Le Diable Volant

Les Archives de la flibuste

Les abus de la flibuste à Saint-Domingue (1685)

Le présent document est probablement l'un des plus importants rédigés par le chevalier de Saint-Laurens et l'intendant Bégon à la suite de leur tournée d'inspection de la colonie de Saint-Domingue. Dans un premier mémoire fait au début de cette tournée, les deux administrateurs avaient d'abord donné un avis plutôt favorable concernant les flibustiers de Saint-Domingue, sans doute influencés par le sieur de Cussy, le gouverneur de cette colonie. De retour aux Petites Antilles, ils semblent avoir subi, à ce sujet, l'influence inverse de leur supérieur, le gouverneur des Isles d'Amérique, le comte de Blénac, réputé pour être un adversaire de la flibuste qui se pratiquait à Saint-Domingue. D'ailleurs l'opinion de Blénac sur les flibustiers était partagée par le responsable des colonies en France, le marquis de Seignelay. Ainsi, Saint-Laurent et Bégon énumèrent-ils ici ce en quoi les coutumes des flibustiers différaient de ce qui se pratiquait alors chez les corsaires en Europe, dont les activités étaient beaucoup plus contrôlées.

description : mémoire du chevalier de Saint-Laurent (lieutenant au gouvernement général des Isles d'Amérique) et de Michel Bégon (intendant au même gouvernement) touchant les abus des armements des flibustiers, Martinique, 25 janvier 1685.
source : FR ANOM COL/C9A/1.
contribution : Dominika Haraneder (2000).

Mémoire sur les abus qui se commettent dans les armements des flibustiers.

1. Ils ne donnent point de caution. Il en a propos qu'ils la donnent au moins de deux mil écus dans le lieu où l'armement se fera.

2. Ils arment sur la simple commission du gouverneur de St-Domingue; sur quoi Sa Majesté est suppliée de s'expliquer.

3. Ils ne donnent point de déclaration au greffe de leurs équipages avant leur départ, et à leur retour, il ne rendent aucun compte de ceux qui sont morts ou dégradés; ce qu'il est nécessaire de réformer.

4. Ils embarquent des habitants, des matelots et autres gens qui n'ont point de congé du gouverneur; ce qui est d'une dangereuse conséquence.

5. Ils vont acheter leurs vivres, agrès et munitions à la Jamaïque, où ils portent le plus clair et le plus net de leur argent; ce qui porte un préjudice très considérable à la colonie, où il s'en ferait suffisamment si les habitants étaient assurés du débit.

6. Ils vont faire radouber leurs navires à la Jamaïque, à Baston, à St-Thomas et dans d'autres ports étrangers, où ils consomment des sommes très considérables; ce qui est non seulement contraires aux ordres de Sa Majesté, mais aussi très préjudiciable aux habitants de la Côte.

7. Lorsqu'ils sont embarqués sur un navire et qu'ils ne sont pas contents de leur capitaine, ils le quittent et paient leurs vivres et s'embarquent sur d'autres navires; ce qui rend souvent leurs voyages infructueux et fait perdre l'autorité des capitaines.

8. Les capitaines dégradent souvent des flibustiers dans des îles et côtes désertes; ce qui cause la perte d'un grand nombre de gens qui reviendraient à la Côte s'il n'était pas permis de les dégrader.

9. Lorsqu'ils prennent des navires, ils n'observent aucune des formalités requises par l'Ordonnance et n'en font point d'inventaire.

10. Ils partagent entre eux les prises sans les faire juger.

11. Ils coulent bas les navires pris lorsqu'ils croient n'en avoir pas besoin.

12. Ils n'amènent à la Côte que les prisonniers dont ils espèrent une rançon sans y amener les maîtres des navires pris.

13. Ils ne paient le dixième que des ballots et marchandises qui sont à fond de cale, et ne paient rien de tout ce qui est entre deux ponts, ni de l'or ou argent soit qu'il soit monnayé, en barres ou en oeuvre, ni des pierres précieuses, ni de l'ambre, ni de tous les ballots qui ne sont pas entiers ni du corps du navire.

14. Ils prétendent ne point devoir le dixième de tout ce qu'ils ne prennent pas à la mer.

15. Ils mènent souvent leurs prises ou partie d'icelles à la Jamaïque et dans d'autres ports étrangers.

16. Ils vendent des nègres pris sur les Espagnols au préjudice des privilèges de la Compagnie d'Affrique; à quoi il serait nécessaire d'apporter un tempérament.

17. Ils traitent à la mer avec les Anglais, qui ont continuellement des vaisseaux ou barques à leur suite.

Fait à la Martinique, le 25 janvier 1685.

Le chevalier de St-Laurens.
Bégon.