qu'il ne leur manquait que du monde, et que tous ceux qui voudraient les venir trouver se donnassent de garde des eaux croupies, qui avaient fait périr plusieurs des leurs, auparavant que de s'apercevoir qu'elles étaient empoisonnées.11
Les cent flibustiers qui avaient quitté le capitaine Laurent lui causèrent le même besoin de monde. Il ne put faire autre chose avec le capitaine Michel que de croiser le long de la côte de Cartagène, en attendant le retour de leurs deux meilleurs voiliers, qu'ils avaient envoyés pour voir s'il n'y aurait point quelques aventuriers dans ces mers, mais ils ne rencontrèrent que deux vaisseaux ennemis qui leur donnèrent la chasse, et peu de temps après la flotte d'Espagne parut fort de cinq à six mille hommes, qui contraignit les flibustiers d'abandonner leur dessein sur Cartagène. C'est ce qui a donné lieu à l'entreprise de Campesche, dont le succès paraissait comme assuré, à cause que cette ville n'étant pas défendue par une armée, ne demandait pas tant de monde pour la forcer.12
Annotations
Le départ de ces 46 hommes ne peut avoir eu lieu en 1683. Selon les événements rapportés dans ce chapitre, il faut plutôt lire « le 16 d'août 1684 ». En effet, dans un mémoire daté du 24 du même mois (FR ANOM COL/C9A/1), le sieur de Cussy, nouveau gouverneur de Saint-Domingue, rapporte qu'il avait donné à Grammont une commission pour commander en chef tous les flibustiers de la colonie, avec instruction de les réunir pour l'exécution d'une entreprise commune, et il ajoute que ce capitaine était sorti du Petit-Goâve, à la tête d'une demi-douzaine de navires, dans les premiers jours de juillet. Après un passage à la Jamaïque, Grammont croisa à la côte nord de Cuba à dessein de joindre d'autres capitaines à sa flotte, ce qui est confirmé par des lettres du gouverneur de la Jamaïque (ViWC Blathwayt Papers XXIV/6) et par plusieurs déclarations de prisonniers français faites un an plus tard à Veracruz (AGI INDIFERENTE/2548/N.20), et ce que laisse entendre aussi Histoire des avanturiers flibustiers (t. I, p. 377). De plus, un mémoire anonyme (BnF Clairambault 888, fol. 208-221), corroboré par des sources anglaises (ViWC Blathwayt Papers XXIV/5), révèle l'objectif de Grammont : Caracas, la capitale de la province du Venezuela. C'est pourquoi il fixa son rendez-vous à la Tortille, qui contrairement à ce que l'on pourrait croire, n'est pas la Tortola (l'une des îles Vierges), mais La Tortuga, petite île située le long du littoral du Venezuela, à l'ouest de l'île Margarita, et alors réputée pour ses salines, d'où le nom de « Salt Tortuga » que lui donnaient les Anglais de l'époque. Deux excellentes descriptions de cette île, ainsi que son utilité pour les flibustiers, sont données par William Dampier (A New Voyage round the World (Londres: James Knapton, 1697), p. 55-56) et par Henry Pitman, A relation of the great Suffering and strange Adventures of Henry Pitman, etc. (Londres: Andrew Sowle, 1689).
