Les Indes Occidentales
Parler de la flibuste du XVIIe siècle sans évoquer l'empire de l'Espagne en Amérique - car il s'agit bien d'un empire -, et cela ne serait-ce que brièvement, reviendrait à omettre tant les objectifs que les motivations premières des hommes qui exercèrent ce métier. Ce que recherchent avant tout ces aventuriers français, anglais, néerlandais et autres en allant en Amérique, de même que les princes et états dont ils dépendent c'est une participation, très souvent par la force armée, aux richesses que produit cette Amérique, du Mississippi à la Terre de feu, et dont l'Espagne sera jusqu'au tout début du siècle la seule maîtresse.
Que l'on ne s'y trompe pas. l'Espagnol n'a ni exploré ni colonisé toutes ces nouvelles terres: de vastes étendues sont demeurées une manière de pays sauvage abandonné aux Indiens hostiles et aux bêtes fauves. Il s'est d'abord assuré de postes avantageux jalonnant les principales routes maritimes de la mer des Caraïbes puis il a graduellement conquis les terres continentales les plus riches, en or et en argent. À l'origine, il s'est ainsi implanté dans les Grandes îles de la mer des Caraïbes: Hispaniola, Cuba, la Jamaïque et Porto Rico. Au XVIIe siècle, la production de ces grandes îles se limite surtout au cuir, cuir de boeufs, descendant d'animaux importés en Amérique par les Espagnols et retournés à l'état sauvage. L'on y pratique aussi des cultures comme celles du tabac, de l'indigo et du sucre, dont le négoce peut rapporter gros. Aux populations autochtones réduites en esclavage de bonne heure et rapidement décimées par des maladies inconnues jusqu'alors en Amérique et par les massacres commis contre eux par les Espagnols, ont succédé des esclaves noirs et des mulâtres. Au sommet de cette société hiérarchisée se trouvent les Espagnols, créoles surtout c'est-à-dire nés en Amérique. Mis à part l'absence presque totale d'Indiens dans ces îles, c'est le portrait type de la société de l'Amérique espagnole, dans laquelle le blanc venu d'Espagne est le seigneur et maître et le noir, l'esclave, tout en bas de l'échelle sociale, une société déterminée, presque de fait, par la couleur de la peau.
Les îles de l'Amérique et la Terre ferme
L'importance des Grandes Antilles réside avant tout dans leurs ports, escales obligées sur la route des Indes soit pour retourner en Europe soit pour gagner le Mexique et les autres parties de l'Amérique continentale, là où sont les vraies richesses. À Hispaniola, un seul havre vraiment important, celui de la capitale Santo Domingo, située à la côte sud, port qui fait le lien entre les îles et les côtes du Vénézuela. À la Jamaïque, négligée et peu peuplée, un seul port celui de Punta Caguaya (future Port Royal) débouché sur la mer d'une petite ville Santiago de la Vega, l'un et l'autre si mal défendus que toute l'île tombera aux mains des Anglais qui sauront exploiter sa position stratégique mieux que n'avaient su le faire les Espagnols. À Cuba, les deux principales places sont situées aux extrémités de l'île, à l'opposée l'une de l'autre: au nord-ouest La Havane, bien sûr, point de ralliement des convois chargés des trésors américains avant le grand voyage de retour en Espagne; et Santiago à la pointe sud-est, qui deviendra un important centre de la course espagnole dans les dernières décennies du XVIIe siècle. Enfin, à Porto Rico, le port de San Juan à la bande nord de la plus orientales des Grandes Antilles. De ces trois îles, premiers foyers de la colonisation espagnole au Nouveau Monde, sont partis les conquistadores vers les côtes inhospitalières mais à l'arrière-pays lui aussi très riche de cette Amérique centrale et méridionale, qui s'étend, du côté atlantique, de la Floride à l'île Trinidad.
En partant des confins orientaux de la mer des Caraïbes, il y a d'abord le Vénézuela et ses dépendances. Les Espagnols ont certes fondé sur l'Orénoque la petite ville de San Tomás de la Guayana, moins pour ses richesses qui sont en fait presque inexistantes que par souci que cette région peu séduisante ne tombe aux mains des étrangers, ces Français, Anglais et Néerlandais établis tant dans les Petites Antilles que dans les Guyanes voisines. Mais le véritable avant-poste est l'île de la Trinidad, qui, avec sa voisine Tobago (laquelle est bientôt perdue au profit des étrangers), est l'un des relais possibles des flotte espagnoles venant d'Europe, qui en empruntant ce passage plus près du continent évitent les petites Antilles où vivent les farouches Caraïbes et où, dans les années 1620, se sont établis les Anglais et les Français. Juste après Trinidad, sur le continent, vient la péninsule de Paria, et surtout à l'ouest celle d'Araya, réputée pour ses salines naturelles, qui sont exploitées par les Néerlandais dès leur rupture avec la couronne espagnole. Toujours sur le littoral, sur la côte qui porte son nom, se trouve la ville de Cumana, la plus importante à l'est. Là, comme à l'île Trinidad, s'est développé au XVIIe siècle une prospère industrie créole du tabac, dont le commerce est négligé par la métropole et qui est surtout exporté vers les autres colonies ou sert dans le négoce avec les contrebandiers étrangers, qui accessoirement sont aussi des flibustiers. L'autre richesse de cette côte de Cumana, ce sont les perles, que l'on pêche au large près des îles de Margarita et de Cubagua et sur lesquelles il existe aussi une très grande contrebande. Cependant, plus que les richesses des mines de métaux précieux, celles des pêcheries perlières s'usent vite. Ainsi, au XVIIe siècle, la production de Margarita et de Cubagua, après une grave pénurie causée par la surexploitation, s'est stabilisée à un niveau médiocre.
