Le Diable Volant

Les Archives de la flibuste

Le commerce doit primer sur la flibuste (1685)

Dans les six derniers mois de 1684, à la suite d'un ordre du roi, les deux plus hauts officiers des colonies françaises des Antilles ont inspecté Saint-Domingue. Leur premier rapport touchant les flibustiers qui vivent dans cette colonie n'a pas vraiment plu au secrétaire d'état responsable des affaires d'outre-mer, le marquis de Seignelay. Dans une lettre par laquelle il répond à ce rapport, et dont des extraits pertinents au sujet sont reproduits ici, Seignelay explique en quoi la flibuste nuit désormais aux intérêts de la France, et que ceux qui exercent ce métier doivent se fixer à Saint-Domingue. Voir également les autres lettres qu'il écrivit sur un sujet similaire, en avril et en août.

description : copie d'une lettre de Jean-Baptiste Colbert marquis de Seigneley (secrétaire d'état) adressée conjointement au comte de Blénac (gouverneur général des Isles d'Amérique), au chevalier de Saint-Laurent et à Michel Bégon, Versailles, 1er mai 1685. [extraits]
source : FR ANOM COL/B/11/fol. 160-165v.

À MM. les comte de Blénac, chevalier de St-Laurens et Bégon.

À Versailles, le 1er mai 1685.

Le Roi a reçu avec les lettres des sieurs comte de Blénac, chevalier de St-Laurens et Bégon des 23 novembre 1683, 24 février, 18 juin, premier et 26 août, 19 octobre, 26, 29 novembre 1684 et 22e janvier 1685 :

Sa Majesté (...) a été fort suprise d'apprendre par les lettres qu'ils ont écrites que, sans ordre du gouverneur et du lieutenant général, le sieur de La Saulaye ait donné des commissions à quelques flibustiers pour faire le cours sur les Hollandais. Elle lui écrit fortement sur ce sujet. Et ils trouveront ci-joint l'ordre pour l'interdire de son gouvernement et le faire passer en France par les premiers vaisseaux en cas qu'il retombât dans une pareille faute.

(...)

Sa Majesté a examiné ce que les sieurs chevalier de Saint-Laurent et Bégon ont écrit conjointement sur le sujet du voyage qu'ils ont fait à la côte St-Domingue. Elle ne voit pas qu'ils raisonnent juste sur ce qui regarde les flibustiers. Il est bien vrai qu'il ne faut pas les laisser détruire ni les désespérer, en sorte qu'on les obligeât à passer dans les îles anglaises et fortifier le grand nombre d'Anglais qui font la course; mais il faut aussi empêcher par tous moyens possibles qu'ils ne se mettent en état de troubler la liberté du commerce des Indes en Espagne. Et ils comprendront aisément comment cela est nécessaire quand ils feront réflexion que, toutes les nations de l'Europe, les Espagnols sont les seuls qui profitent le moins du commerce desdites Indes; que les Français, par l'abondance des marchandises qu'ils portent à Cadix, tirent une grande partie de l'argent qui y aborde; et qu'ainsi, lorsque les flibustiers font des prises sur les Espagnols, c'est moins eux qui en souffrent la perte que les Français intéressés dans ce commerce. Et lors donc que les commandants français ont donné des commissions à ces flibustiers pour armer en guerre, ils ont entièrement excédé leurs pouvoirs et ont fait contre les intentions de Sa Majesté, qui estime que rien ne serait si important que de rendre ces vagabonds de bons habitants de St-Domingue ou de tel autre endroit où ils pourraient s'habituer, et d'où ils pourraient par terre faire aux Espagnols une guerre qui n'aurait rien de contraire au commerce de ses sujets, et qui deviendraient dans la suite très utile par la nécessité où les Espagnols seraient par ce moyen de faire une dépense considérable pour empêcher le mal que ces flibustiers pourraient leur faire.

À l'égard des cruautés que lesdits Espagnols exercent contre les Français qu'ils rencontrent, ils ne devaient pas traiter cette matière en général comme ils ont fait : il fallait rendre compte des actions particulières dont Sa Majesté aurait fait porter des plaintes par son ambassadeur à Madrid et qui auraient servi à fonder des représailles.

(...)

Sa Majesté a eu avis que la frégate La Favorite, sur laquelle le correspondant du sieur de Cussy a fait embarquer 32 filles, était partie de Dieppe le 2e de ce mois. Ainsi elle n'en envoyera point cette année à ladite côte St-Domingue, mais la prochaine. Elle donnera les ordres nécessaire pour en faire passer 60.

Elle donnera ordre aussi à la Compagnie d'Afrique d'envoyer à ladite côte 500 nègres.

Le sieur de Franquesnay a donné avis à Sa Majesté que, quoiqu'il ait fait savoir au gouverneur de la Jamaïque qu'il avait ordre de faire confisquer tous les bâtiments étrangers qui viendraient négocier à la côte St-Domingue, les Anglais n'ont pas laissé d'y envoyer deux petits bâtiments. Et comme il marque qu'il les a fait arrêter et confisquer, Sa Majesté veut que ledit sieur Bégon fasse savoir ce que sont devenus les deniers provenant de cette confiscation.

(...)

Sa Majesté attend avec impatience le succès qu'aura le voyage du sieur de La Salle qu'elle sait avoir passé à St-Domingue et avoir pris avec lui une partie desdits flibustiers.