Cette expédition à la « rivière d'Ynocq », c'est-à-dire l'Orénoque, fut dirigée par les capitaines Bernanos, Grogniet, Blot, Vigneron et Rose. Selon un déclaration faite quatre ans plus tard (FR AN [Paris] MAR/B4/9/fol. 456-461), ces capitaines appareillèrent de Saint-Domingue le 3 mars 1684, départ que Cussy rapporte d'ailleurs, dans son mémoire du 24 août (FR ANOM COL/C9A/1), avant sa propre arrivée dans la colonie, sans toutefois en préciser la date. Avec moins de 300 hommes, renforcés par des Indiens Caraïbes, ces capitaines s'emparèrent, le 30 mai, de Santo Tomé de la Guayana, la principale place espagnole sur l'Orénoque, mais ils n'y firent qu'un butin médiocre. Les piètres résultats de cette entreprise sont confirmés par un mémoire conjoint du lieutenant-gouverneur et de l'intendant des Isles d'Amérique, adressé à Louis XIV et daté du 25 janvier 1685 (FR ANOM COL/F3/164/fol. 403-405). Certains documents transmis par le gouverneur de l'île Margarita au roi d'Espagne (AGI SANTO DOMINGO/181/R.8/N.56) donnent des détails intéressants sur cette expédition, et ils permettent aussi de situer dans le temps la venue d'une partie de ces flibustiers au rendez-vous de la Tortille : au plus tôt une ou deux semaines après le 19 septembre 1684, alors que leur petite flotte levait l'ancre de leur mouillage l'île de Trinidad, devant laquelle ils mouillaient depuis le 25 août précédent. Le bateau de 40 tonneaux mentionné au début du récit, dont nous n'avons pu jusqu'ici identifier avec certitude le capitaine, ni le point de départ, serait donc arrivé à la Tortille au plus tôt à la fin septembre, plus vraisemblablement en octobre ou en novembre.
Le capitaine Laurent de Graffe ne peut être venu à ce rendez-vous, parce que, s'il est bien sorti du Petit-Goâve en compagnie de Grammont au début de juillet 1684, il ne le suivit pas longtemps à Cuba. En effet, après le passage de leur flotte à la Jamaïque puis aux îles Caymans, il retourna à Saint-Domingue, où Cussy l'emploie, probablement dès septembre, pour garder les côtes de la colonie. De Graffe montait alors, et ce depuis le mois d'avril précédent, une prise espagnole nommée La Cascarille, dont il avait pris le commandement en confiant celui de son vaisseau Le Neptune à l'un de ses officiers nommé Brouage, avec ordre d'aller croiser devant la Havane. C'est d'ailleurs là qu'en mai 1684, Brouage et le capitaine Michel Andresson, commandant la Mutine, et dont il est aussi question ici, arraisonnèrent deux vaisseaux la Geoctroyeerde Westindische Compagnie. Ils furent alors avisé que Grammont avait donné rendez-vous à tous les flibustiers à la Tortille. Brouage prit alors la route des Petites Antilles, via le golfe de la Floride, et fin août, il faisait escale dans la colonie danoise de Saint-Thomas, l'une des îles Vierges. Quant au capitaine Andresson, dont le navire avait un urgent besoin d'être radoubé, il se rendit à Boston, au Massachusetts, où il arriva en août. Trois mois plus tard, il quittait la Nouvelle-Angleterre pour se rendre à la Tortille, ayant sous ses ordres, outre son vaisseau La Mutine, un petit bâtiment acheté aux Anglais et commandé par son quartier-maître Nicolas Brigaut, qui vint avec son chef à ce rendez-vous quoique le présent chapitre ne le mentionne pas. Tous ces événements sont notamment reconstitués d'après les sources suivantes : FR ANOM COL/C9A/1/mémoire de Cussy, du 24 août; ViWC Blathwayt Papers XXIV/6/deux lettres du gouverneur de la Jamaïque Sir Thomas Lynch, des 13/23 et 16/26 août 1684; Bodleian Library, MS. Rawlinson A/300/journal de bord du Boneta pour juillet 1684; Histoire des avanturiers flibustiers, T. I, p. 369-378; TNA CO 1/55/no. 89, déposition de John Thorp et James Wall, 25 novembre/5 décembre 1684; TNA CO 1/55/no. 36, lettre de l'inspecteur en chef des douanes William Dyre, Boston, 12/22 septembre 1684; AGI MEXICO 56/R.1/N.26 (où se trouve la déclaration de Brigaut, 30 mai 1686); ainsi que Raveneau de Lussan, Journal du voyage fait à la mer du Sud avec les flibustiers de l'Amérique, en 1684 et années suivantes (Paris: Jean-Baptiste Coignard, 1690), p. 6-7, 12-13. Quant au troisième capitaine mentionné ici, il s'agit de Jacques Pedneau, commandant le Chasseur, armé de 20 pièces de canon, qui faisait partie de la flotte de Grammont au départ du Petit-Goâve au début du mois de juillet. Ce fut sans doute lui qui porta à Brouage et Andresson l'ordre de Grammont. Il est possible aussi que celui-ci l'ait détaché de sa flotte pour aller directement jusqu'au Venezuela pour s'assurer que les flibustiers, notamment ceux que Grammont savaient partis pour l'Orénoque, l'y attendraient. Quant aux équipages que portaient ces trois navires, Cussy dénombre 210 hommes pour le Neptune, 200 pour la Mutine et 120 pour le Chasseur.