De Cumana jusqu'au cap San Roman, qui marque à l'ouest l'entrée de la grande baie de Maracaïbo, soit de 500 à 600 kilomètres de littoral, le pays est presque entièrement abandonné aux populations autochtones, encore très mal soumises. Le long de cette côte, quelques villages misérables habités par des Indiens tributaires des Espagnols ou des bourgs de peu d'importance comme Puerto Cabello. En son centre même pourtant, presque à mi-chemin entre Maracaïbo et Coro, les Espagnols ont fondé la ville de Caracas, un peu en retrait à l'intérieur des terres, dont le débouché sur la mer est la petite cité côtière de La Guayra. À partir de sa fondation en 1567, Caracas devient lentement mais sûrement le coeur du Venezuela, et même plus. En effet, au siècle suivant, outre le tabac de qualité que produit très tôt la prospère région agricole dont elle devient le centre, Caracas s'imposera aussi comme l'un des principaux pourvoyeurs de vivres des Grandes Antilles, qui ne purent jamais se suffire à elles-mêmes pour leur approvisionnement. Ainsi les exportations de farines de blé et de maïs de Caracas dépasseront en poids celles de ses tabacs et les égaleront presque en valeur. Au large de cette côte de Caracas, il y a un chapelet d'îles qui la suit en parallèle. Les Espagnols en ont négligé la colonisation, pour les mêmes raisons que les Petites Antilles, sans compter qu'elles sont souvent désertes, sauf pour l'une des plus grandes d'entre elles, Curaçao, déjà habitée par une petite population indienne. En 1634, ils la perdront au profit de leurs ennemis néerlandais, qui s'en serviront comme base pour leurs attaques contre les flottes aux trésors. Curaçao est un relais stratégique dans cette partie de l'Amérique donnant accès tant aux Grandes qu'aux Petites Antilles, qu'aux côtes de Caracas et de Cumana, de même qu'aux établissements du vieux Vénézuela se trouvant sur les abords du golfe et de la lagune de Maracaïbo.
À l'exemple des autres colonies du Vénézuela, celles du lac de Maracaïbo doivent leur première période de prospérité au tabac, réputé d'ailleurs un temps comme le meilleur en Amérique. Au tabac, toutefois, au XVIIe siècle, succède le cacao comme principal produit d'exportation. Aux côtés de la production cacaoyère s'est développé une industrie de construction navale, portant sur des bâtiments de faible et moyen tonnages idéaux pour le cabotage dans la mer des Caraïbes, industrie favorisée par la disponibilité des matériaux: bois des grandes forêts qui encadrent le lac ainsi que, probablement, le pétrole qui produit un goudron naturel indispensable au calfatage des bâtiments. À l'ouest dans le golfe de Maracaïbo, la petite ville de Coro défend l'un des accès de la grande lagune. D'abord capitale religieuse et administrative du Vénézuela, elle a beaucoup perdu de son importance au XVIIe siècle, au profit des cités de la grande lagune, laquelle est accessible par un étroit goulot se trouvant au fond du golfe. La première de ces cités est la ville de Maracaïbo elle-même où sont les chantiers navals. À l'autre extrémité de cette immense lagune, au sud-est, se trouve le bourg de Gibraltar, menant à Mérida, la ville principale sise au pied des montagnes du même nom. Entre Maracaïbo et Gibraltar, les rives de la lagune sont parsemés de plantations de tabac et de cacao et de villages indiens. Faute de mieux ces établissements sont souvent la proie des flottes de flibustiers, qui en rapportent toutefois peu de richesses en proportion au nombre d'hommes nécessaires pour y mener une expédition qui en vaille la peine.
À l'ouest du golfe de Maracaïbo, à partir du cap de la Vela où vivent des peuplades d'Indiens hostiles à tous les Européens, s'étend la côte de Sainte-Marthe. Elle doit son nom à la ville portuaire de Santa Marta, située au pied d'une grande montagne. Au XVIIe siècle, elle a beaucoup perdu de l'importance qu'elle avait eu autrefois comme point de ralliement de tous les chercheurs du mythique Eldorado. Elle ne produit plus qu'un peu de sucre et de tabac destinés à l'exportation intercoloniale et à la contrebande. Plus important est Rio de la Hacha, bourg côtier situé entre Santa Marta et le cap de la Vela, non pas en terme de population mais en terme de richesses. En effet, Rio Hacha est le centre d'une petite industrie de pêche perlière, dont les principaux fournisseurs sont des villages de pêcheurs indiens qui sont à proximité.
