Le Diable Volant

Les Archives de la flibuste

Les flibustiers doivent se fixer dans la colonie (1685)

En août 1684, à Ratisbonne, en Allemagne, la France signait une trêve avec l'Espagne, laquelle mit fin au conflit armé qui opposait les deux nations depuis une dizaine de mois. Cette trêve devait durer vingt-cinq ans, mais elle sera interrompue moins de cinq ans plus tard par la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Dans l'intervalle, le roi de France et son secrétaire d'état responsable des colonies vont sceller le sort des flibustiers de Saint-Domingue. Les rapports reçus des Antilles touchant leur utilité pour la colonie sont pour le moins contradictoires; voir les mémoires des gouverneur général et des intendants des Antilles d'août 1684 et janvier 1685). Or, leurs pillages en Amérique sur les Espagnols portent atteinte au lucratif commerce que la France fait en Europe sur les marchandises espagnoles provenant d'Amérique comme on le rappellera bientôt), et c'est ce qui causera éventuellement leur perte. Cependant, le roi de France, conseillé par le marquis de Seignelay et autres, hésite à prohiber la course contre les Espagnols. La lettre du Seignelay qui est reproduite ici, et qui exprime au gouverneur Cussy, la volonté royale, interdit indirectement la flibuste, car le projet de conquête de la partie espagnole de l'île de Saint-Domingue, si cher au second, est toujours à l'étude, d'autant plus que le gouverneur est requis de voir si, de leur côté, les Espagnols respecteront la trêve. En effet, il faudra encore quelques mois pour que le roi Louis XIV ordonne expressément à Cussy de publier la Trêve de Ratisbonne.

description : copie de deux lettres de Jean-Baptiste Colbert marquis de Seignelay (secrétaire d'état) à Pierre-Paul Tarin sieur de Cussy (gouverneur de l'île de la Tortue et côte de Saint-Domingue), Versailles, 30 avril 1685.
source : FR ANOM COL/B/11/fol. 144-145.

À M. de Cussy.

À Versailles, le dernier avril 1685.

J'ai reçu avec les lettres que vous m'avez écrites les 24 et 29 août, le mémoire que vous avez fait concernant la colonie de St-Domingue, les papiers concernant les effets du sieur Vanhorn et ses associés et le plan du Petit-Goâve.

Comme le Roi a confiance en vous et que Sa Majesté veut bien vous faire connaître ses intentions à l'égard des flibustiers de ladite côte, je dois vous dire que, quoiqu'elle estime qu'ils peuvent être bons et utiles à son service et servir dans les occasions aux entreprises qu'elle pourrait faire tenter, il est cependant très important d'empêcher autant qu'il se pourra les courses qu'ils font sur les Espagnols dans le golfe Mexique et dans les mers du Sud, tant parce qu'ils ne tirent pas un grand avantage de ces sortes de courses dont ils consomment l'argent aussitôt qu'ils l'ont en leur pouvoir, que parce que cela apporte un préjudice très considérable au commerce des Indes, auquel les sujets de Sa Majesté ont le principal intérêt. Ainsi il faut que vous vous appliquiez autant que vous pourrez à rendre ces flibustiers habitants. Et s'il y a quelque chose à tenter par leur moyen, il faudra plutôt les employer à se rendre maîtres de l'île de St-Domingue qu'à tout autre chose. Mais il ne faut pas que vous fassiez rien à cet égard qu'après avoir écrit la manière dont l'on y pourrait réussir et avoir reçu les ordres de Sa Majesté sur cela.

J'ai su par le rapport de MM. Bégon et de St-Laurens qu'il est nécessaire d'envoyer des filles à la côte St-Domingue. Il faudrait que vous fissiez vos efforts pour y en attirer de France un bon nombre. Et si vous voulez faire la dépense pour y en faire passer 40, Sa Majesté y en fera passer aussi un pareil nombre.

Elle ne veut pas que vous donniez aucune commission aux flibustiers contre les Espagnols, ayant été établi par le traité de trêve signé à Ratisbonne le 15 août dernier que la paix serait gardée tant en deça qu'en delà de la Ligne. Et comme il est question aussi de savoir si lesdits Espagnols maintiennent cette trêve et que j'ai été informé par lesdits sieurs Bégon et de St-Laurens qu'ils exercent plusieurs actes d'hostilités contre les Français qu'ils peuvent attraper, faites-moi savoir en détail ce qui se passera de la part desdits Espagnols à cet égard. Et il sera bon aussi que vous fassiez expliquer celui qui commande à St-Domingue et à Cuba, s'il prétend tenir cette trêve et permettre la communication et la liberté du commerce aux Français dans les ports où il commande.


Audit sieur de Cussy.

Ledit jour.

Le grand nombre de flibustiers qui partent de la côte St-Domingue et font la course contre les Espagnols étant très préjudiciable au commerce des sujets du Roi, et Sa Majesté voulant absolument l'empêcher, l'application la plus nécessaire et la plus importante que vous puissiez vous donner est de faire en sorte de rendre lesdits flibustiers habitants pour en fortifier la colonie et de les empêcher de tout votre pouvoir de se mêler avec les Anglais pour faire le cours. Prenez bien garde de leur donner jamais de commission en guerre sous quelque prétexte que ce puisse être, et faites-moi savoir si la colonie de St-Domingue se fortifie, et si l'avis qui m'a été donné que plusieurs flibustiers français se sont allés établir dans les îles anglaises est véritable; parce que si cela était, rien ne serait plus préjudiciable au service de Sa Majesté, et ce devrait être empêché avec un plus grand soin.

Ne manquez pas de rendre un compte exact à M. le comte de Blénac et au sieur Dumaitz de Goimpy, que Sa Majesté a choisi pour faire les fonctions d'intendant aux Isles en la place du sieur Bégon, de tout ce qui se passera à la côte St-Domingue; et faites en sorte qu'ils aient lieu d'être contents de votre exactitude sur ce point.