Le détail de la flotte qui se trouvait à la Tortille en décembre 1684 est difficile à établir avec précision, car les sources sont pour le moins confuses. En comparant celles citées dans la note précédente à deux dépositions faites à l'île de Nevis en janvier 1685 (TNA CO 1/57, no. 3), nous pouvons quand même dresser la liste approximative qui suit :
- Michel Andresson, sur la Mutine, armé de 36 canons, 200 hommes;
- Brouage, le Neptune, de 40 canons, 210 hommes;
- Jacques Pedneau, le Chasseur, de 14 canons, 120 hommes;
- François Grogniet, le Saint-François, de 6 canons et 6 pierriers, environ 70 hommes;
- Lescuyer, la Cagone, de 6 canons et 5 pierriers, environ 70 hommes;
- Lagarde, le brigantin Le Galant, de 4 canons et 2 pierriers, environ 40 hommes;
- Vigneron, la barque La Louise, de 4 canons, environ 40 hommes;
- Jean Rose, un sloop de 6 canons et 2 pierriers, environ 40 hommes;
- Boulanger, le sloop La Grenade, de 2 pierriers, environ 20 hommes;
- Nicolas Brigaut, un sloop, environ 20 hommes.
Vigneron avait été l'un des chefs de l'expédition sur l'Orénoque. Son camarade Lagarde commandait en août 1684, selon Cussy, un petit bâtiment qui croisait justement à la côte de Caracas et qui pourrait fort bien être le bateau de 40 tonneaux du début du chapitre. La côte de « Sainte-Marguerite », où ces deux capitaines se rendirent, correspond à la partie du littoral vénézuélien le long de laquelle se trouve l'île Margarita. Leur présence à celle de Cumana est signalée par Juan Muñoz Gadea, gouverneur de Margarita, qui écrit (AGI SANTO DOMINGO/181/R.8/N.56) que, vers le 8 décembre, une troupe de flibustiers français, embarqués dans dix grandes pirogues, y auraient pillé un endroit nommé Muchima.
Pedneau quitta la Tortille pour la côte de Caracas avant le 27 décembre 1684, date à laquelle ses associés mouillant devant l'île arraisonnèrent le Little Edward, un sloop londonien venant de la Barbade. En effet, un marin et un passager de ce bâtiment, dans leurs dépositions faites à Nevis (TNA CO 1/57/no. 3), ne nomment pas Pedneau parmi les capitaines qui les arrêtèrent ce jour-là. En revanche, ils mentionnent que les capitaines Grogniet et Lescuyer avaient dessein de passer à la « mer du Sud ». Quant aux autres, leur intention aurait été d'aller piller Margarita ou quelque autre place au Venezuela. Ces deux groupes appareillèrent le 1er ou 2 janvier 1685, au moment où ils libérèrent le Little Edward, de sorte que le bateau de 40 tonneaux du début du chapitre, s'il est bien demeuré six semaines à la Tortille, y serait arrivé vers la mi-novembre. Le nombre d'hommes qui accompagnèrent alors Grogniet et Lescuyer pour l'expédition à la mer du Sud ne peut être 400 : ils étaient à peine 170, au plus environ 300 si l'on compte le capitaine Townley et sa compagnie qui les précédèrent au Panama, mais qui n'étaient apparemment pas à la Tortille (Raveneau, p. 21); selon toute vraisemblance, l'auteur anonyme ajoute ici une partie du nombre de la seconde vague de Français qui entreprirent ce voyage quelques semaines plus tard, comme nous le verrons par la suite. Le lieu de ralliement des flibustiers voulant faire un voyage en « mer du Sud »(c'est-à-dire aller piller les Espagnols le long des côtes des Amérique dans l'Océan Pacifique) était bien l'île d'Or, qui faisait partie de l'archipel de San Blas. En face de cette île, à la côte nord du Panama, dans la province de Darien, les flibustiers avaient coutume de débarquer à un endroit que les Espagnols nommaient Rancho Viejo. Les Indiens de l'ethnie Tule (aujourd'hui les Kunas) qui habitaient le Darien leur servaient de guides dans la traversée de l'isthme de Panama.