En longeant le littoral du continent à l'ouest de Santa Marta, passé le grand fleuve Magdalena, se dresse le grand port de Cartagena, l'une des places les mieux défendues de l'Amérique espagnole. En effet, après les attaques des corsaires français contre cette ville qui joue un rôle essentiel dans le transit des métaux précieux péruviens vers l'Espagne, le roi Felipe II a entrepris à grand frais la fortification de la place. Et, pendant un siècle, Cartagena demeurera inviolée; et il faudra, en 1697, une division navale de la marine royale de France appuyée par des flibustiers pour qu'elle tombe brièvement aux mains de l'ennemi. Dépendante administrativement de Santa Fé de Bogota, capitale de la Nouvelle-Grenade ou Nouveau Royaume de Grenade, à l'intérieur des terres, Cartagena est avant tout un port de guerre et un port d'escale que l'on utilise pour gagner les côtes de l'Amérique centrale. C'est là aussi que l'une des deux flottes espagnoles, celle qui vient chercher l'argent et l'or du Pérou, relâche obligatoirement. Cartagena, avec La Havane, Vera Cruz et Puerto Belo, est l'une des clés de voûte de la Carrera de Indias.
Les flottes aux trésors
L'expression «Carrera de Indias» (littéralement «la route des Indes») est généralement traduite en français de l'époque par «Commerce des Indes». C'est le commerce entre l'Espagne, et par extension de tous les pays d'Europe, avec l'Amérique, le meilleur de l'Amérique, soit le Mexique et surtout le Pérou. La Carrera de Indias a pour point de sortie et d'entrée une ville, Séville, port de mer d'Andalousie d'où sont parties d'ailleurs les premières expéditions de Colomb. Séville est alors la véritable capitale maritime et commerciale de l'empire espagnol, et probablement aussi de toute l'Europe. C'est là en effet que siège la Casa de Contratación (la «Chambre des comptes»), qui contrôle pour le roi d'Espagne tous les échanges commerciaux avec les colonies espagnoles. C'est là aussi que chargent ou déchargent les convois venant ou revenant d'Amérique.
Le premier système de convoi apparaît très tôt, organisé dès 1537 pour contrer la menace des corsaires français. À l'origine, la flotte des Indes occidentales, composée de six navires de guerre et d'une vingtaine de marchands, allait annuellement à Nombre de Dios (côte caraïbe de Panama) charger les trésors du Pérou. Ensuite elle passait à Cartagena pour prendre l'or et les émeraudes provenant de l'intérieur du pays ainsi que les perles de l'île Margarita, dont l'importance, comme on l'a vu, diminuera en faveur des centres de Rio de La Hacha et La Rancheria au siècle suivant. Finalement, à La Havane, elle rejoignait les navires venant de la Vera Cruz, lesquels transportaient les produits mexicains. Après s'y être ravitaillée, elle gagnait les Açores où l'Armada de la mer Océane (organisée dès 1522) l'escortait jusqu'en Espagne en passant par le cap Saint-Vincent où il y avait toujours à craindre les corsaires et pirates tant français que barbaresques.
De plus, et ce durant presque toute la période coloniale, la couronne espagnole permit à un certain nombre de navires marchands, les «sueltos», de voyager annuellement vers l'Amérique, par licences spéciales délivrées par la Casa Contratación, à Séville. Selon le contexte politique européen, il y en eut, aux meilleures années, jusqu'à une cinquantaine. Les sueltos étaient des proies faciles pour les flibustiers, mais la Couronne comptait sur eux pour maintenir la communication avec ses établissements américains que ne visitaient pas les «naos», de larges vaisseaux marchands de 200 à 400 tonneaux, qui composaient alors les flottes aux trésors. Pour protéger les sueltos et les plus vulnérables de ses colonies ainsi que le commerce entre celles-ci, l'Espagne maintint, à certaines époques, aux Antilles une escadre de quatre à huit vaisseaux de guerre appelée l'Armada de Barlovento.
Au milieu de XVIe siècle, lorsque des galions de fort tonnage (300 à 1000 tonneaux) entrèrent en service et remplacèrent les naos, le système des convois fut réorganisé. Lorsque les attaques des corsaires devinrent plus fréquentes, Deux flottes furent alors envoyées par année en Amérique. Chacune d'elles était composée de quatre galions lourdement armés, de deux pataches de 80 tonneaux servant de barques d'avis et, selon l'endroit où elle se trouvait, de dix à quatre-vingt-dix naos. Chaque flotte était commandée par un capitaine général assisté d'un amiral, toutes charges vénales que les titulaires devaient acheter à la Couronne. Afin de se prémunir contre les corsaires, des navires de guerre supplémentaires accompagnaient souvent chaque flotte. Règle générale, tous les navires devaient être armés: un galion marchand de 400 tonneaux devait avoir au moins une douzaine de canons et un navire de guerre de même dimension une cinquantaine, mais cette exigeance connut plusieurs infractions.
