Le Diable Volant

Les Archives de la flibuste

Un flibustier néerlandais et son épouse espagnole sont naturalisés Français (1685)

En son temps, le capitaine Laurens De Graff était considéré comme l'un des meilleurs marins de toute l'Amérique, ou du moins l'un des meilleurs flibustiers. Il avait d'abord servi les Espagnols avant d'être capturé dans la mer des Antilles par des flibustiers de la colonie française de Saint-Domingue. Ses qualités d'homme de mer impressionnèrent tant ses geôliers qu'il devint bientôt l'un de leurs capitaines. Sa réputation était telle qu'en 1684, le gouverneur de Saint-Domingue et son homologue anglais de la Jamaïque se disputèrent ses services. C'est finalement le gouverneur de la première de ces deux colonies, le sieur de Cussy, qui attacha définitivement le flibustier d'origine néerlandaise à son pays en obtenant qu'il soit naturalisé français (sujet du présent document) et qu'il soit pardonné pour la mort du capitaine Van Hoorn. Cette naturalisation n'est qu'une étape, car, déjà, Cussy et ses supérieurs hiérarchiques aux Antilles ont d'autres projets pour ce nouveau sujet du Roi très Chrétien. Quant à Francisca Petronela de Guzman, nommée conjointement avec De Graff dans le présent document, le Néerlandais l'avait épousée en 1674, à Ténériffe (l'une des îles Canaries, possession espagnole). Pourtant elle n'accompagna pas son mari en Amérique et elle ne vint jamais le rejoindre à Saint-Domingue. D'ailleurs, quelques années plus tard, De Graff, désirant épouser une Française, entreprit des procédures pour l'annulation de ce premier mariage, qu'il obtint en 1693.

description : copie de la lettre de naturalisation pour le capitaine Laurens De Graff et sa femme Francisca Petronella de Guzman, émise par le roi de France, Versailles, 5 août 1685.
source : FR ANOM COL/B/11/fol. 193-194.

Brevet de naturalité pour le nommé Laurens de Graff et sa femme.

À Versailles, le 5e août 1685.

Aujourd'hui, cinquième août 1685, le Roi, étant à Versailles, voulant favorablement traiter Laurens de Graff, natif de Dort, en Hollande, et Françoise Pretuline de Gusman, native de l'île de Tenerif, établis depuis plusieurs années à la côte St-Domingue, et leur accorder les mêmes avantages dont jouissent ses vrais et naturels sujets; Sa Majesté leur a permis de résider dans ladite côte, ou tel autre pays et terre de son Obéissance que bon leur semblera, et tenir et posséder tout un chacun les biens meubles et immeubles qu'ils ont acquis, ou pourront acquérir, et qui leur sont échus, ou échoiront ci-après par succession, donation entre vifs ou autrement, pour en jouir par testament et ordonnance de dernière volonté ou en telle autre sorte et manière que ce soit, et que leurs enfants et héritiers ou autres en faveur desquels ils en auront disposé leur puissent succéder pourvu qu'ils soient regnicoles. Veut Sa Majesté que ledit Laurens de Graff et Françoise Pretuline soient à l'avenir tenus, censés et réputés tels en tous actes et qu'ils jouissent des même exemptions, franchises et privilèges dont jouissent ses vrais et naturels sujets, sans qu'au moyen des édits et ordonnances rendues contre les étrangers, ses officiers et autres puissent après le décès desdits Graff et Pretuline prétendent leurs biens appartenir à Sa Majesté par droit d'aubaine ou autrement, ni en la possession d'iceux donner à leurs enfants, héritiers ou ayant cause aucun trouble ni empêchement.

Et les ayant quant à présent à ce habilité et disposé, et sans que pour raison de ce ils soient tenus de payer à Sa Majesté ni a ses Sucesseurs rois aucune finance ni indemnité, de laquelle, à quelque somme qu'elle puisse monter, Sa Majesté, leur a fait don à la charge par lesdits Graff et sa femme de finir leurs jours audit pays ou autre de son Obéissance, et de n'être entremetteurs d'aucuns étrangers; mande Sa Majesté aux officiers du Conseil souverain établi en ladite côte St-Domingue, et à tous autres qu'il appartiendra, de faire enregistrer le présent brevêt, et du contenu en icelui en faire jouir pleinement et paisiblement lesdits Graff et sa femme, leurs enfants, héritiers ou ayant cause, nonobstant tout édits, statuts, règlements et ordonnances à ce contraire, et sans que lesdits Graff et sa femme aient besoin d'autres expéditions que du présent brevêt que Sa Majesté a, pour assurance de sa Volonté, signé de sa main et fait contresigner par moi, conseiller, secrétaire d'état et de ses Commandements et Finances.