Mémoire sur la prise d'un vaisseau portugais par un corsaire français.
Laurens de Mattos, fils d'Ambroise Gomes, ci-devant gouverneur et capitaine général du fort et pays de Cachéo, sur la rivière de Saint-Domingue, dans la terre du cap Verd, sortit de cette rivière le 24e d'avril de l'année 1670 pour faire le trajet et le commerce qui se fait ordinairement du lieu de Cachéo aux îles du cap Verd, et de ces îles à Cachéo. Son vaisseau, qui est du port d'environ deux cents cinquante tonneaux, armé de quatre pièces de canon, s'appelle Sam-António-e-as-Almas. Il y avait dans ce vaisseau quelque cinquante-deux personnes, mariniers ou passagers, savoir : quarante noirs et quatre noires, libres et sujet du Portugal, et huit hommes blancs, enfants de Lisbonne; où était compris Manuel Correa, maître du vaisseau, Manuel Cardoso, contre-maître, et Charles Louis pilote. Et il était chargé d'environ deux cents noirs esclaves et de quelque cire et ivoire qui appartenaient audit sieur Ambroise Gomes, ci-devant gouverneur de la forteresse et pays de Cachéo.
Après une navigation de dix-neuf jours par vent de nord-ouest, il aborda à une petite île qui appartient aux Hollandais, nommée Bersiguiche, pour se raccommoder, et en repartit le lendemain pour continuer son voyage. Et ayant navigué encore sept jours avec un vent du nord-est, il se trouva à demi degré sous le vent des îles du Cap Verd. Et voyant que le vent et la mer devenaient toujours plus rudes et qu'il n'y avait plus moyen de gagner les îles du cap Verd, il ne pensa plus qu'à chercher les premières terres sous le vent. Et le huitième de juin, il découvrit l'île de Grenade en l'Amérique où, n'ayant vu que quelques sauvages, il chercha la Terre Ferme. Et le seizième du même mois de juin, il aperçut un vaisseau, et comme il manquait de victuailles et que le vaisseau était fort endommagé, considérant que le Portugal n'avait point d'ennemis dans ces mers-là, il alla droit à ce navire qu'il connutêtre français à sa bannière blanche.
Aussitôt qu'on put se parler, le Français demanda au Portugais d'où il venait, et après la réponse, fit commandement, de la part du gouverneur de la Tortue, d'amener et d'envoyer à bord le maître du vaisseau portugais. Ce qui ayant été fait, seize Français armés de fusils vinrent se saisir du vaisseau portugais. Et tous deux ensemble croisèrent quatre jours pour chercher le compagnon du vaisseau français. Et ayant rencontré un vaisseau de guerre anglais, les Français prirent deux pièces de canon dans le vaisseau portugais, qu'ils donnèrent au capitaine anglais qui s'appelle Maurice. Deux jours après, ils abordèrent à l'île des Oiseaux et mirent en terre tous les hommes du vaisseau portugais, tant esclaves que libres, et y raccommodèrent le vaisseau. Le 29e de juin, ils les rembarquèrent tous, excepté seize blancs ou noirs, tous libres, entre lesquels il y avait une noire avec sa fille, Manoel Correa, maître du navire, et Laurens de Mattos, et envoyèrent le vaisseau portugais, où ils mirent quatorze mariniers français, à la Tortue. Il y restait à peu près deux cents esclaves et 24 mariniers avec la cire et l'ivoire. Ils embarquèrent après cela, sur leur vaisseau, les seize personnes libres avec quelques Castillans d'une barque espagnole qu'ils avaient prise et les portèrent tous à la terre ferme de Caracca, où ils les laissèrent tous nus.
Le vaisseau français qui prit le Portugais est à peu près de même grandeur et avait quatorze pièces de canon et environ quatre-vingts hommes. Le capitaine s'appelle Diego Tributorio, qui dit que ce vaisseau et un autre pareil de 18 pièces de canon, dont le capitaine s'appelle Vaspon, avaient été armés par le gouverneur et deux marchands de la Tortue et étaient partis de la même île de conserve. Laurens de Mattos et Manuel Correa, maître du navire portugais, ayant demeuré deux mois dans la terre de Caracca, passèrent avec tous leurs compagnons dans un navire génois à l'île de Coraçào, qui appartient aux Hollandais. Et le maître du navire portugais Manuel Correa ayant trouvé là un Français associé avec un marchand hollandais catholique nommé Baltazar, demeurant dans la même île de Coraçào, qui lui offrit de le porter dans sa barque à la Tortue, et de l'y assister pour obtenir du gouverneur la restitution du vaisseau portugais et de sa charge, il s'embarqua avec lui et emporta tous les papiers nécessaires pour faire voir d'où était le vaisseau et à qui il appartenait. Le sieur Laurens de Mattos et les autres qui demeurèrent dans l'île s'embarquèrent le 13e d'octobre dans une flûte hollandaise, qui les mit en Hollande le 25e de décembre, d'où ils ont passé en Portugal sur un des vaisseaux de la flotte qui est venue charger du sel.
Laurens de Mattos, sur le rapport duquel on a dressé ce mémoire, dit que le capitaine Tributorio et quelques autres, reconnaissant qu'il n'y avait point de raison pour prendre et retenir ce vaisseau, voulurent le rendre, mais que l'équipage s'y opposa, disant qu'on l'avait jugé de bonne prise, puisqu'on en avait pris deux canons et qu'il fallait l'envoyer à la Tortue, où il serait jugé s'il était de bonne prise ou non, avait tiré du vaisseau le maître portugais, Laurens de Mattos et tous ceux des passagers qu'il avait jugé capables de faire connaître et entendre au gouverneur de la Tortue qu'il n'y avait point de raison de prendre sur le Portugal, ami et allié de la France, ce vaisseau que les vents contraires avaient dérouté et porté dans ces mers de l'Amérique.