La première flotte quittait généralement l'Espagne en mars et la seconde en septembre. La première escale aux Petites Antilles se faisait ordinairement à la Guadeloupe ou à la Martinique où les équipages se ravitaillaient avant de se séparer. Les navires allant au Mexique, à Hispaniola, Puerto Rico, Cuba, la Jamaïque et au Honduras partaient ensemble. Quant à ceux qui se rendait au Venezuela, en Colombie et à l'Isthme de Panama, ils voyageaient en compagnie des quatre galions et des deux pataches. Les galions s'arrêtaient à Nombre de Dios et à Cartagena pour collecter le trésor, puis faisaient voile vers La Havane pour attendre l'arrivée des navires dont ils s'étaient séparés aux Petites Antilles avant de regagner l'Espagne.
Vers la Nouvelle-Espagne
Les attaques des corsaires ayant montré la vulnérabilité des navires qui laissaient la flotte pour aller au Mexique sans protection, le système fut raffiné. À partir de 1564, et ce durant plus d'un siècle, deux flottes naviguèrent séparément vers le Nouveau Monde.
La Flota de San Juan ou flotte de la Nouvelle-Espagne, dont faisaient partis les navires allant aux Honduras et aux Grandes Antilles, quittait ordinairement Séville en avril. Après une traversée de deux à trois mois, selon l'état des vaisseaux et le climat, elle hivernait à la Vera Cruz, débouché de Mexico, la capitale économique et politique de la Nouvelle-Espagne ou Mexique, voire de toute l'Amérique espagnole. Plus que pour le royaume du Pérou, les Espagnols ont su construire à partir des bases jetées avant eux par les anciens maîtres du pays, les Aztèques, assoyant ainsi leur contrôle sur un riche arrière-pays. Au nord domine une économie basée sur l'élevage, et surtout sur l'exploitation des mines d'argent. Au Sud, ce sont les productions agricoles tels que le sucre, le maïs et le tabac, mais les plus gros profits se réalisent sur les tinctoriaux: l'indigo et, plus encore, la cochenille, qui est, probablement, après l'argent du nord, la principale richesse naturelle du Mexique.
Or, la Vera Cruz est le centre du commerce de cette cochenille, une teinture écarlate de très grande valeur obtenu à partir du corps de la femelle d'un insecte du même nom. La localisation de la ville connut trois localisations différentes au cours du XVIe siècle, pour se fixer définitivement en 1599 à l'emplacement originel du débarquement des troupes de Cortés lors de la conquête du Mexique. Seuls les petits navires pouvaient mouiller près de Vera Cruz: les plus gros, comme les galions, jetaient l'ancre à l'île voisine de San Juan de Ulá, évitant ainsi les périlleux vents du nord qui soufflaient d'octobre à février dans le golfe du du Mexique. À la Vera Cruz, la flotte chargeait les produits locaux, l'argent du Roi, celui des marchands ainsi qu'une partie des produits orientaux amenés à Acapulco, sur la côte pacifique du Mexique, par le galion de Manille. En février ou en mars, elle partait à destination de La Havane: elle remontait au nord les vents contraires jusqu'à l'actuelle Pensacola puis se dirigeait vers le sud, serrant les côtes floridiennes aussi loin que les Keys, puis ralliait directement La Havane. À Cuba, elle rejoignait la Flota de Tierra Firme (la seconde des flottes aux trésors) puis, avec ou sans elle, elle retournait en Espagne à fin du printemps ou au début de l'été. De plus, en mai ou en juin, une hourque, accompagnée d'une patache, qui commerçait annuellement avec le Honduras, quittait Trujillo et Puerto Caballo (avec la production locale d'indigo et d'argent) pour se rendre aussi au rendez-vous de La Havane.
À l'ouest de la Vera Cruz, en remontant les côtes du Golfe du Mexique, une seule place de quelque importance: Tampico, à l'embouchure de la rivière Panuco. Ensuite, presque rien jusqu'à la ville de San Agustín, au nord de la Floride, sur la côte Atlantique. Par contre, à l'est, de petits bourgs et villages côtiers jalonnent cette partie du golfe du Mexique connue sous le nom de baie de Campêche. À partir de cette baie, commence la grande péninsule du Yucatan, l'ancienne terre maya, peuplée en majorité d'ailleurs par des Indiens, dont l'activité économique est avant tout agricole, centrée sur le maïs, que l'on exportait à la Vera Cruz pour ravitailler la flotte de la Nouvelle-Espagne. Son port principal est San Francisco de Campêche, qui comme Santiago de Cuba deviendra un port d'attache pour les corsaires espagnols au XVIIe siècle. Mais la capitale, Mérida, est située très au nord, à l'intérieur des terres. Outre des vivres, la province portait à la Vera Cruz sa production locale de cochenille et d'indigo, ainsi que le bois de campêche, un bois tinctorial dont l'on faisait surtout la coupe dans la baie du même nom, une région sauvage qui, mal exploitée et défendue par les Espagnols, se verra, au XVIIe siècle, occupée par des aventuriers surtout anglais, attirés là par la coupe de cette essence précieuse.
