Le Diable Volant

Les Archives de la flibuste

Capture et évasion d'un pirate français (1671)

Vers octobre 1670, quelques mois après la prise d'un vaisseau portugais égaré en Amérique à la demande de son équipage, François Trébutor se joint à la flotte de l'amiral jamaïquain Henry Morgan, sous les ordres duquel il participe à l'entreprise de Panama. Au retour de cette expédition, il est arrêté par le sieur de Villepars, commandant l'escadre des navires du roi aux Antilles et montant le Mazarin (alias Le Bon), en vertu d'un ordre du roi. Cependant, comme il est rapporté dans le présent document, Trébutor parvient à fausser compagnie aux hommes de Villepars. Le gouverneur général des Antilles françaises, le sieur de Baas, n'hésite pourtant pas à proposer de prendre le flibustier au service de la Couronne. D'ailleurs la guerre approche et, moins de deux ans plus tard, il n'aura que des éloges faire concernant Trébutor, « le meilleur pilote en Amérique ».

R. Laprise.

description : [extraits d'une] lettre de Jean-Charles de Baas (lieutenant-général des Isles d'Amérique) au ministre Jean-Baptiste Colbert, Saint-Christophe, 17 novembre 1671.
source : FR ANOM COL/C8A/1/fol. 124-129.

(...)

Les navires du roi qui étaient allés à St-Domingo arrivèrent à St-Cristofles le 6 de ce mois, à la réserve du Mazarin qui s'est brisé à la côte de la Tortue. Les navires du roi qui étaient allés à St-Domingo arrivèrent à St-Cristofle le 6 de ce mois, à la réserve du Mazarin, qui s'est brisé à la côte de la Tortue. M. de Villepars est à la Guadeloupe en si mauvais état que, quand on l'a mis à terre, il n'avait plus de connaissance. Je ne sais s'il est mort, car depuis l'arrivée des vaisseaux, nous n'avons eu aucune nouvelle de la Guadeloupe. M. de Montortier, qui commande le Saint-Sébastien, m'a dit qu'il vous avait informé de l'accident du navire et de tout ce qui s'est passé à la Tortue. C'est pourquoi je me remets à ce qu'il vous en a mandé.

Monsieur de Terron m'a écrit de la Rochelle, il y a quelque temps, qu'un forban nommé Trébutor, courant les mers en ce pays avec la commission de monsieur Ogeron, avait pris un navire portugais chargé de cent nègres; de quoi s'était plaint à Sa Majesté, qui avait ordonné qu'on se saisit de Trébutor pour le faire punir. Sur cette lettre, je mandai à monsieur de Villepars de l'arrêter s'il le rencontrait et de vous en donner avis, Monseigneur, pour ordonner ce qu'on ferait de sa personne. Cet ordre a été exécuté et Trébutor a été saisi et mis dans le vaisseau Le Mazarin, mais il se servit du désordre du naufrage et se sauva, tellement qu'il n'est resté que neuf ou dix prisonniers de son équipage, qui ont dit ce qu'ils savaient sur la prise du navire et qui sont encore aux fers dans les navires du roi. Monsieur de Montortier m'a remis les informations et les prisonniers, que j'ai condamnés à servir dans les barques des habitants des Isles françaises jusqu'à ce que Sa Majesté eût ordonné sur leur châtiment ou sur leur liberté. C'est ainsi que je me suis déchargé de ce fardeau.

Je vous dirai, Monsieur, sur le sujet de Trébutor, que les capitaines et les officiers du vaisseau du Roi ont une estime si grande pour lui qu'ils le croient le meilleur pilote qui soit en Amérique et celui qui en connaît le mieux la côte des Isles. Il est de Dieppe et de naissance commune, mais il est sans vice et a les inclinaisons d'un capitaine honnête homme, tellement qu'il faudrait plutôt le conserver que le perdre.

Vous avez su sans doute, Monseigneur, qu'au mois de mars dernier, quinze ou seize cents flibustiers anglais et français venant de la Jamaïque et de St-Domingo s'assemblèrent à l''île à Vache et s'en allèrent sous la conduite d'un Anglais nommé Margain prendre l'île de Ste-Catherine qu'ils pillèrent et, après y avoir pris des guides pour les conduire à la Terre Ferme, ils y descendirent, forcèrent les Espagnols dans un poste très avantageux, et en continuant leur chemin s'en allèrent à Panama; mais avant d'y arriver, ils rencontrèrent à une lieue de là les Espagnols en bataille qui les attendaient. Le combat se donna, les Espagnols furent battus, Panama fut prise et brûlée, et après un mois de séjour employé à piller et à faire contribuer les environs de la ville, les flibustiers se retirèrent paisiblement et retournèrent à l'île à Vache, où Morgan, à ce qu'on dit, n'a pas rendu trop bon compte.

Cette histoire m'a été faite assez confusément par un des prisonniers, matelot de Trébutor, mais il m'a donné une lettre qu'il a eue, je ne sais comment, et qui n'était pas encore ouverte, qu'un Espagnol de la ville de Portobello écrit à un de ses amis de Cordoue, où est le récit bien circonstancié de cette cruelle hostilité avec l'état pitoyable des forces que le roi d'Espagne a dans les Indes. Je vous l'envoie, Monseigneur, en original, afin que vous les considériez avec attention, car elle le mérite, et quand vous y aurez fait votre réflexion, j'espère qu'elles vous solliciteront, et même vous hâteront, d'envoyer des troupes dans un pays où l'on peut faire facilement les plus considérables et les plus riches conquêtes du monde. (...)

Si le Roi m'honore de ses ordres en ce pays, Trébutor est un homme à être acheté, et je m'en servirai si je le puis avoir et si Sa Majesté l'a agréable.

Je vous envoie un devis de l'état où l'on m'a dit qu'étaient les quatre principales places que les Espagnols on en ce pays. Il est mal aisé d'avoir des mémoires justes, parce que les remarques que je demande ne sont pas connues de ceux qui ont été sur les lieux. Je suis avec un profond respect,

Monseigneur,

Votre très humble, très obéissant et très fidèle serviteur,

De Baas.

À St-Cristofle, le 17 novembre 1671.