C'est tout ce que nous savons du narrateur anonyme de cette relation amputée : il faisait parti de l'équipage du capitaine Andresson. S'agit-il d'Exquemelin? Il est permis d'en douter, puisque la préface du livre (édition de 1699) révèle que cette histoire des flibustiers a été « augmentée sur des mémoires que quelques uns d'entr'eux on apportés [et qui] contiennent (...) les expéditions de Campesche (...) et les courses de plusieurs capitaines flibustiers ». Or, le présent chapitre sert justement d'introduction à la relation de l'expédition de Campêche en 1685 (t. II, p. 379 et suivantes). De plus, je sais de manière assurée, par mes recherches personnelles non publiées, qu'Exquemelin était employé ailleurs à cette époque.
La fête des Rois étant le 6 janvier, cette beuverie au large du cap Cordera eut donc lieu le 6 janvier 1685, soit moins d'une semaine après leur départ de la Tortille. Raveneau (p. 11) confirme le dessein qu'avait Andresson sur ce bâtiment espagnol, autrement connu sous le nom de « patache de la Marguerite ». Cependant il ne mentionne pas que les Espagnols avaient découverts le dessein des flibustiers, ce qui laisse supposer qu'Andresson et ses associés l'apprirent plus tard, probablement de la bouche de quelque prisonnier.
Selon toute vraisemblance, Andresson ne quitta pas le cap Cordera avant d'être rejoint par De Graffe, car la décision d'aller à Corrosol, c'est-à-dire Curaçao, fut prise après sa jonction avec son associé (Raveneau, p. 11). Il était alors accompagné de Brouage montant le Neptune, des capitaines Rose, Lagarde et Vigneron ainsi que d'un bateau anglais de la Jamaïque (idem, p. 10-11). Quant à De Graffe, il était sorti du Petit-Goâve le 22 novembre pour rejoindre la flotte mouillant à la Tortille, et il fit sa jonction avec la flottille commandée par Andresson le 17 janvier 1685 (idem, p. 7-10). Le navire qu'il montait alors était la Cascarille, ainsi nommé en raison d'une partie de sa cargaison d'origine. En effet, il transportait de l'écorce de cascarille (en espagnol, cascarilla), arbuste américain appartenant à la famille des Euphorbiacées (genre Croton), dont certaines espèces croissent au Guatemala. Son écorce, riche en principes amers, est un excellent remède contre la fièvre. Elle était aussi connue sous le nom de « faux quinquina », qui produisait des effets similaires au vrai, et c'est d'ailleurs pourquoi l'on parle ici de quinquina au lieu de cascarille. Touchant la capture de ce bâtiment espagnol par De Graffe en avril 1684, voir notamment : Histoire des avanturiers flibustiers, t. I, p. 368-369; FR ANOM COL/C9A/1/mémoire de Cussy, 24 août 1684,; ViWC Blathwayt Papers XXIV/5/lettre de Lynch à Blathwayt, 2/12 juin 1684. Sa cargaison, qui contenait aussi du cacao, du bois de teinture et, comme il est mentionné ici, de l'or et de l'argent, avait été assurément débarquée à Saint-Domingue, les flibustiers n'ayant pas l'habitude de conserver aussi longtemps ce genre de marchandises. Ce passage montre une partie du travail de réécriture auquel se livra l'éditeur Le Febvre, ou plutôt l'un de ses copistes qui aura largement condensé le mémoire original (qui n'a pas été retrouvé) qui servit à établir ce chapitre.