Par ailleurs, en octobre ou en novembre de chaque année, dans la seconde moitié du XVIIe siècle seulement, l'Armada de Barlovento venait aussi à la Vera Cruz où elle demeurait jusqu'en mars suivant. Cette flotte, composée de six à sept gros navires portant de 20 à 50 canons chacun, visitait tous les ports espagnols une fois l'an, principalement afin d'empêcher les étrangers d'y commercer et de supprimer les flibustiers. Cette Armada ne fut réellement constituée, ou plutôt reconstituée, qu'à partir de 1676. De la Vera Cruz, escortant parfois la flotte de Nouvelle-Espagne ou des navires marchands, elle se rendait à La Havane pour vendre les marchandises qu'elle transportait. De là, elle passait à travers le golfe de Floride serrant très loin au nord pour se laisser porter par les alizés jusqu'à Puerto Rico, si elle y avait à faire, sinon jusqu'à Trinidad. Ayant fait escale à Trinidad, l'Armada touchait ensuite l'île Margarita, Cumana et La Guayra. Passant près des côtes de Caracas, elle allait au lac de Maracaïbo et doublait le cap de Vela. Après avoir visité Rio de la Hacha, Santa Marta, Cartagena, Puerto Belo et Campêche, elle revenait à la Vera Cruz.
Vers Panama
La seconde flotte, la Flota de Tierra Firme ou Galeones - d'où le nom de Galions sous laquelle elle est le plus souvent désignée -, quittait généralement l'Espagne en août, emmenant avec elle tous les vaisseaux allant vers les ports du Panama et de la côte septentrionale de l'Amérique du Sud. Elle embarquait le trésor à Nombre de Dios, qui fut remplacé par Puerto Belo à la fin du XVIe siècle, puis hivernait à Cartagena. Tôt au printemps, elle partait pour La Havane, qu'elle atteignait après une traversée de dix à quinze jours: elle y joignait la Flota de San Juan ou repartait seule pour l'Espagne.
À l'arrivée des Galions à Cartagena, deux exprès étaient envoyés à Puerto Belo: le premier allait ensuite par terre à Panama et, de là, par mer jusqu'à Lima; et le second, par mer, à la Vera Cruz. Le premier transportait un paquet de lettres pour le vice-roi de Lima et le second un autre pour le vice-roi de Mexico; les deux paquets contenaient aussi des lettres de marchands européens destinées à leurs correspondants américains. Après une première escale d'environ 60 jours à Cartagena, les Galions allaient à Puerto Belo où elle restait environ 30 jours pour débarquer sa cargaison puis charger le Trésor du Roi.
Quelquefois, afin d'éviter les douanes, les marchands empaquetaient leur argent avec des marchandises de moindre valeur et l'envoyaient ainsi à Venta de Cruzes sur le rio Chagres, puis de là par mer à Puerto Belo. Là, les navires marchands qui n'étaient pas prêts à partir le trentième jour après l'arrivée de Galions à cet endroit risquaient d'être laissés derrière parce que tous les navires devaient précisément se trouver à cette date à l'embouchure du port en prévision du départ. Cependant il arrivait, mais exceptionnellement, que le premier galion de la flotte, commandé par le capitaine général, restât une semaine de plus. Lorsque la flotte quittait Porto Belo, elle retournait à Cartagena, où tout les revenus du Roi provenant des alentours l'attendait. Là elle retrouvait un grand navire appelé patache, qui avant même la première halte à Cartagena, avait été détaché du reste de la flotte pour collecter le tribut de la Côte dans des lieux tels que Margarita, La Guayra, Maracaïbo, Rio de la Hacha et Santa Marta. Après ce second séjour à Cartagena, l'Armada rejoignait à La Havane la flotte de la Nouvelle-Espagne. Les deux flottes réunies passaient ensuite entre Cuba et la Floride pour retourner en Espagne.
Dès la réception de l'avis de la première escale des Galions à Cartagena, le vice-roi de Lima envoyait à Panama le Trésor du Roi, évalué par Dampier dans les années 1680 à 24 millions de pièces de huit, et les autres marchandises sud-américaines. Le transport était assuré par l'Armada de la Mar del Sur, une escadre de deux à quatre navires armés, cosntituée dans les années 1540 et connue aussi sous le nom de Flotte de Lima. Basée à Callao, cette escadre, accompagnée de nombreux navires marchands pleins de produits locaux et d'argent, se rendait à Panama, mais ne mouillait pas directement devant la ville: elle jetait l'ancre aux îles Perico. Il fallait donc un certain temps pour les décharger et amener les cargaisons à Panama dès l'annonce de l'arrivée des Galions à Puerto Belo. La ville de Panama étant alors bondée de marchands et de gentilshommes, les marins débarquaient le Trésor et les marchandises: ceux-ci étaient ultérieurement conduits jusqu'à Puerto Belo à dos de mules, lesquelles en rapportaient des produits européens. Les prix étaient alors très élevés: pour louer un simple esclave, il fallait débourser une pièce de huit par jour. Quant aux navires de la flotte de Lima, ils demeuraient plus longtemps à Panama avant de retourner à Lima. Les marchands et les gentilshommes qui venaient de Lima restaient le moins longtemps possible à Puerto Belo, surtout en raison de l'insalubrité des lieux. Au retour, elle embarquait des produits européens et des passagers se rendant de Panama au Pérou.
