À M. de Cussy.
À Versailles, le dernier avril 1685.
J'ai reçu avec les lettres que vous m'avez écrites les 24 et 29 août, le mémoire que vous avez fait concernant la colonie de St-Domingue, les papiers concernant les effets du sieur Vanhorn et ses associés et le plan du Petit-Goâve.
Comme le Roi a confiance en vous et que Sa Majesté veut bien vous faire connaître ses intentions à l'égard des flibustiers de ladite côte, je dois vous dire que, quoiqu'elle estime qu'ils peuvent être bons et utiles à son service et servir dans les occasions aux entreprises qu'elle pourrait faire tenter, il est cependant très important d'empêcher autant qu'il se pourra les courses qu'ils font sur les Espagnols dans le golfe Mexique et dans les mers du Sud, tant parce qu'ils ne tirent pas un grand avantage de ces sortes de courses dont ils consomment l'argent aussitôt qu'ils l'ont en leur pouvoir, que parce que cela apporte un préjudice très considérable au commerce des Indes, auquel les sujets de Sa Majesté ont le principal intérêt. Ainsi il faut que vous vous appliquiez autant que vous pourrez à rendre ces flibustiers habitants. Et s'il y a quelque chose à tenter par leur moyen, il faudra plutôt les employer à se rendre maîtres de l'île de St-Domingue qu'à tout autre chose. Mais il ne faut pas que vous fassiez rien à cet égard qu'après avoir écrit la manière dont l'on y pourrait réussir et avoir reçu les ordres de Sa Majesté sur cela.
J'ai su par le rapport de MM. Bégon et de St-Laurens qu'il est nécessaire d'envoyer des filles à la côte St-Domingue. Il faudrait que vous fissiez vos efforts pour y en attirer de France un bon nombre. Et si vous voulez faire la dépense pour y en faire passer 40, Sa Majesté y en fera passer aussi un pareil nombre.
Elle ne veut pas que vous donniez aucune commission aux flibustiers contre les Espagnols, ayant été établi par le traité de trêve signé à Ratisbonne le 15 août dernier que la paix serait gardée tant en deça qu'en delà de la Ligne. Et comme il est question aussi de savoir si lesdits Espagnols maintiennent cette trêve et que j'ai été informé par lesdits sieurs Bégon et de St-Laurens qu'ils exercent plusieurs actes d'hostilités contre les Français qu'ils peuvent attraper, faites-moi savoir en détail ce qui se passera de la part desdits Espagnols à cet égard. Et il sera bon aussi que vous fassiez expliquer celui qui commande à St-Domingue et à Cuba, s'il prétend tenir cette trêve et permettre la communication et la liberté du commerce aux Français dans les ports où il commande.
Audit sieur de Cussy.
Ledit jour.
Le grand nombre de flibustiers qui partent de la côte St-Domingue et font la course contre les Espagnols étant très préjudiciable au commerce des sujets du Roi, et Sa Majesté voulant absolument l'empêcher, l'application la plus nécessaire et la plus importante que vous puissiez vous donner est de faire en sorte de rendre lesdits flibustiers habitants pour en fortifier la colonie et de les empêcher de tout votre pouvoir de se mêler avec les Anglais pour faire le cours. Prenez bien garde de leur donner jamais de commission en guerre sous quelque prétexte que ce puisse être, et faites-moi savoir si la colonie de St-Domingue se fortifie, et si l'avis qui m'a été donné que plusieurs flibustiers français se sont allés établir dans les îles anglaises est véritable; parce que si cela était, rien ne serait plus préjudiciable au service de Sa Majesté, et ce devrait être empêché avec un plus grand soin.
Ne manquez pas de rendre un compte exact à M. le comte de Blénac et au sieur Dumaitz de Goimpy, que Sa Majesté a choisi pour faire les fonctions d'intendant aux Isles en la place du sieur Bégon, de tout ce qui se passera à la côte St-Domingue; et faites en sorte qu'ils aient lieu d'être contents de votre exactitude sur ce point.