Raveneau (p. 11) raconte exactement la même chose, avec plus de détails, donnant notamment la date de la rencontre, soit la nuit du 17 au 18 janvier 1685. Il rapporte aussi l'anecdote où De Graffe, prenant les bâtiments d'Andresson et de ses associés pour des Espagnols, avait tout préparé pour faire sauter la Cascarille plutôt que de tomber entre leurs mains.
Le récit de la croisière des capitaines De Graffe, Andresson, Rose, Lagarde et Vigneron est ici réduit au strict minimum. Il faut une fois de plus suivre le journal de Raveneau (p. 10-22) pour en connaître le détail. D'abord De Graffe reprit le commandement du Neptune, puis la flotte appareilla pour Curaçao. Les flibustiers y arrivèrent le 19 janvier 1685, et y firent escale environ une semaine. Le 27, au départ de Curaçao, le capitaine Vigneron quitta ses associés pour retourner à Saint-Domingue. Ces derniers se rendirent bien au cap de la Vela, où ils mouillèrent le 30 janvier. Le premier jour du mois suivant, De Graffe et Andresson détachèrent Rose avec son bateau à Río de Hacha (la « rivière de la Hache ») pour y faire des prisonniers qui pourraient les renseigner sur les mouvements de la patache de la Marguerite. Le 8 février, Rose revint vers ses associés sans prisonnier, car ses hommes et lui avaient été découverts par les Espagnols. Jugeant alors leur dessein sur la patache lui aussi découvert, les flibustiers décidèrent de l'abandonner, et à cette occasion, ils se séparèrent. Ainsi, le 13 février, le Neptune leva l'ancre pour retourner à Saint-Domingue, mais 87 des hommes de De Graffe refusèrent de suivre leur capitaine, et s'embarquèrent à bord de la Cascarille pour continuer la course à leur propre compte. Ces 87 flibustiers, et non pas 100 comme il est écrit ici, accompagnèrent Andresson et Rose qui, eux, prirent la route de la côte de Carthagène. Cependant, le 23 février, ils furent séparés de ces deux capitaines, et c'est à ce moment qu'il résolurent d'aller à l'île d'Or pour connaître quels succès Grogniet et Lescuyer avaient eu en mer du Sud. Deux jours plus tard, ils y jetaient l'ancre, et le surlendemain, ils y furent rejoints par Andresson et Rose. Ce dernier capitaine et toute sa compagnie, ainsi que 118 des hommes d'Andresson, décidèrent alors de passer à la mer du Sud avec les 87 hommes de la Cascarille. Le débarquement de ces 265 flibustiers eut lieu le dernier jour de février, et leur marche à travers le Panama commença le lendemain, 1er mars.
Raveneau (p. 18) dit que De Graffe, remonté sur le Neptune, appareilla du cap de la Vela le 13 février 1685, sans doute en compagnie du capitaine Lagarde, qu'il ne mentionne plus à partir de l'escale à Curaçao. Dès le mois suivant, selon le lieutenant-gouverneur de la Jamaïque Hender Molesworth (ViWC Blathwayt Papers XXV/2), il était déjà de retour au Petit-Goâve. Plusieurs flibustiers capturés par les Espagnols confirmeront plus tard (AGI Indiferente General 2548, no. 20) que De Graffe se rendit en avril au rendez-vous de l'île à Vache, où se réunit une nouvelle flotte sous le commandement de Grammont, qui alla effectivement faire descente à San Francisco de Campeche (voir notamment Histoire des avanturiers flibustiers, t. II, p. 379 et suivantes; et FR ANOM COL/C9A/1/mémoire de Cussy, 13 août 1686). Cependant, il est difficile de savoir s'il rejoignit Andresson et s'il croisa ou non avec lui durant le mois de mars 1685 comme il est écrit ici. Il est probable que non, puisque le lieutenant-gouverneur Molesworth (ViWC Blathwayt Papers XXV/2) signale ensuite Andresson à la côte sud de Cuba, puis à la côte nord de la Jamaïque.