De l'or et de l'argent du Nouveau Monde
Une décennie environ après l'ouverture des mines de Potosi en 1545, Mexico et Lima possédaient chacune une université et plus de cent mille d'habitants, plus que Séville ou Tolède à la même époque. À la fin du XVIe siècle, des villes telles que Lima, Mexico, Guatemala, Bogota et Potosi possédaient leur hôtel royal des monnaies, de sorte qu'il leur était permis de battre monnaie pour le roi. L'argent était monnayée en pièces de huit, quatre, deux, et une, appelées réales; l'or l'était dans les mêmes proportions, mais les pièces de ce métal étaient appelées «escudos» ou doublons. La pièce de huit réales pesait une once d'argent. Pour transiger de grosses sommes, des monnaies de compte comme le peso (1 1/8 once d'argent) et le ducat (1 1/2 once du même métal) étaient utilisés.
La Couronne convertissait une partie de l'argent et de l'or en monnaie pour payer les salaires des officiers royaux et les dépenses des garnisons coloniales. Cependant la plus grande partie du Trésor royal était envoyée à Séville sous formes de barres, de disques, de lingots et de pièces de monnaie. À l'exception de la mine de mercure à Huancavélia (Pérou), laquelle pourvoyait aux besoins des colonies américaines - le mercure étant nécessaire pour le raffinage de l'argent -, toute l'industrie minière américaine était laissée à l'entreprise privée. La fraude, autant sur la frappe de la monnaie que sur la pureté du métal, était répandue. Malgré la vigilance des fonctionnaires royaux, on rencontrait fréquemment des barres d'argent dont le coeur était en plomb, des pièces d'«or» faites d'un alliage contenant beaucoup trop de cuivre et des pièces d'argent contrefaites en platine, métal considéré alors comme sans valeur. À l'inverse, des marchands et des officiers royaux peu scupuleux passaient en fraude barres et lingots d'or ou d'argent cachés sous une couche de métal vil généralement du plomb.
Parallèlement à ce problème de contrefaçon, il s'en posait un autre tout aussi néfaste pour le Trésor espagnol: plusieurs particuliers et marchands soustrayaient leur or et leur argent au Quint Royal en les dissimulant parmi des marchandises de moindre valeur. Dès 1510, bien avant l'ouverture des mines, une ordonnance royale stipulait que les trésors ramenés des Amériques et non enregistrés devaient être confisqués: le fautif se voyait imposer une amende s'élevant à quatre fois la valeur des biens qu'il avait passé en fraude ainsi que toute autre punition que la Couronne jugerait à propos de lui infliger. Qu'ils fussent ou non complices des fraudeurs, les officiers des galions risquaient aussi d'encourir d'impitoyables sanctions. Ainsi, en 1551, lorsqu'un galion s'échoua au sud de l'Espagne et qu'on découvrit que la valeur de sa cargaison s'élevait à plus de trois fois celle au livre, tous ses officiers furent condamnés aux galères pour dix ans. Cependant les bijoux en or portés au débarquement étaient exemptés des droits de douane; parmi eux, on comptait de lourdes chaînes d'or finement travaillées, trouvées à bord des épaves espagnoles et dont certaines excédaient même 5,5 mètres de longueur.
Avant d'être acheminés par terre ou par mer vers les galions ou ailleurs, tout l'or et l'argent produits et raffinés étaient inspectés par un essayeur. Ce fonctionnaire royal se prononçait sur la pureté des métaux: si celle-ci était douteuse, il retournait le métal pour qu'il fût à nouveau raffiné, sinon il prélevait sur le total le «Quinto» - le quint royal (20%) - et un faible pourcentage pour ses honoraires. Chaque barre ou lingot de métal précieux était poinçonnée: la marque comprenait l'année de sa fonte, un numéro d'ordre de grandeur, sa valeur totale en réales, son poids, la marque de l'essayeur et celle du propriétaire. Si la barre appartenait à la Couronne, elle était marqué du nom du Roi ou de ses armoiries. Toutes ces informations étaient enregistrées. Chaque caisse de monnaie, de pierres précieuses et de perles étaient scellées par un officier royal et la valeur de son contenu marquée sur l'un des ses côtés puis inscrite dans le registre officiel. Même des marchandises ordinaires tels les barils de sucres et les balles d'indigo étaient inspectées et leur valeur indiquée sur leurs contenants puis enregistrée. Il y avait trois copies de chaque registre: la première était conservée sur le vaisseau monté par le général de la flotte, la seconde sur celui commandé par l'amiral et la troisième demeurait dans le port d'embarquement jusqu'à l'année suivante lorsqu'elle était envoyée à Séville pour la comparer à l'original et aux deux autres copies.
Le commerce entre le Mexique et les Philippines
Après avoir été visitées par Magellan vers 1521, les Philippines ne furent colonisées par les Espagnols qu'en 1564: cette année-là, Miguel Lopez de Legazpi et quatre cents espagnols du Mexique, partis d'Acapulco, abordèrent à Manille. Ces îles avaient la particularité d'être la colonie d'une colonie. En effet, les colonies et comptoirs espagnoles qui s'y trouvaient était administrée par un gouverneur relevant du vice-roi de Mexico. Dès la fin des années 1560, Lopez de Legazpi envoya le premier galion de Manille, chargé de cannelle, à Acapulco qui devint le terminus américain d'un lucratif commerce.
Seulement trois navires commerçaient à Acapulco. Le premier, un petit vaisseau de vingt canons qui partait de Lima, arrivait habituellement à Acapulco un peu avant Noël à chaque année: il y apportait du cacao, du mercure et des pièces de huit. À l'arrivée de l'un des deux galions de Manille, il chargeait la partie des produits des Philippines qui étaient destinés à être consommés au Pérou, puis retournait à Lima; l'autre partie était ensuite répartie entre divers marchands et le Roi, puis expédiée de Mexico à Vera Cruz où elle était prise en charge par la flotte de la Nouvelle-Espagne. Les deux galions de Manille, jaugeant chacun 1000 tonneaux, faisaient le voyage vers le Mexique en alternance: l'un ou l'autre restait toujours à Manille. L'un des deux quittait Acapulco à la fin de mars ou au début d'avril et se ravitaillait toujours à Guam, environ 60 jours après son départ. À Guam, il restait deux à trois jours puis reprenait sa route vers Manille où il arrivait habituellement en juin. À Manille, il déchargeait sa cargaison qui consistait en vin, huile d'olive, vêtements et autres produits manufacturés européens (denrées dont la Couronne interdisait la production aux colons de ces îles) ainsi que de l'argent (ou de l'or) monnayée ou en lingots pour payer les produits exotiques de l'Orient. Dans les cales du second galion qui était déjà prêt à partir pour le Mexique étaient entreposés épices, calicot, soie, mousseline, soie, velours, damas, taffetas de la Chine et du Japon, produits pharmaceutiques, éventails, gemmes, porcelaine chinoise, bijoux ornés, poignée d'épée, perles, articles d'ivoire et de bois de santal ainsi que d'autres à caractère religieux en or, en argent, en ivoire et en bois rare confectionnés par les artisans asiatiques pour les églises européennes.
Le second galion qui quittait alors Manille touchait d'abord la côte californienne qu'il longeait vers le sud. Il passait près du cap San Lucas puis de celui de Corrientes avant de faire escale à Sallagua, où les passagers qui se rendaient à Mexico débarquaient. Par la suite, il continuait à longer la côte jusqu'à Acapulco où il arrivait vers Noël, jamais plus d'une dizaine de jours en deçà ou au-delà de cette date, mais quelquefois seulement à la mi-février. En dépit des grands risques de la traversée, les galions de Manille ne manquèrent jamais de passagers et de marchandises.
exemple d'un port de transit: Puerto Belo
Dès le dernier quart du XVIe siècle, Puerto Belo succéda à Nombre de Dios comme terminus des galions d'Espagne dans la mer des Caraïbes. Le raid de Drake sur Nombre de Dios en 1572 fut la principale raison de ce déplacement: Puerto Belo, à une trentaine de kilomètres au nord de l'ancienne halte, était plus facile à défendre. Néanmoins il fut pillé en 1668 par le l'Anglais Morgan et en 1680 par une autre bande de flibustiers.
Au XVIIe siècle, une route reliait Puerto Belo au sud à Panama dont il était distant d'une soixantaine de kilomètres en ligne droite; Puerto Belo était éloigné d'environ la même distance à l'est du golfe et de l'archipel de San Blas. Vers l'ouest, sur le littoral, on rencontrait: à 8 km du port, le rio Coële à l'embouchure duquel se dressait en permanence une vigie; un endroit nommé el Estera de Longalemo où Morgan mit pied à terre en 1668; Puerto del Ponton qui était à 16 km de Puerto Belo que l'on pouvait facilement atteindre la nuit par un petit vent de terre qui s'élevait près de Puerto Naos (havre inhabité à proximité du rio Chagres) distant de Belo d'une cinquanitaine de kilomètres. De plus, il fallait huit jours de navigation en partant de cet endroit pour parvenir aux cayes à la bande sud de l'île de Cuba.
La ville était sise sur une baie environnée de montagnes. Ce port long de 1,6 km délimité par un bras de mer en face duquel la ville était bâtie, à peu prés au centre de la rive continentale, était gardé à son embouchure par deux châteaux de pierres aux portes de fer: le San Felipe (ou fort de fer) et le San Gerónimo qui, étant sur une éminence à proximité de la ville, commandait au premier, chargé seulement de protéger l'entrée du port; à l'intérieur même de la ville, il y avait une troisième fortification, la redoute Triana.
Dans la ville, elle-même, il y avait surtout des magasins pour l'entreposage des marchandises (dont les propriétaires étaient des marchands de Panama qui n'y allaient qu'à l'arrivée des galions car le climat était malsain et déplaisant sur la côte nord), mais aussi des habitations et des couvents de religieux et de religieuses. Une garnison de près de quatre cents hommes y était stationnée et était commandée par un major général, le gouverneur de la place relevant du président de l'Audience Royale de Panama; en cas d'attaque, quatre cents des habitants étaient aptes à porter les armes pour appuyer les troupes officielles. La campagne fournissait suffisamment de vivres pour nourrir toute la population qui devait atteindre entre 1200 et 1500 habitants.
Comme on l'a vu, les Galions y faisaient escale annuellement, en général en décembre ou en janvier, après la saison des pluies. Ils y chargeaient l'argent des mines du Pérou: l'or en lingots de quelques livres mais surtout l'argent, fondus en petits lingots ou en saumons de 30 kg était amené par mulets de Panama pour une charge totale de 140 kg par bête; à Puerto Belo, ces lingots étaient inventoriés par le trésorier royal puis placés dans des cassettes de bois sur laquelle on apposait un scellé qui n'était brisé qu'à Séville. Outre l'argent, prenaient place à leurs bords des balles d'indigo et de cochenille ainsi que d'autres denrées exotiques. Quant aux marchandises que contenaient les galions à leur arrivée à Belo, elles suivaient la même route que l'argent en sens inverse pour être embarquées à Panama sur les galions de la mer du Sud à destination du Pérou et du Chili.
Lors de la venue des galions, Puerto Belo devenait la place la plus achalandée de l'Amérique espagnole. Leur séjour de six semaines, qui se prolongeait parfois jusqu'à deux mois, donnait lieu à toutes sortes de réjouissances: la ville grouillait de trafiquants, de colons, de joueurs, de marins, de prostituées et de soldats. Le logement de tout ce peuple faisait la fortune des marchands panaméens qui affluaient alors à Puerto Belo: ils louaient chambres et boutiques à fort prix. Mais les habitants de l'endroit en profitaient encore plus que ces derniers: la moindre petite chambre leur rapportait entre 400 et 500 écus de loyer pour 6 à 8 semaines de location. Toutefois la présence de cette foule était source d'ennuis: dans la chaleur tropicale, le port était souvent la proie de terribles épidémies; voilà pourquoi, notammant, les galions appareillaient dès que leurs cales étaient pleines.
La traversée de retour vers l'Europe, après une halte à Cuba, durait souvent trois mois et plus: passagers et équipages se distrayaient en pêchant la dorade, en célébrant les fêtes des saints, en se régalant de cochons de lait et de tortues et en tirant du canon. À l'arrivée à l'embouchure de la Guadalquivir, les trésors des galions étaient transbordés sur des barges ou des bateaux à plus faible tirant d'eau et conduits dans le port de Séville, siège de la Casa de Contratación.
Convoitises des ennemis de l'Espagne
Les flottes aux trésors espagnols ont fait rêver les ennemis de l'Espagne durant tout le XVIIe siècle. Quiconque pourrait s'en rendre maître, en tout ou en partie, serait riche et couvert de gloire à jamais. Dans la réalité peu de flibustiers osèrent s'attaquer aux galions. L'abordage et la prise d'un galion espagnol, même séparé de sa flotte par le mauvais temps, par quelques dizaines de flibustiers seulement et par la ruse tient plus du mythe que de la réalité. En effet, la manière la moins risquée pour les flibustiers de s'emparer des trésors des flottes espagnoles étaient de les repêcher des épaves des quelques galions ayant péri ici et là dans la mer des Caraïbes, notamment dans les parages des Bahamas et de l'île Hispaniola, ou encore dans des lieux de transit comme Porto Belo ou la Vera Cruz avant leur embarquement pour l'Espagne. Généralement, les flibustiers cherchèrent plutôt à éviter les flottes espagnoles qu'à croiser leur route.
Pour s'emparer d'une flotte entière, même d'un seul galion, il fallait de puissantes escadres de navires de guerre, donc une entreprise relevant non seulement des particuliers mais aussi de l'état. Au XVIIe siècle, juste avant l'âge d'or de la flibuste, ce seront les Néerlandais qui, en révolte contre le roi d'Espagne, s'y risqueront, et ce pendant plus de vingt ans avec plus ou moins de succès. Et, ce faisant, ils entraîneront plusieurs flibustiers à leur suite. Mais, bien avant que les Néerlandais ne fassent leur apparition dans la mer des Caraïbes, des aventuriers français et les anglais s'étaient déjà risqués à tenter la fortune en Amérique.
R. Laprise.